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LES MULTIDIFFUSEURS D’OFFRES D’EMPLOI, DES INTERMÉDIAIRES

TECHNIQUES LIÉS A L’ABSENCE

DE STANDARDS

Les multidiffuseurs d’offres d’emploi (également appelés « multiposteurs ») sont des acteurs qui sont venus s’intercaler entre le versant recruteur du marché du travail et les job boards. Ils permettent aux recruteurs de diffuser leurs offres d’emploi sur différents supports depuis un outil unique qui prend en charge l’interfaçage avec chacun des job boards. Leur activité est fondée sur l’absence de standards, comme l’illustre le dialogue ci-dessus avec l’un d’entre eux :

Q : « Vous êtes un acteur aussi qui est bien placé

pour voir l’évolution de l’adoption de standards... ou pas. Les HR-XML et compagnie c’est toujours un serpent de mer ? ».

R : « Non, zéro ». Q : « Zéro… ».

R : « J’y ai cru, moi, à l’époque. De toute façon c’est

tellement évident ! Mais, non, zéro zéro. C’est vraiment un sujet dont on n’entend jamais jamais parler. (…) Mais au final d’ailleurs, si ça existait ça ne serait pas bon pour nous, donc ce n’est pas nous qui allons le lancer. Parce que ça enlève quand même… une de nos barrières d’entrée. Ce qu’on gère c’est l’hétérogénéité, donc si tout devient homogène… ».

Précisons que c’est moins la syntaxe qui pose problème que le vocabulaire. En premier lieu, il existe une forme de semi-standardisation à travers le XML « générique », comme l’indique un autre interlocuteur :

« Alors, formats de données, c’est globalement assez

similaires, de l’XML dans l’immense majorité des cas. […] En fait, le standard HR-XML qui a été au départ mis en place permettait d’avoir un format de données et essayait aussi d’écrire aussi un certain nombre de critères et d’informations qui devaient donner un standard et être présents dans les offres d’emploi. Et c’est ça qui n’a pas fonctionné, du fait de l’émergence de tous les sites et de tous les différents acteurs, qui en fait, sont des acteurs privés. Et eux, souhaitent marquer leur différence […]. Mais en attendant, a perduré quand même le fait que le format restait très largement sur XML […]. Il n’y a pas vraiment de problématique de formats aujourd’hui.

C’est plutôt des problématiques de balises, dans les flux, des problématiques d’informations que des problématiques de format général » (entretien,

responsable d’un service de multidiffusion). En second lieu, à la différence d’un CV, les offres d’emploi comprennent un nombre assez limité de champs et ces derniers font l’objet de conventions largement partagées : on trouve généralement dans une offre d’emploi un titre, une localisation, un nom d’entreprise et une présentation, une description du poste, un profil de candidat, un type de contrat et un salaire.

Au-delà de la question du HR-XML, c’est donc bien celle de la diversité des nomenclatures, notamment de métiers, qui est au cœur de l’activité de multidiffusion d’offres d’emploi. La problématique est en effet autrement plus complexe qu’en matière de

recodification. Le degré d’hétérogénéité est très élevé entre des nomenclatures en plusieurs centaines de postes, comme le Rome, et d’autres en quelques dizaines. Le passage d’un référentiel peu précis à un autre présentant au contraire une granularité très fine ne peut reposer sur une table de correspondance : il faut aller chercher l’information dans le descriptif de l’offre en texte libre, ce qui implique la mise en œuvre de techniques complexes, et souvent aléatoires, de traitement automatique des langues. Dans ce domaine, comme en matière de format de données, l’action des multidiffuseurs vise à faire communiquer des systèmes hétérogènes, et non de proposer une normalisation. « Nous, nos technologies, elles ne visent pas à

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normaliser.... Ça c’est un point important de notre conception. Nous ce qu’on dit, ce n’est pas : on fait un moteur qui va normaliser contre un référentiel donné que l’on va décider, tout dynamique qu’il soit. Nous, ce que l’on dit, c’est : on va faire un système qui est capable d’automatiquement prendre deux référentiels, et d’une certaine manière, les faire correspondre entre eux, de la meilleure manière possible. C’est plutôt ça. Donc, du coup, on n’enlève pas forcément le caractère hétérogène. On crée juste encore plus d’automatisation, dans les connexions de ces référentiels » (entretien, responsable d’un service de multidiffusion).

