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LES SITES D’ANNONCES CLASSÉES : UNE INTERMÉDIATION LOCALISÉE,

SUR UN SEGMENT PEU QUALIFIÉ

DU MARCHÉ DU TRAVAIL

Parmi les acteurs privés du marché du travail en ligne, nous avons jusqu’à présent omis d’évoquer un type de sites important, qui n’appartient à aucune des catégories ci-dessus, mais qui peut être considéré comme une variante des job boards dans la mesure où il offre la possibilité de publier des offres et demandes d’emploi en ligne. Il s’agit des sites généralistes d’annonces classées, dont les sections emploi sont devenues des dispositifs d’intermédiation qui n’ont rien d’anecdotique.

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Pendant longtemps, Leboncoin n’a pas eu de ce point de vue de politique spécifique pour sa section emploi : jusqu’à une date récente, la catégorisation de

l’information y est restée faible, permettant à Vivastreet de revendiquer une approche plus fine. « Nous avons le même positionnement sur l’emploi

non-cadre. Nous visons les mêmes cibles : les acteurs locaux lassés d’utiliser les supports traditionnels. En revanche, les différences se jouent sur le produit. Un candidat qui postule sur Vivastreet peut envoyer son CV. (…). Nous avons des filtres spécifiques, etc. En somme, notre rubrique emploi est spécialisée, tant en matière d’ergonomie que de services. Vivastreet n’est pas un site emploi, mais un site adapté à l’emploi »

(interview de Julien André, Directeur du développement du marché « Emploi » de Vivastreet, sur le site

spécialisé exclusiveRH, 18 janvier 2013). Mais, comme pour toutes ses autres sections importantes (automobile, immobilier, locations de vacances), Leboncoin a progressivement développé des filtres spécifiques et il est aujourd’hui possible de discriminer les offres d’emploi par type de contrat, temps de travail, fonction, expérience et niveau d’études requis. La principale différence avec un job board demeure la faible précision de la nomenclature de métiers : elle n’est pas suffisamment fine pour former un outil de recherche autonome ; elle est en fait pensée pour être utilisée en combinaison avec la recherche par mots-clés, offrant la possibilité de circonscrire cette dernière à un champ fonctionnel (« informatique », « juridique », « services à la personne », etc.). Il faut néanmoins noter qu’un certain nombre de job boards généralistes ont fait évoluer leurs outils en sens inverse, en privilégiant la recherche par mots-clés pour

correspondre aux standards ergonomiques des

interfaces « à la google », popularisées dans le domaine de l’emploi par les agrégateurs d’offres d’emploi. Cas extrême, un site comme Monster, qui, il est vrai n’a jamais misé sur la finesse de ses référentiels, a ainsi fini par abandonner la nomenclature de professions dans son interface de recherche (il n’y a plus non plus de nomenclature sectorielle).

La localisation des annonces est l’argument marketing numéro 1 des sites d’annonces classées, dont les dénominations mettent souvent l’accent sur la dimension proximité. Elle est très fortement mise en avant par les dispositifs de discrimination de l’information : pour Leboncoin comme pour Vivastreet la page d’accueil est une carte de France qui impose

comme première action à l’utilisateur de choisir une région ; dans un second temps, les niveaux

départemental et communal sont proposés dans le formulaire de recherche. Vivastreet permet par ailleurs de circonscrire la recherche aux emplois se trouvant dans un rayon déterminé autour d’une commune. Au total, la précision des outils de discrimination géographique des annonces est, cette fois, bien meilleure sur les sites d’annonces classées que sur le plupart des job boards, et tranche avec le constat fait sur les nomenclatures de métiers.

Les sites d’annonces classées rassemblent donc des offres d’emploi peu qualifiées en moyenne, faiblement structurées en termes de nomenclatures de métiers mais au contraire très précisément localisées. Cette combinaison forme un positionnement et un modèle d’intermédiation cohérents. Elle correspond bien à des marchés du travail locaux rassemblant d’un côté, une main-d’œuvre peu mobile et, de l’autre, des emplois pour lesquels la proximité géographique est importante (temps partiels, « petits boulots », etc.). Sur des

marchés du travail où la localisation de la main-d’œuvre et des emplois prime souvent sur la qualification, une catégorisation des emplois à maille large permet d’étendre les possibilités d’appariement. C’est en tout cas explicitement le discours de certains acteurs : « c’est important de ne pas enfermer les gens et les

emplois dans des catégories rigides et trop petites ; un candidat qui est, entre guillemets, “obligé” de regarder un spectre large d’emplois, il peut se dire : “tiens, ça j’y avais pas pensé, mais finalement pourquoi pas, c’est près de chez moi et c’est dans mes cordes” » (entretien,

responsable d’un site d’annonces classées).

