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DANS LES NÉGOCIATIONS EUROPÉENNES (MAI-DÉCEMBRE 1958)

C. L E DÉBAT SUR LE PLAN R UEFF ET LA CONVERTIBILITÉ

Après ces décisions majeures du 18 novembre 1958, la pression retombe un peu sur la France. Dans le cadre de la ZLE , Paris parvient à obtenir l’appui de Bonn le 26 novembre puis des Six le 3 décembre 1958. Deux éléments relancent les réfl exions sur les mesures à prendre : la présentation du rapport Rueff et le retour imminent à la convertibilité de la livre.

Le rapport Rueff est présenté le 8 décembre 1958 au général de Gaulle 146. Il

présente quatre volets complémentaires147 :

- Un volet budgétaire classique fondé sur une politique d’austérité.

- Un volet de libéralisation interne de l’économie par la « réduction des interventions économiques » comme les subventions au commerce extérieur.

- Un volet de libéralisation externe de l’économie. Le rapport préconise, sans donner de chiffres précis, d’aller au-delà des mesures que l’OECE demande à la France (soit au-delà de 82,3 %). Le rapport Rueff se montre bien plus libéral que l’administration française qui a plaidé pour le taux de 40 % de libération accepté le 18 novembre 1958.

145. Lettre de Charles de Gaulle à Antoine Pinay du 20 octobre 1958, in Charles de Gaulle, Lettres, notes et Carnets, juin 1958-décembre 1960, Plon, Paris, 1985, p. 117.

146. C. de Gaulle, Mémoires d’espoir. Le renouveau…, op. cit., p. 150. 147. J. Rueff, Œuvres complètes…, op. cit., p. 402-413.

- Un volet fi nancier et monétaire qui est simplement esquissé dans le rapport proprement dit. Il se contente d’appeler à une plus grande libéralisation des mouvements de capitaux avec l’étranger et souligne que : « l’application des recommandations contenues dans le présent chapitre constituera une étape importante sur le chemin de la convertibilité148 ». Il faut attendre une lettre

secrète de Jacques Rueff au ministre des Finances du 15 décembre 1958 pour que la dévaluation soit explicitement demandée, et associée à la création d’un franc lourd149. Le retour à la libre convertibilité n’est donc pas explicitement

demandé.

Le caractère radical de ce plan est particulièrement frappant. Rueff a lui-même beaucoup évolué150. Sa note de juin 1958 était concentrée sur la critique du

système fi nancier français et en particulier de la généreuse politique d’escompte menée par la Banque de France151. Au contraire le rapport de décembre 1958

évite ce sujet de la réforme du système fi nancier français, sans doute en raison de l’opposition du gouverneur de la Banque de France Wilfrid Baumgartner , dont les rapports inamicaux avec Rueff sont bien connus152.

Cette évolution peut s’expliquer par plusieurs éléments. L’élément conjonctu- rel a pu jouer un rôle, le défi cit de la balance des paiements français s’aggrave une nouvelle fois de manière forte en novembre 1958 après quelques mois de répit153. Par ailleurs, Roger Goetze , le conseiller économique du président du

Conseil de Gaulle, joue un rôle crucial dans les réfl exions du comité Rueff 154.

Sur le plan économique, Goetze semble être un libéral, comme en témoigne sa note soutenant le rapport Spaak155. Il y défendait le Marché commun moins

par européisme que par attachement au retour aux mécanismes du marché. Plus généralement, les décideurs français semblent se convertir à la libéralisation du commerce et des paiements du fait de la pression internationale. C’est particu- lièrement le cas des dirigeants du CNPF , comme le montrent les exhortations de Georges Villiers à l’assemblée générale extraordinaire du 13 mai 1958 mais aussi la note interne de Jean Louis d’avril 1958 qui demandait de laisser fl otter

148. J. Rueff, Œuvres complètes…, op. cit., p. 410.

149. Lettre de Jacques Rueff à Antoine Pinay, 15 décembre 1958, in J. Rueff, Combats…, op. cit., p. 247-8.

150. O. Feiertag, Wilfrid Baumgartner…, op. cit., p. 561. 151. J. Rueff, Oeuvres complètes…, op. cit., p. 365.

152. O. Feiertag, Wilfrid Baumgartner…, op. cit., p. 564-565.

153. AMAE, POW 78, folio 250, statistiques OECE sur la France, 9 décembre 1958.

154. M. Debré, Trois républiques…, op. cit., p. 327 ; AMINEFI, B 57629, lettre de Louis Franck à Arasse, chef de cabinet d’Antoine Pinay, 22 août 1958 ; note de Louis Franck pour Le Portz, 10 décembre 1958 ; note de Louis Franck pour George Pompidou, 10 décembre 1958.

le franc156. Cette note a dû être connue de l’administration car de Lattre y fait

référence157.

Par ailleurs, cette pression internationale se manifestait de manière très concrète à chaque fois que la France demandait l’aide à ses partenaires. Ainsi, par exemple, lorsque l’UEP accorda de très larges facilités fi nancières à la France en janvier 1958, elle divisa son aide en deux et soumit l’attribution de la seconde tranche à l’étude des mesures prises par le gouvernement fran- çais158. La négociation avec le FMI en janvier 1958 a donné lieu à la remise

d’un mémorandum prévoyant une diminution importante du nombre d’hommes appelés sous les drapeaux, ce qui menace directement la politique algérienne de la France159. Olivier Feiertag tisse un lien entre les analyses de Per Jacobsson

(FMI) sur la situation française en décembre 1957 et certains des éléments du plan Rueff 160. La Commission européenne, à la fi n de sa procédure d’examen

de la crise française de mai 1958, avait également fait une recommandation implicite de dévaluer161. Enfi n, les événements de l’automne 1958 manifestent

le retour rapide à une libération mondiale des échanges et des paiements. Tous ces faits manifestent concrètement les conséquences politiques de la faillite fi nancière française. Ils ne pouvaient être ignorés du général de Gaulle . Il paraît impossible de mener une politique de « grandeur » si la France risque de pas- ser sous la tutelle des institutions internationales. Il semble donc qu’un débat majeur agite l’exécutif français autour du 10 décembre 1958. Les questions du taux de libération des échanges, de la dévaluation du franc ou du retour à la convertibilité restent en suspens162.

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