Rentrons maintenant dans l’activité de multidiffusion proprement dite. Deux cas de figure existent : soit le recruteur utilise la plateforme web du multidiffuseur, soit il passe par un progiciel de gestion de recrutement. Aujourd’hui, la plupart des grandes entreprises disposent de progiciels de ce type : en 2010, c’était déjà le cas de pratiquement la moitié des entreprises de 1 000 à 5 000 salariés et de plus de 80 % des entités de plus grande taille (Fondeur, Larquier de & Lhermitte, 2011). Les multidiffuseurs doivent donc non seulement gérer l’interfaçage avec les job boards mais également avec les progiciels de gestion de recrutement.

Il faut noter que les progiciels de gestion de recrutement ont toujours eux-mêmes offert des fonctionnalités plus ou moins avancées de

multidiffusion. Mais le nombre de job boards interfacés était relativement faible, ce qui a permis à de nouveaux acteurs de proposer des services spécifiquement dédiés à cette fonction.

Compte tenu de l’hétérogénéité des formats et

nomenclatures utilisés pour les offres d’emploi, la tâche des multidiffuseurs est complexe, d’autant que les job

boards comme les éditeurs de progiciels de gestion

de recrutement sont peu enclins à faciliter le travail de cet intermédiaire technique qui s’impose à eux : « La multidiffusion, c’est un travail de chien. C’est un

travail de détails. Tu es interfacé avec les sites, tu es interfacé avec les ATS [pour Applicant Tracking System,

soit ce que nous appelons ici « progiciels de gestion de recrutement »], tu es au centre d’un écosystème qui,

à la base, ne voulait pas de toi ». (entretien, responsable

d’un service de multidiffusion).

Si les multidiffuseurs ont réussi à s’intercaler entre les éditeurs de progiciels de gestion de recrutement et les job boards, c’est essentiellement parce qu’ils proposent de résoudre le problème de circulation de l’information auquel sont confrontés les recruteurs lors de la publication d’offres d’emploi. C’est ainsi

en démarchant directement les grandes entreprises publiant de gros volumes d’offres d’emploi, celles que l’on appelle les clients « grands comptes », que les multidiffuseurs ont pu peser sur les éditeurs de progiciels de gestion de recrutement et les job boards : « Ils t’acceptent parce qu’ils n’ont pas le choix au début.

Parce que les clients leur demandent. Au final, c’est parti d’une demande des clients » (entretien, responsable

d’un service de multidiffusion).

Il n’en reste pas moins que les multidiffuseurs sont confrontés à une problématique forte de maintenance des passerelles. Si côté progiciels de gestion de

recrutement les choses sont assez simples en raison de leur nombre relativement réduit et de leur expérience dans l’interfaçage avec différents systèmes, elles sont beaucoup plus compliquées avec les job boards, très nombreux et moins portés à prêter attention à ce type de problématique. Ceci dit, le poids que représentent maintenant les leaders de la multidiffusion semble conduire les job boards à s’investir davantage dans la maintenance des passerelles : « Avant, ils ne nous

prévenaient pas, parce que pas le temps, pas de

ressources, pas forcément organisés. (…) Aujourd’hui ils préviennent. Pas tous, mais la plupart. Pour deux raisons : un, parce qu’on a essayé, entre guillemets, de mettre des process en place avec eux. (…) Et deux, parce qu’ils sont conscients qu’il y a beaucoup beaucoup d’annonces qui passent par nous et qu’ils sont pénalisés s’ils ne sont pas bien diffusés. Donc je dirai que pour, allez… 85 % maintenant des job boards, ça tourne bien. Et puis tu en as encore, tu as le petit job board qui n’a pas de

ressources avec lequel il faut toujours voir venir les choses » (entretien, responsable d’un service de

multidiffusion).