Une dernière dimension complète le modèle d’activité des sites d’annonces classées : le faible coût, voire la « gratuité », des annonces emploi. Nous reviendrons plus loin sur cet aspect, mais ce qui nous importe ici est de mettre en exergue le fait que cela est encore une fois parfaitement cohérent avec le positionnement de ces intermédiaires : les tarifs des job boards sont peu compatibles avec les niveaux de qualification des emplois proposés, et les sites d’annonces classées contribuent donc à ouvrir l’intermédiation

informationnelle à ce segment du marché du travail. Bien sûr, les services de Pôle emploi y contribuent également. Mais leur mobilisation exige de la part des employeurs un degré de formalisation et de catégorisation des offres qui peut être jugé peu compatible avec la nature des emplois proposés

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109. Interview d’Antoine Jouteau, directeur général du Bon Coin, sur le site ExclusiveRH, le 27 novembre 2015.

et le fait que, sur ce segment du marché du travail, une grande partie des recrutements passe

traditionnellement par des canaux informels (réseaux, démarchage direct des employeurs, etc.) ou peu formels (annonces placardées), comme ont pu le montrer, par exemple, des travaux sur la grande distribution (Rieucau & Salognon, 2013) ou l’hôtellerie-restauration (Forté & Monchatre, 2013). Par ailleurs, le recours à un site d’annonces classées permet à des employeurs dont le rapport à l’institution Pôle emploi et à son public est parfois difficile, de diffuser leurs offres sur un support alternatif.

La contrepartie est l’inévitable question de la qualité des offres, qui est régulièrement posée tant par le service public de l’emploi que par les job boards. Ces derniers associent directement qualité des offres et prix des annonces : « sur Leboncoin la publication

est gratuite, tout le monde peut poster n’importe quoi, ils n’ont pas les moyens de filtrer. Sans parler du fait que le fait de payer une annonce, c’est en soi un mécanisme de filtrage : vous ne faites ça que pour de vrais emplois »

(entretien, responsable d’un grand job board).

Le discours des responsables de site d’annonces classées est évidemment très différent. Ils pointent au contraire les efforts qu’ils déploient en matière de modération des offres : « Le travail qu’on a eu à faire au début

c’était de mettre en place des règles de modération. C’est-à-dire que moi, je me suis récupéré la rubrique avec des annonces qui étaient mal rédigées, avec des critères discriminatoires, avec des postes qui étaient parfois assez douteux. Donc il a fallu mettre en place des règles de modération, former une équipe de modérateurs dédiée à l’emploi. Donc aujourd’hui on a une cinquantaine de règles de modération. Toutes les annonces qui sont publiées sur le site sont validées par cette équipe avant qu’elles soient diffusées » (entretien, responsable de

la section emploi d’un site d’annonces classées). Enfin, une dernière différence, plus consensuelle, peut être relevée entre le modèle d’intermédiation des

job boards et celui des sites d’annonces classées.

Elle est même de l’ordre de l’évidence : les sites d’annonces classées sont des acteurs qui interviennent en tant qu’intermédiaires informationnels sur un très grand nombre d’univers, et non seulement dans le champ de l’emploi. Quelles conséquences cela a-t-il ? D’abord la contrainte, pour la cohérence d’ensemble du site, de ne pouvoir adapter que marginalement les dispositifs d’intermédiation à chacun des univers.

Cette dimension est partiellement à relier avec la question évoquée plus haut de la faible structuration des annonces. Mais surtout cela permet à ces acteurs de ne pas être confrontés au « problème de l’œuf et de la poule » dans le cadre du développement des annonces emploi : les utilisateurs qui vendent ou achètent des produits et services dans les autres sections sont autant de candidats potentiels déjà présents sur le site, et la similarité des dispositifs de recherche facilite leur passage d’un univers à l’autre. La rubrique emploi du Bon Coin bénéficie ainsi de l’effet d’entrainement de l’ensemble du site qui, comme nous l’avons dit, fait partie des 10 sites les plus visités en France, toutes catégories confondues.

Le marché des annonces emploi est particulièrement intéressant pour les sites d’annonces classées, car il permet potentiellement de générer des marges plus importantes que les autres annonces qui sont

essentiellement des supports de mise en relation entre particuliers. Ce n’est pas un hasard si la monétisation du site pionnier Craiglist est passée par les offres d’emploi et que ce modèle constitue une référence pour

beaucoup d’acteurs : « L’objectif c’était de faire grossir

la rubrique d’emploi pour en faire un Craigslist à la française, Craigslist étant aux Etats-Unis un succès phénoménal sur la partie emploi » (entretien,

responsable d’un site d’annonces classées). En France, Vivastreet ne facture pas la diffusion des offres d’emploi, mais propose autour de cette prestation un ensemble de services payants (modèle freemium), comme des options de visibilité ou de diffusion depuis un progiciel de gestion de recrutement. Et si,

contrairement à Craigslist ou Vivastreet, Leboncoin ne monétise pas pour le moment directement sa rubrique emploi, il prépare pour 2016 une offre payante avec pour objectif de générer des revenus sur la diffusion d’annonces6.

Les entreprises clientes de ces sites sont pour l’essentiel des TPE et PME et des artisans. Parmi les intermédiaires, les entreprises de travail de travail temporaire les utilisent massivement. Mais peu les SSII et les cabinets de recrutement.

