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Chaînes d’intermédiation : entre intermédiation passive et intermédiation active source de tr

L’accès plus ou moins « empêché » de certains acteurs à certains segments du marché du travail (« l’offre » ou « la demande ») conduit d’autres intermédiaires à se positionner comme des points de passage obligé et à devenir des « intermédiaires d’intermédiaires » qui mettent en relation des intermédiaires de second rang. Ces intermédiaires de second rang ont un accès plus indirect à un des versants du marché du travail. Cette fonction d’intermédiaire d’intermédiaires concerne par exemple Pôle emploi, Cap emploi, des facilitateurs de clause, des missions locales. Plusieurs facteurs jouent sur cette centralité relative :

Un effet lié à une masse critique de certains

opérateurs (c’est par exemple le cas pour Pôle emploi).

Un effet lié à la spécificité des publics (c’est le cas pour les missions locales qui sont vues comme une source d’accès à un public « jeunes » ou pour les Cap emploi interlocuteurs privilégiés pour l’accès au public de demandeurs d’emploi travailleurs handicapés).

Un effet lié aux jeux de conventionnement (c’est le cas des conventions de partenariat renforcé entre Pôle emploi et la mission locale ou entre Pôle emploi et Cap emploi), au format des marchés publics (c’est le cas par exemple des marchés de sous- traitance passés entre Pôle emploi et les OPP qui conditionnent le flux des publics accompagnés) ou aux effets des partenariats plus ou moins formalisés.

Un effet lié à l’arrivée récente de certains opérateurs dans le champ de l’intermédiation des acteurs de l’emploi, ce qui ne leur assure pas encore la constitution d’un réseau suffisant pour opérer en toute autonomie (c’est le cas par exemple des organismes de formation).

Ce statut d’intermédiaires d’intermédiaires est

néanmoins variable. Ainsi certains d’entre eux peuvent, à un moment donné, être un point de passage obligé, puis à un autre moment être un intermédiaire de second rang. Cap emploi illustre bien ce cas : il est à la fois un intermédiaire d’intermédiaire pour les ETT ou les missions locales quand ces acteurs cherchent à mobiliser un public TH (travailleur handicapé), et à la fois un intermédiaire de second rang vis-à-vis de Pôle emploi dans le cadre de la convention de partenariat renforcé. La variabilité de ce statut dépend aussi des configurations locales : par exemple sur le territoire 2, la structure RSA est un intermédiaire de second rang pour accéder à « l’offre », ce qui n’est pas le cas sur le territoire 1.

Comme l’a montré l’économie des conventions, l’activité des intermédiaires consiste en grande partie à accumuler de l’information et à la mettre à disposition de leurs interlocuteurs (Bessy et Eymard-Duvernay 1997)16. Mais dans les cas d’intermédiation en cascade

tels que nous avons pu les observer, le degré d’accumulation de l’information réalisé par les intermédiaires est variable. On peut distinguer des formes d’intermédiation « passives » et des formes d’intermédiation plus « actives ».

Par formes d’intermédiation passive, nous entendons le fait qu’un intermédiaire soit mobilisé par un autre intermédiaire sans produire, au moment où il est mobilisé, d’information ou de dispositif supplémentaire dans le but de structurer le marché. A l’extrême, l’intermédiaire d’intermédiaires peut même être mobilisé sans le savoir. Le recours des ETT au site de pole-emploi.fr pour collecter des candidats potentiels en est un exemple. Sur le territoire 1, l’ETT « ruse » en publiant régulièrement une annonce qui relève d’un besoin permanent afin d’attirer des candidats, contrevenant ainsi aux règles d’utilisation du support technique d’accumulation d’information de Pôle emploi (cf. fiche ETT). De la même façon, pour accéder cette fois à l’offre d’emploi, une des directrices d’agence de Cap emploi rencontrée sur le territoire 2 essaye de repérer les entreprises auxquelles elle pourrait « vendre » des contrats aidés en direction des TH en regardant sur le site de Pôle emploi les entreprises qui s’affichent comme recrutant en contrat aidé.

