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LA CEE SANS ENTHOUSIASME (1955-MARS 1957)

A. L A ZLE : COMPLÉMENT OU ALTERNATIVE ?

1. La ZLE relancée par Suez.

À Londres, les événements dramatiques de Suez conduisent également à une relance de la construction européenne. Harold Macmillan , le chancelier de

173. Laurent Warlouzet, Quelle Europe économique pour la France ?…, op. cit., p. 152-3 ; Yohann Morival, L’intégration européenne…, op. cit., p. 52-60.

l’Échiquier, parvient à imposer la ZLE à un cabinet auparavant très réticent174.

Quels que soient ses objectifs – briser ou compléter le Marché commun, la ZLE constitue une rupture certaine dans la politique britannique. Elle mani- feste la réorientation commerciale et industrielle de la Grande-Bretagne du Commonwealth vers l’Europe continentale, selon un mouvement déjà entamé par la France. Le mouvement était cependant plus facile pour les Français tant pour des raisons politiques (le traumatisme de 1940 sanctionne le déclin de la France) qu’économique (marché préférentiel colonial plus étroit).

Les deux conséquences de Suez, l’échec de l’opération militaire et la relance de la négociation du Marché commun, poussent la Grande-Bretagne à s’engager pleinement dans la promotion de son projet de ZLE car, auparavant, Londres comptait toujours sur la possibilité d’une rupture des négociations par Paris175.

Ainsi c’est bien le succès du Marché commun qui relance les projets d’intégra- tion économique de l’Europe. La ZLE ne peut se comprendre sans le Marché commun, car elle constitue une réponse du principal perdant de cet accord, la Grande-Bretagne, qui se sent isolée économiquement et politiquement.

Concrètement, cette relance se manifeste par une lettre de Macmillan à son homologue français, Ramadier , demandant l’ouverture de discussions sur la ZLE avant la conclusion du traité de Marché commun, pour être sûr que ce dernier soit compatible176. Cette lettre suscite un débat au sein de l’administra-

tion française sur la réponse à y apporter. Robert Marjolin estime qu’il faut se contenter d’une réponse dilatoire177. Au contraire Bernard Clappier , le directeur

de la DREE , propose d’engager des conversations approfondies pour faciliter ce qu’il perçoit comme une possibilité « d’inclure les Anglais dans le Marché commun178 ». Clappier estime donc que le projet de ZLE ne menace pas le

Marché commun. Au contraire, Marjolin paraît s’inquiéter de la perspective de la conclusion prochaine d’une ZLE et estime vraisemblablement qu’il faut donner la priorité à la négociation sur le Marché commun. Finalement, aucune suite n’est donnée à cette proposition britannique qui s’inscrit d’ailleurs dans une offensive plus générale, le ministre des Affaires étrangères italien Gaetano Martino recevant également le même courrier179.

174. Wolfram Kaiser, Using Europe…, op. cit., p. 78 et p. 83. ; Alan Milward, The Rise and Fall…, op. cit., p. 262.

175. Alan Milward, The Rise and Fall…, op. cit., p. 246.

176. AMAE, PA-AP 314, lettre de Macmillan à Ramadier, 30 novembre 1956. 177. ARAM, 52 J 115, projet de réponse de Robert Marjolin, pas de date. 178. ARAM, 52 J 115, note manuscrite de Bernard Clappier, pas de date.

179. Francesca Fauri, « Italy and the Free Trade Area Negotiations, 1956-1958 », in Revue d’histoire de l’intégration européenne, 1998-2, p. 49.

Sur le fond, la Grande-Bretagne défi nit une position fondée sur l’exclusion du champ de la ZLE de l’agriculture et des relations commerciales avec le Commonwealth . C’est la seule solution possible que les promoteurs de la ZLE ont trouvée pour convaincre un cabinet et une administration longtemps réti- cents180. La Grande-Bretagne développe ainsi un projet de coopération euro-

péenne qui satisfait ses seuls intérêts, alors que le rapport Spaak était issu d’une confrontation des positions des Six. La ZLE reste toutefois très vague, tant sur le plan économique qu’institutionnel.

Lors du conseil OECE des 12 et 13 février 1957, il est décidé de créer des groupes d’experts issus des différents gouvernements pour étudier le projet de ZLE, qui entre ainsi dans une nouvelle phase181. La Grande-Bretagne profi te de

son statut de partenaire incontournable en Europe pour imposer son projet. Elle s’appuie sur l’anglophilie de nombreux responsables européens, notamment les Français Mollet et Pineau , mais aussi de la déception qu’a pu représenter le Marché commun chez certains responsables des Six comme le ministre de l’Économie allemand Ludwig Erhard . Ce dernier a d’ailleurs critiqué publique- ment un futur traité de Marché commun trop peu libéral à son goût au début de 1957182.

Par rapport à la négociation du Marché commun, trois différences sont visibles dans le cas de la ZLE. Tout d’abord, la méthode de négociation n’est pas défi nie, alors que la résolution de Messine avait suscité la création du comité Spaak. Ensuite, aucune base commune n’existe, à la différence du rapport Spaak. Enfi n, la ZLE n’est pas, selon les termes du communiqué de l’OECE de février 1957, une négociation entre des pays considérés de manière individuelle, mais entre six pays réunis en un marché commun, et les autres pays membres de l’OECE . La ZLE se défi nit donc par rapport au Marché commun, comme une réponse et un complément à ce dernier. Ainsi, alors même que le traité de Rome est signé, le 25 mars 1957, un autre projet de coopération économique européenne est lancé.

180. Wolfram Kaiser, Using Europe…, op. cit., p. 75. ; Alan Milward, The Rise and Fall…, op. cit., p. 243-4.

181. DDF, 1957-I, doc n° 155, télégramme de Christian Pineau aux représentants diplomatiques français à l’étranger, 20 février 1957.

182. DDF, 1957-I, doc n° 127, télégramme de Christian de Margerie (Bonn) à Christian Pineau, 12 février 1957 ; idem, doc n° 212, télégramme de Maurice Couve de Murville (Bonn) à Christian Pineau, 6 mars 1957, idem doc n° 242, télégramme de Maurice Couve de Murville (Bonn) à Christian Pineau, 15 mars 1957.

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