Abordons pour terminer la question de la participation des sites d’annonces classés aux dynamiques de circulation des offres d’emploi. Si un site comme Vivastreet s’y inscrit pleinement en laissant les

agrégateurs référencer ses offres (et en achetant même du trafic à certains d’entre eux), en mettant en place des passerelles avec les multidiffuseurs et, pour finir,

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7. Ibid.

en étant partenaire du dispositif « Transparence du Marché du Travail » (TMT) de Pôle emploi. Leboncoin se caractérise, pour le moment, par un « splendide

isolement » à tous les niveaux. Cet acteur rejette systématiquement toute tentative de référencement de ses annonces par les agrégateurs d’offres d’emploi. Il n’a établi aucun partenariat avec les multidiffuseurs, qui proposent souvent pour ce support de prendre en charge la saisie manuelle des offres de leurs clients. Enfin, bien que Leboncoin fasse partie des premiers sites ciblés par la stratégie TMT de Pôle emploi et qu’il soit régulièrement sollicité depuis, il a jusqu’à maintenant toujours décliné. Pour justifier cette position, les dirigeants du site mettent en avant deux éléments : Leboncoin disposerait d’offres d’emploi spécifiques, dont seule une faible part se retrouverait sur d’autres supports (c’est avec Pôle emploi que le segment

commun serait le plus important) et l’étendue de son audience naturelle lui permettrait de se passer des agrégateurs privés comme de TMT. On peut avancer un troisième élément pour expliquer le manque d’intérêt du Bon Coin pour la multidiffusion : sa typologie d’entreprises clientes, qui sont essentiellement des structures de petites tailles ne diffusant leurs offres qu’au coup par coup. Mais, il faut noter qu’une solution de diffusion automatique des offres d’emploi est annoncée pour 2016 : il s’agirait de l’un des nouveaux services payants7. Ceci traduit une volonté de

développer la clientèle grands comptes, à commencer par les groupes de travail temporaire.

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8. Vendu au groupe Touati en 2010 dans le cadre du recentrage des activités de l’Apec.

9. Notons que ce service de présélection a été retiré de l’offre de service de l’Apec dans la cadre de la réorientation de l’activité de l’institution en 2010, avant d’être réintroduit - mais pour les seules entreprises de moins de 250 salariés - par l’avenant du 18 mars 2015 à son mandat de service public.

Cette différence s’explique par la nature des modèles d’intermédiation des deux institutions (Fondeur & Tuchszirer, 2005). Depuis sa création en 1967, deux fonctions principales ont été assignées à l’ANPE : d’une part, améliorer le fonctionnement général du marché du travail en facilitant la circulation des offres et des demandes d’emploi ; d’autre part, réduire les inégalités qui le caractérisent par une action contre-sélective visant à favoriser l’accès à l’emploi des personnes qui en sont le plus éloignées. Ces deux missions sont partiellement en tension : la première supposant une intermédiation de nature informationnelle axée sur l’accès de tous aux opportunités d’emploi, la seconde pouvant justifier que l’on réserve certaines offres aux demandeurs d’emploi les plus en difficulté, voire qu’on les « travaille » pour adapter les critères de recrutement à ces publics. L’Apec, pour sa part, a d’abord été créée en 1966 autour d’une mission d’information des cadres, pour ensuite se voir confier dans les années quatre- vingt une mission d’intermédiation à proprement parler. Mais, à la différence de l’ANPE, cette fonction ne s’embarrasse pas d’une dimension contre-sélective. En particulier, l’Apec a toujours incité les cadres en emploi à utiliser ces services (rappelons le slogan « L’Apec, on n’a pas trouvé mieux pour trouver mieux ! »), orientation qui a été fortement renforcée dans le cadre du repositionnement de l’institution depuis 2010. La création des sites Internet des deux institutions

(en 1998 pour l’Apec, en 1999 pour l’ANPE) et les premières orientations données à ces supports témoignent de cette différence. Alors que l’Apec y publie d’emblée toutes ses offres, l’ANPE ne va le faire que très progressivement, tenant en particulier longtemps à l’écart les offres en contrats aidés, pour les réserver aux demandeurs d’emploi inscrits, et parmi eux aux personnes les plus en difficultés. Par ailleurs, jusqu’en 2013, la majorité des offres publiées sur pole-emploi.fr sont des offres anonymes, imposant de passer par l’intermédiaire d’un conseiller pour

candidater.

À l’inverse, cela n’a toujours concerné qu’une minorité d’offres à l’Apec, celles faisant l’objet d’un service de présélection facturé aux entreprises9.

Outre cette différence de positionnement en matière de publicité des offres d’emploi et des coordonnées des recruteurs, les deux institutions ont eu des stratégies radicalement différentes vis-à-vis des agrégateurs d’offres d’emploi.

L’Apec a de longue date établi des partenariats avec ces acteurs, leur permettant de référencer ses offres. Ce fut notamment le cas avec Keljob (et Optioncarriere, autre agrégateur français lancé au même moment) dès le début des années 2000 : « le partenariat avec Keljob,

qui dure depuis un bout de temps déjà, près de quatre ans, dont le principe est qu’ils référencent l’intégralité des offres de l'Apec, puisque Keljob est un modèle

LES ACTEURS INSTITUTIONNELS

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