Mais les intermédiaires d’intermédiaires sont le plus souvent sur un registre d’intermédiation active, c'est-à- dire qu’ils produisent une information supplémentaire au moment où les autres acteurs accèdent au versant

16. (Bessy et Eymard-Duvernay, 1997) donnent cette définition de la notion d’intermédiaire : « par "intermédiaires" nous entendons tous les acteurs et (ou) support (techniques, gestionnaires, etc.) qui participent à l’accumulation de l’information sous certains " formats" » (note de bas de page n°2, p. XII).

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du marché du travail qui leur fait défaut. Dans ce type de cas, l’enjeu – et la difficulté à laquelle font face les acteurs – est de s’entendre sur des critères de jugement commun et d’assurer la production d’information qui soit utile aux intermédiaires de second rang.

Du côté de l’« offre », le facilitateur de clause produit une connaissance des marchés publics clausés en cours et à venir et va, dans certains cas (territoire 1), jusqu’à organiser et structurer le recours des entreprises aux différentes modalités de satisfaction des clauses d’insertion. Il contraint de ce fait grandement les structures qui dépendent de son action (cf. fiche ETTI). Du côté de la « demande », les intermédiaires

d’intermédiaires adressent des demandeurs d’emploi (par exemple vers le secteur de l’IAE, les organismes de formation, Cap emploi ou les OPP) sur la base d’une orientation qui repose la plupart du temps sur un diagnostic : l’orientation est décidée suite à un entretien avec la personne et vise la construction d’une logique de parcours (besoin d’accompagnement ou de prestation spécifique, zone d’habitation particulière, capacité à exprimer ou non un projet un professionnel). Cette décision est d’ailleurs souvent matérialisée par une fiche de liaison ou la saisie d’informations spécifiques sur des logiciels de gestion.

Cette intermédiation active est néanmoins questionnée, si ce n’est critiquée, par les intermédiaires de second rang qui jugent les critères d’orientation utilisés par l’intermédiaire d’intermédiaire peu compatibles avec leurs propres critères d’intervention. Les motifs d’orientation des demandeurs d’emploi sont souvent rediscutés et les acteurs rencontrés énoncent qu’ils sont souvent surpris du public qui leur est adressé. On peut citer par exemple les OPP qui parfois considèrent que les demandeurs d’emploi sortent de la cible de la prestation qu’ils délivrent et estiment que les personnes leur ont été adressées avant tout pour gérer les

portefeuilles des conseillers Pôle emploi. On peut également citer les Cap emploi qui considèrent qu’on leur adresse un public uniquement sur la base de l’étiquette TH sans prendre en compte que leur spécificité est de proposer un accompagnement à l’emploi (cf. fiches acteurs correspondantes).

Ce décalage possible des profils adressés, conduit les intermédiaires de second rang à « reprendre la main » en construisant leur propre système de collecte d’information pour évaluer les publics accueillis et ne pas être passifs vis-à-vis de ces « ressources

préconstituées » par les intermédiaires d’intermédiaires. Un des points qui ressort de l’enquête est l’importance

des étapes de tris qui sont réalisées. Elles prennent plusieurs formes :

Par exemple la mise en place d’informations collectives : quand des demandeurs d’emploi sont adressés par un ou plusieurs acteurs, les

intermédiaires de second rang commencent par présenter leur offre de service. Cela produit deux effets de sélection en cascade. Le premier est lié à une sélection par la présence (beaucoup des demandeurs d’emploi conviés aux réunions ne viennent pas). Le second est lié à une sélection qui s’opère sur la base de l’information diffusée ce qui conduit le demandeurs d’emploi à s’interroger lui-même sur la pertinence du choix qui a été opéré de l’orienter vers tel ou tel opérateur. Ce type de dispositif est par exemple mobilisé par un des organismes de formation, un des OPP ou un des Cap emploi rencontrés.