Le nombre de passerelles à établir et à entretenir explique largement pourquoi les éditeurs de progiciels de gestion de recrutement n’ont jusqu’ici que peu investi la multidiffusion, ne fournissant généralement en standard que l’interfaçage avec quelques grands job

boards généralistes et ne réalisant d’autres liens qu’au

coup par coup, sur demande spécifique de leurs clients, avec souvent à la clé des problèmes importants de maintenance. Qui plus est, sur un marché où les solutions qu’adoptent les plus grosses entreprises sont le fait d’éditeurs internationaux, le grand nombre de job

boards au sein de chaque pays donne une dimension

particulière à cette problématique : « dans la

multidiffusion, tu as une partie d’interfaçage avec les sites localement qui est très fastidieuse et compliquée qui fait que c’est difficile à reproduire. Tu peux interfacer cinq à dix sites, mais si tu veux interfacer les écoles et

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beaucoup de sites, il faut un vrai travail local, ça coûte cher et ce n’est pas facile à gérer de loin » (entretien,

responsable d’un service de multidiffusion). C’est d’ailleurs probablement en partie pour cela qu’un acteur français a pu s’arroger en quelques années environ 80 % du marché national (estimation difficile à vérifier mais que partagent les différents acteurs rencontrés), ce qui le place en situation de « quasi-

monopole » (l’expression revient souvent dans les

entretiens). Lancé en 2008, Multiposting n’est pas le premier service de multidiffusion français, mais c’est le premier acteur à s’être entièrement spécialisé sur cette activité et à proposer l’interfaçage avec un très grand nombre de job boards (le site indique gérer les relations avec environ 600 job boards, auxquels s’ajoutent 2 500 écoles et réseaux d’anciens). Les deux grands acteurs internationaux Broadbean et Equest ne proposent pour le moment en France que l’interfaçage avec une poignée de grands sites. Notons que les Etats-Unis constituent de loin le principal marché de la multidiffusion en raison de l’existence d’un très grand nombre de job boards, mais également de dispositifs fédéraux anti-discrimination incitant les entreprises à diffuser largement leurs offres d’emploi et le faire sur des supports variés (Office of Federal Contract

Compliance Programs, OFCCP, et Equal Employment Opportunity, EEO).

Depuis un an et demi, la multidiffusion semble prise dans un mouvement d’intégration verticale qui conduit à s’interroger sur la pérennité de l’existence dans ce domaine de grands acteurs indépendants. En effet, le leader mondial du secteur - Broadbean – a été racheté en avril 2014 par le groupe CareerBuilder. Ce groupe, qui s’est construit autour du site éponyme, le plus grand job board des Etats-Unis, s’est beaucoup diversifié dans le champ du e-recrutement, non seulement en rachetant d’autres job boards de par le monde, mais également en développant une offre de progiciel de gestion de recrutement (commercialisée sous le nom de Luceo et issue du rachat de l’éditeur français Profilsoft en 2008). Nous avons donc là un exemple d’intégration verticale complète du progiciel de gestion au job board, en passant par la multidiffusion d’offres d’emploi. Second événement, circonscrit cette fois à la France : en septembre 2014, Figaro Classifieds (qui, rappelons-le, détient notamment Cadremploi et Keljob) et Regionsjob ont chacun acquis la moitié du multidiffuseur français Talentplug. Enfin, dernier épisode en date : le rachat récent (octobre 2015) de l’acteur français Multiposting (qui s’est également développé

à l’international, pour devenir le troisième multidiffuseur mondial, mais assez loin derrière les deux premiers) par l’éditeur allemand SAP, leader mondial des progiciels de gestion intégrés, qui souhaite notamment l’intégrer à l’offre recrutement de SuccessFactors, sa solution de gestion RH.

Equest, qui est très peu présent en France, demeure donc le seul grand acteur indépendant. Les autres acteurs d’envergure ont été absorbés par l’une ou l’autre des entités qu’elles interfaçaient : par des job boards, par des éditeurs de progiciels de gestion de recrutement, ou encore par des groupes intégrant ces deux types d’entités. Pour autant, tous les acteurs concernés par ces rachats ont pour le moment souhaité maintenir les partenariats établis avec les autres entités interfacées. Il n’en est pas moins intéressant de constater que les multidiffuseurs sont petit à petit rachetés par les acteurs auxquels ils s’étaient imposés comme intermédiaires techniques il y a quelques années.

