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DANS LES NÉGOCIATIONS EUROPÉENNES (MAI-DÉCEMBRE 1958)

A. U NE NOUVELLE INITIATIVE BRITANNIQUE :

L

OPÉRATION

U

NICORN

À partir de l’été 1958, les Britanniques commencent à envisager un retour à la convertibilité de la livre sous le nom d’opération Unicorn (Licorne). Cet objectif ancien avait été retardé depuis 1955 par une conjoncture défavorable. Il est relancé par le chancelier de l’Échiquier, Derrick Heathcoat-Amory , par un mémorandum diffusé le 8 septembre 1958120. Amory utilise l’argument

classique du renforcement du rôle international de la livre et y ajoute des consi- dérations liées à des échéances du FMI . Ainsi, des facilités de crédit du FMI à la Grande-Bretagne doivent être renouvelées à la fi n de l’année 1958 et un retour à la convertibilité améliorerait la position britannique dans ces négocia- tions. Le mémorandum envisage ce mouvement pour la fi n de l’année 1958.

117. Jacques Rueff, Combats…, op. cit., p. 249-250.

118. Décalage relevé in O. Feiertag, Wilfrid Baumgartner…, op. cit., p. 562. 119. N. Carré de Malberg, Entretiens avec Roger Goetze…, op. cit., p. 344.

120. PRO, PREM 11/2671, 180-182, mémorandum du chancelier de l’Échiquier du 8 septembre 1958.

À l’encontre du retour à la convertibilité, il soulève plusieurs arguments, le principal portant sur le choix de politique économique intérieure, avec le lancinant débat entre ceux qui privilégient la croissance et ceux qui insistent sur l’équilibre fi nancier. Ainsi, il apparaît que le retour à la convertibilité de la livre est envisagé principalement dans un double contexte national et international, car les négociations européennes sont à peine évoquées. De même, lors de la réunion interministérielle du 11 septembre 1958 suivant ce mémorandum, la ZLE n’est évoquée que de manière très secondaire121.

Les représentants britanniques sondent ensuite leurs partenaires sur un éven- tuel retour à la convertibilité de la livre. Ce sont les Européens rencontrés par les Britanniques lors de l’assemblée générale du FMI à New Delhi du 6 au 10 octobre 1958, qui replacent cette opération dans le cadre européen122. Ils

soulignent en effet l’impérieuse nécessité de tenir compte de la France, qui pourrait se sentir attaquée par un mouvement général de retour à la convertibilité des monnaies auquel elle ne semble pas en mesure de participer.

Le 28 octobre 1958, une nouvelle réunion présidée par Macmillan témoigne de l’évolution des esprits à Londres123. Le problème spécifi que de la France

est désormais pris en compte, et a fait l’objet d’une note spécifi que dont les conclusions sont reprises par un mémorandum du chancelier de l’Échiquier 124.

Elle conclut que la France devrait vraisemblablement se résoudre à revenir elle aussi à la convertibilité du franc français pour des raisons de prestige. La Grande- Bretagne devrait l’aider par des soutiens dans d’éventuelles demandes de crédit. Mais lors de la réunion du 28 octobre 1958, le Premier ministre Macmillan a une toute autre interprétation des problèmes européens125. Selon lui, le retour

à la convertibilité pourrait constituer un prétexte pour la France pour rompre les négociations ZLE, ce qui devrait entraîner de la part de la Grande-Bretagne des mesures de rétorsions envers le Marché commun.

La Grande-Bretagne hésite sur l’attitude à tenir face à la France. Le principal intéressé de la négociation ZLE , Reginald Maudling , veut repousser Unicorn en

121. PRO, PREM 11/2671, 169-172, compte rendu de la réunion présidée par le Premier ministre du 11 septembre 1958.

122. PRO, PREM 11/2671, 153-155, mémorandum du chancelier de l’Échiquier en vue de la réunion du 28 octobre 1958 ; J. Kaplan, G. Schleiminger, The European Payments Union…, op. cit., p. 306.

123. PRO, PREM 11/2671, 133-36, compte rendu d’une réunion présidée par le Premier ministre, 28 octobre 1958.

124. PREM 11/2671, 118-124, note Treasury établie en liaison avec la Banque d’Angleterre, « Unicorn/France », 27 octobre 1958.

125. PRO, PREM 11/2671, 133-36, compte rendu de la réunion présidée par le Premier ministre le 28 octobre 1958.

attendant une amélioration des discussions franco-britanniques sur la ZLE126. À

la réunion présidée par le Premier ministre du 6 novembre 1958, il est d’ailleurs décidé de repousser l’opération pour éviter que la France en profi te pour bri- ser les négociations ZLE 127. La première rupture de la négociation ZLE, le

14 novembre 1958, ne clarifi e pas la situation. Lors de la réunion du 27 novembre 1958, le gouvernement britannique estime qu’il faut attendre les contre- propositions des Six pour décider de sa stratégie128.

La situation en Grande-Bretagne est donc relativement confuse. Le chancelier de l’Échiquier et la Banque d’Angleterre soutiennent très fortement le retour à la convertibilité pour des raisons mondiales. Macmillan , de son côté, reste sur une position agressive. Il paraît concentré sur la négociation ZLE et même paralysé par elle. Au fur et à mesure que le calendrier avance, la capacité d’initiative de Londres se réduit, tant sur le plan mondial, comme le chancelier a donné des indices sur le retour prochain à la convertibilité, que sur le plan européen dans la négociation ZLE . En fait, Londres souffre d’une contradiction entre sa stratégie mondiale, qui repose sur la coopération monétaire et commerciale, et sa stratégie européenne, qui se crispe sur un affrontement politique.

Le projet de retour à la libre convertibilité de la livre constitue en tout cas une pression supplémentaire sur les décideurs français pour deux raisons. D’une part, le retour à la convertibilité de la livre entraînerait très rapidement celui des autres monnaies européennes. La France serait vraisemblablement le seul grand pays d’Europe occidentale à ne pas pouvoir suivre ce mouve- ment, en raison de la faiblesse de sa balance des paiements. L’isolement de la France serait ainsi patent. D’autre part, le retour à la convertibilité devrait entraîner la fi n de l’UEP et son remplacement par l’AME (Accord monétaire européen) . Pour dissoudre l’UEP, l’accord des pays représentant cinquante pour cent au mois des quotas est nécessaire, or si d’autres pays européens importants comme la RFA suivent la Grande-Bretagne, ce niveau sera atteint. La France pourrait donc se voir imposer la fi n de l’UEP, même contre son gré. Les clauses concernant l’attribution de crédit dans l’AME sont beaucoup plus strictes que dans l’UEP , ce qui affaiblit la situation des pays débiteurs, comme la France.

126. J. Fforde, The Bank of England…, op. cit., p. 597 ; J. Kaplan, G. Schleiminger, The European Payments Union…, op. cit., p. 310.

127. PRO, PREM 11/2671, 98-105, compte rendu de la réunion présidée par le Premier ministre, 6 novembre 1958.

128. PRO, PREM 11/2671, 96-97, compte rendu de la réunion présidée par le Premier ministre, 27 novembre 1958.

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