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Le lobbying d’experts de l’automobile dans la négociation fi nale.

LA CEE SANS ENTHOUSIASME (1955-MARS 1957)

C. L E PATRONAT DIVISÉ FACE AU M ARCHÉ COMMUN :

2. Le lobbying d’experts de l’automobile dans la négociation fi nale.

L’industrie automobile française est particulièrement dynamique à cette époque. Elle bénéfi cie à la fois d’une forte expansion tant de la production que de ses exportations (elles doublent entre 1951 et 1957), et de structures forte- ment concentrées (4 constructeurs assurent 97 % de la production)147. Dans ce

secteur marqué par le mode de production fordiste, les investissements sont très lourds et nécessitent de longues séries pour pouvoir être rentables, d’où l’importance de disposer d’un marché large.

Les deux organisations représentant les constructeurs automobiles fran- çais publient rapidement des documents de synthèse sur le projet de Marché commun148. Ils insistent sur le problème des investissements directs étrangers

dans le Marché commun, et notamment de ceux provenant des fi rmes améri- caines149. Ces dernières étant beaucoup plus grandes, elles profi tent de coûts de

production plus faibles, en raison du caractère fortement standardisé de la pro- duction automobile. Si elles investissent massivement en Europe continentale, elles pourront produire à des prix très bas. Dès lors, le Groupement syndical des constructeurs français d’automobile demande la création d’une commission de contrôle des investissements étrangers, à caractère paritaire (comprenant des représentants des États et des industriels), avec droit de veto possible150. La

Chambre syndicale des constructeurs d’automobiles formule des revendications

145. ACNPF, 72 AS 1590, note de Hommey, 27 mars 1957 ; ASCGI, 1991.004, volume 2, lettre de Maurice Faure à Georges Villiers du 4 juin 1957.

146. AMAE, DECE 661, lettre de Georges Villiers à Maurice Faure, 25 janvier 1957.

147. Janos Szokoloczy-Syllaba, Les organisations professionnelles françaises…, op. cit., p. 209- 211.

148. AN, F60, 3114, mémorandum sur le problème de l’implantation des fi rmes étrangères, décembre 1956 ; AMAE, DECE 628, folio 33, lettre de François Valéry accusant réception pour la DAEF le 21 décembre 1956 ; AN, F60, 3114, lettre de Pierre Lemaigre au SGCI, 15 janvier 1957.

149. Pour plus de détails sur l’action des constructeurs automobiles français mais aussi italiens, voir : Sigfrido Ramirez, Public Policies, European Integration and Multinational Corporations in the Automobile Sector. The French and Italian Cases in a comparative perspective 1945-1973, thèse, Institut universitaire européen, 2007, p. 485-525.

150. AN, F60, 3114, mémorandum sur le problème de l’implantation des fi rmes étrangères, décembre 1956 ; AMAE, DECE 628, folio 33, lettre de François Valéry accusant réception pour la DAEF le 21 décembre 1956.

équivalentes, mais sous une forme plus modérée151. Elle regroupe d’ailleurs

des constructeurs plus tournés vers l’exportation comme Renault et Simca152.

Elle les intègre en effet dans une note d’ensemble sur le Marché commun qui souligne les bénéfi ces attendus de cet accord de libéralisation des échanges.

Une deuxième forme d’intervention plus directe apparaît progressivement, avec des interventions directes de Renault. Les archives laissent en effet appa- raître des traces directes de contacts entre la régie automobile et les négociateurs français153. Renault est dirigée à l’époque par Pierre Dreyfus , proche de Robert

Marjolin depuis les années 1930154. La correspondance avec l’administration

s’effectue par l’intermédiaire du directeur des relations extérieures de Renault, Maurice Bosquet , lui-même ancien fonctionnaire de l’OECE au moment où Marjolin en était le secrétaire général155. Renault entreprend une action auprès

de Robert Marjolin et de Jean-François Deniau (SGCI ) en leur transmettant des documents émanant de l’OECE démontrant que tous les pays ont des procédures de contrôle des investissements directs étrangers156. L’idée serait de mettre en

place un système communautaire de surveillance. Par ailleurs, Renault demande à être consulté lorsque le problème du tarif extérieur commun des pièces déta- chées sera négocié. En effet, s’il est beaucoup plus bas que le tarif des voitures complètes, ce sera une incitation pour une entreprise extracommunautaire à installer une usine de montage très compétitive au sein de la CEE. De plus, le 18 mars 1957, soit une semaine avant la signature du traité de Rome, la régie nationale distribue à ses cadres une fi che explicative sur l’automobile et le Marché commun157. L’attitude favorable de Renault à une libération des échanges

151. AN, F60, 3114, lettre de Pierre Lemaigre, président de la Chambre syndicale des constructeurs d’automobile à Jacques Donnedieu de Vabres, SGCI, 15 janvier 1957.

152. Janos Szokoloczy-Syllaba, Les organisations professionnelles…, op. cit.

153. AN, F60, 3114, Telex Alby (SGCI) à Donnedieu de Vabres (SGCI), 21 janvier 1957 ; ASGCI 1991.004, art 1, lettre de M. Bosquet (Renault) à Donnedieu de Vabres du 26 janvier 1957. Pour plus de détails sur les interventions de Renault, voir : Sigfrido Ramirez, Public Policies…, op. cit. p. 485- 486, 501-504, 508-518.

154. Robert Marjolin, Le travail d’une vie. Mémoires, 1911-1986, Robert Laffont, Paris, 1986, p. 33 ; Stéphane Clouet, De la rénovation à l’utopie socialiste. Révolution constructive, un groupe d’intellectuels socialistes des années 1930, Presses Universitaires de Nancy, Nancy, 1991.

155. Maurice Bosquet (né en 1914) est inspecteur de la Société de contrôle des coopératives de consommation (1936-1943). Il est affecté à la direction des Industries mécaniques au ministère de la Production industrielle (1943-1948) puis devient secrétaire du comité de l’équipement de l’OECE (48-54). Il est ensuite attaché à la direction générale puis directeur des relations extérieures de Renault (1954-1959).

156. ASGCI 1991.004, art 1, lettre de Renault (M. Bosquet) à Deniau du 7 février 1957. 157. ASGCI 1991.0004, article 1, note de 32 P. : « L’automobile et le Marché commun. Modalités techniques de réalisation de l’union douanière européenne » ; note du 18 mars 1957 adressée aux cadres de Renault, et transmise à Jean-François Deniau par Maurice Bosquet.

dans le cadre communautaire des Six s’était déjà exprimée avec la CECA, qui il est vrai ne concernait pas directement le secteur de l’automobile, car le PDG de l’époque, Pierre Lefaucheux , voulait obtenir une baisse du prix de l’acier158.

L’intégration économique à Six est donc perçue depuis ses débuts comme un levier de modernisation des structures industrielles. C’est moins la concurrence européenne qu’américaine qui est crainte. Un lobbying se met en place auprès des négociateurs français dans une démarche d’expertise. Au contraire, d’autres secteurs se montrent beaucoup plus méfi ants envers le Marché commun.

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