Le modèle économique des multidiffuseurs consiste à facturer aux entreprises l’interfaçage qu’ils opèrent. Ceci se fait en général en fonction du nombre d’offres diffusées et, parfois également, du nombre de sites vers lesquels les offres sont envoyées. Des frais fixes peuvent s’ajouter en cas d’interfaçage avec un progiciel de gestion de recrutement spécifique ou avec une application maison. Rien n’est facturé aux job boards interfacés (ni, le cas échéant, aux éditeurs de progiciels de gestion de recrutement). En règle générale,

les multidiffuseurs n’interviennent pas en tant

qu’intermédiaires commerciaux (comme ont pu le faire les agences de communication RH, cf. Fondeur & Tuchszirer, 2005) : parmi les grands acteurs, seul eQuest semble faire de l’achat en gros d’offres d’emploi auprès des job boards pour les revendre ensuite au détail à ses clients.

Assez naturellement, les outils de multidiffusion sont principalement utilisés par de grandes entreprises, qui diffusent des volumes importants d’offres d’emploi et disposent de moyens pour traiter les importants flux de candidatures reçues en retour. Outre les recruteurs finaux, ces outils sont très utilisés par les intermédiaires traditionnels du marché du travail. En France, ces derniers, qui bénéficient d’une tarification plus attractive, semblent même être les principaux utilisateurs : une thèse Cifre menée au sein de Multiposting (Seguela, 2012) indique que fin 2011, ils comptaient pour pratiquement 60 % des offres diffusées par le service (29 % pour les entreprises d’intérim, 15 % pour les SSII et 14 % pour les cabinets de recrutement).

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Les sites d’annonces classées (classifieds) reprennent le plus souvent le modèle économique de Craigslist, premier du genre fondé en 1995 à San Francisco et comptant aujourd’hui dans les 10 premiers sites web aux Etats-Unis. Sur ce type de support, la publication d’annonces est en général gratuite pour une très large part (d’où la dénomination courante de site d’annonces

gratuites). Mais les clients sont souvent encouragés

à souscrire à des options de visibilité leur permettant de se détacher de la masse de produits/services/emplois disponibles sur le support. De manière alternative ou complémentaire, l’insertion d’annonces peut être payante pour certaines sections : le modèle économique de Craigslist repose ainsi sur la facturation des seules annonces emploi, dans certaines villes du monde (à un tarif très largement inférieur à ceux pratiqués par les job boards).

En France, le site d’annonces classées le plus connu et plus fréquenté est évidemment Leboncoin, qui fait partie des 10 sites web les plus visités en France, toutes catégories confondues. Lancé en 2006, Leboncoin est rapidement devenu un phénomène de société. C’est à partir de 2010-2011 que la section emploi du site, bénéficiant de l’audience très importante de l’ensemble du site, commence à être présentée dans la presse spécialisée RH puis généraliste comme un support concurrent des job boards, mais également du site de Pôle emploi. Sa section emploi est aujourd’hui le troisième site emploi en France en termes d’audience, après Pôle emploi et Indeed (elle a même occupé la seconde position jusque récemment et reste très proche

du second - Indeed). Nous consacrerons cette partie principalement à cet acteur en raison de sa position exceptionnelle sur le marché du travail en ligne, non seulement en termes d’audience, mais également en termes de stratégie : jusqu’à présent, il s’est tenu totalement à l’écart des dynamiques écologiques observées autour de la circulation des offres d’emploi. Par ailleurs, rares sont les acteurs de ce type ayant connu en France un développement important dans le domaine de l’emploi. On ne peut guère citer que Vivastreet, dont la section emploi se situe parmi les 15 premiers sites emploi français les plus visités. Nous évoquerons ce cas en contrepoint du Bon Coin, dans la mesure où sa stratégie est radicalement différente en ce qui concerne sa relation aux autres intermédiaires du marché du travail en ligne.

Alors que les grands job boards demeurent marqués par une prédominance des offres d’emploi destinées aux cadres, les sites d’annonces classés sont au contraire très fortement orientés vers l’emploi non-cadre et les « petits-boulots ». Ils présentent par ailleurs la caractéristique de peu structurer les annonces en amont. C’est en particulier le cas du Bon Coin, qui revendique pour l’ensemble du site une catégorisation minimale et « bottom-up » : dans un contexte où environ 90 % des requêtes s’appuieraient sur les mots-clés recherchés en plein texte, la volonté des responsables du site est de limiter la taille des référentiels et de les revoir régulièrement en fonction des requêtes les plus populaires.

LES SITES D’ANNONCES CLASSÉES :

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