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L A POSITION DE FORCE DU PRÉSIDENT DU C ONSEIL DE G AULLE L’arrivée au pouvoir du général de Gaulle provoque une profonde rupture

DANS LES NÉGOCIATIONS EUROPÉENNES (MAI-DÉCEMBRE 1958)

B. L A POSITION DE FORCE DU PRÉSIDENT DU C ONSEIL DE G AULLE L’arrivée au pouvoir du général de Gaulle provoque une profonde rupture

dans le processus de décision en matière de politique extérieure car le nouveau président du Conseil peut s’appuyer sur une légitimité personnelle forte, acquise pendant la deuxième guerre mondiale. À la faveur des troubles en Algérie, le

général de Gaulle obtient ainsi les pleins pouvoirs, votés pour six mois les 2 et 3 juin 1958 par les parlementaires. Par la suite, il est renforcé par quatre victoires électorales massives en 195815.

Fort de cette légitimité exceptionnelle, de Gaulle peut contrôler étroitement le processus de décision en matière de politique européenne. Au contraire, pen- dant la majeure partie de la IVe République, des thèses récentes ont démontré le

caractère erratique du processus de décision en matière de politique extérieure, et les graves défaillances de l’arbitrage politique16. Certes, sous le gouverne-

ment Mollet , le président du Conseil impose un choix politique clair en faveur du Marché commun à des élites majoritairement hostiles, mais sa politique économique créé des déséquilibres fi nanciers structurels majeurs. À partir de juin 1958, la situation change : les décisions principales en matière de politique européenne sont prises par de Gaulle et appliquées par un gouvernement qui n’a pas le loisir de les contester.

Le gouvernement mis en place refl ète la position prééminente du général de Gaulle et un choix clair de la CEE. Le nouveau ministre des Finances, Antoine Pinay , est connu pour sa capacité à rétablir la confi ance dans les fi nances fran- çaises, une tâche cardinale et complémentaire du rétablissement de la confi ance politique incarnée par de Gaulle . D’autre part, le gouvernement comprend un nombre très important de hauts fonctionnaires sans expérience politique17. Le

nouveau ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville , incarne cette rupture. Inspecteur des fi nances passé à Alger en mars 1943, il entre au Quai d’Orsay par la grande porte en 1945, comme directeur des Affaires politiques, pour mettre en pratique la politique du président du Conseil de Gaulle et de son ministre Georges Bidault , fondée sur une grande méfi ance à l’égard de l’Allemagne18. Robert Schuman l’écarte en le nommant ambassadeur

au Caire (1950-1954)19. Après un passage par Washington (1955-1956), il est

nommé ambassadeur de France à Bonn où il entretient des rapports étroits avec

15. Lors du référendum du 28 septembre 1958, des élections législatives des 23 et 30 novembre 1958 et enfi n pour l’élection présidentielle du 21 décembre 1958.

16. François David, John Foster Dulles, secrétaire d’État, et la France (1953-1959). Les relations franco-américaines entre idéalisme politique et réalités militaires, thèse dir. Georges-Henri Soutou, Univ. Paris IV, 2006 ; Jenny Rafl ik, Les décideurs français face à l’Alliance atlantique, 1947-1954, thèse dir. Robert Frank, Université Paris I, 2006.

17. Outre le cas de Maurice Couve de Murville, parmi les autres hauts fonctionnaires devenus ministres fi gurent notamment le ministre de l’Intérieur (Émile Pelletier, préfet) et le ministre des Armées (Pierre Guillaumat, haut fonctionnaire).

18. M. Vaïsse, La Grandeur…, op. cit., p. 308. 19. M. Vaïsse, La Grandeur…, op. cit., p. 309.

Adenauer 20. De Gaulle nomme un véritable expert des affaires étrangères et

des relations franco-allemandes. Pendant la négociation du traité de Rome, il avait plaidé pour la modération des exigences françaises en démontrant la per- tinence de certaines critiques allemandes21. En matière européenne, Couve de

Murville est renforcé par l’absence de secrétaire d’État aux Affaires étrangères chargé plus spécialement de ce dossier comme Maurice Faure l’était. Dans ce dossier, il s’appuie sur l’expertise d’un proche, le directeur de la DAEF , Olivier Wormser 22.

Le choix de Couve de Murville comme ministre des Affaires étrangères ne s’imposait pas. Selon Michel Debré , le général de Gaulle avait un temps pensé lui confi er la charge du Quai d’Orsay avant de le nommer fi nalement à la Justice23. Certes, l’urgence de rédiger une nouvelle constitution légitime la

nomination de Debré, par ailleurs issu du Conseil d’État , à ce poste. Mais il faut aussi considérer que l’arrivée de Michel Debré au ministère des Affaires étrangères aurait constitué un signal très négatif envers la CEE. Debré a en effet un parcours européen très contrasté. Auteur de diverses publications pro- européennes à la fi n des années quarante, il est devenu le principal contempteur de l’Europe supranationale dans les années cinquante24. Il s’oppose vertement

à l’Euratom . Il est moins hostile à la CEE mais la nomination de Debré au Quai d’Orsay aurait pu infl échir la politique européenne de la France dans un sens plus hostile à la coopération à Six. Le garde des Sceaux n’a toutefois pas l’occasion de manifester ses préférences européennes pendant cette période car il se concentre sur son travail constitutionnel25.

Le nouveau gouvernement doit s’efforcer de régler les trois dossiers qui ont provoqué la chute des gouvernements précédents : le problème algérien – et, au-delà, le dossier colonial, la réforme des institutions, la restauration fi nan- cière. Ces trois éléments sont indissociables pour la restauration du crédit de la France. La question de la coopération économique européenne est au centre des trois dossiers. La CEE est à la fois la condition et le cadre d’expression de l’indépendance de la France. Le général de Gaulle ne peut se désintéresser d’un élément fondamental dans l’établissement de nouvelles bases pour la puissance française.

20. M. Vaïsse, La Grandeur…, op. cit., p. 309. 21. Voir le chapitre I.

22. Robert Marjolin, Le travail d’une vie…, op. cit., p. 258 et p. 311 ; Henri Froment-Meurice, Vu du Quai. Mémoires 1945-1983, Fayard, Paris, 1998, p. 303.

23. M. Debré, Trois républiques pour une France…, op. cit., p. 275-86. 24. M. Debré, Trois républiques pour une France…, op. cit., p. 19. 25. M. Debré, Trois républiques pour une France…, op. cit., p. 323.

II. LA RUPTURE EUROPÉENNE : LA FIN DE LA ZLE

L’arrivée au pouvoir du général de Gaulle permet à la France de renforcer sa position dans la négociation ZLE. Face à cette remise en selle, la Grande- Bretagne se crispe et ne peut éviter une rupture de la négociation ZLE.

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