La mise en place d’entretiens de diagnostic avec le demandeur d’emploi pour évaluer s’il a le « bon » profil. Dans ce cas, c’est le conseiller qui se forge sa propre opinion compte tenu du « profil » et du projet professionnel de la personne. C’est par exemple ce que mobilise Cap emploi pour vérifier « la

proximité du TH au marché du travail » ou l’ETT pour s’assurer de la cohérence et de la motivation de l’intérimaire.

La mise en place de tests : tests de langue, tests sur la capacité à s’orienter dans l’espace, tests de sécurité … Ces outils sont notamment mobilisés par les ETT ou les organismes de formation rencontrés. Ces dispositifs peuvent être complémentaires les uns des autres : le demandeur d’emploi commence par suivre une information collective, puis accède à un entretien individuel qui peut conduire, ensuite, à une confirmation de son positionnement via une procédure de test.

Ces chaînes d’intermédiation en cascade conduisent donc à opérer un tri successif des bénéficiaires (tri lors du choix d’orientation suivi d’un tri lors de l’arrivée au sein de la nouvelle structure) sans qu’il y ait toujours de solutions proposées aux demandeurs d’emploi évincés. Le positionnement d’un intermédiaire d’intermédiaire puis d’un intermédiaire de second rang dans une démarche d’intermédiation « active » provoque la mise en place de dispositifs - d’équipements - qui produisent une information censée éclairer les conseillers

notamment sur la distance à l’emploi du public accueilli, des informations qui servent in fine à sélectionner les

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DYNAMIQUES TERRITORIALISÉES DU CHAMP DE L’INTERMÉDIATION / ÉTUDES ET RECHERCHES

publics jugés les plus conformes avec la mission de l’organisme de second rang.

Pour les intermédiaires de second rang, ce tri n’est pas sans lien avec les impératifs de placement imposés par les financeurs publics à l’égard de leurs prestataires. Ce processus contribue à déplacer les modèles

d’intermédiation des acteurs de l’emploi aux dépens des publics les plus en difficultés. Si la question du tri des bénéficiaires des politiques d’emploi n’est pas nouvelle (Benarrosh 2000), la multiplication des indicateurs de reporting centrés sur les taux de sorties positives, avec des objectifs à atteindre qui

conditionnent le maintien des financements octroyés, renforcent la pression exercée sur les accompagnateurs. Dans un contexte de pénurie d’emploi (et donc d’un nombre important de demandeurs d’emploi), le rapport de force conduit à faire porter l’ajustement sur les demandeurs d’emploi et à sélectionner ceux qui sont considérés comme les « plus proches de l’emploi ». La centralité de l’accès à l’emploi comme objectif immédiat (c'est-à-dire à atteindre en quelques semaines) est souvent mise en avant par les intermédiaires pour justifier que le traitement des « freins périphériques » soit assumé par d’autres structures relevant plus « du domaine social ».

Cette rhétorique des « freins périphériques à l’emploi », de « l’employabilité », de « la proximité à l’emploi » peut, de ce point de vue, se retourner contre les publics. Il en résulte une certaine difficulté à organiser un véritable parcours d’insertion des demandeurs d’emploi, car chaque structure est incitée à n’accompagner que les publics les moins éloignés. Les chaînes

d’intermédiation décrites, qui pour une part, peuvent être des chaînes qui, à l’origine, cherchent à construire un parcours d’accompagnement (par exemple un accompagnement dans le cadre du RSA, puis au sein de l’IAE pour aller ensuite vers du « droit commun ») contribuent à réduire « l’accompagnabilité » (Garda, 2012) de publics déjà évincés du marché du travail. L’importance du tri opéré joue contre une division du travail au sein des professionnels de l’accompagnement pourtant présente dans les textes de loi. Le cas de l’IAE sur le territoire 1 est sur ce point assez illustratif comme nous allons le voir.

Le « on en fait pas du social » des

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