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DANS LES NÉGOCIATIONS EUROPÉENNES (MAI-DÉCEMBRE 1958)

A. L E RENFORCEMENT DE LA POSITION FRANÇAISE

3. Les progrès des négociations sectorielles.

Au sein de l’administration française, dès le 2 août 1958, Goetze préside une réunion qui décide du lancement d’études sectorielles par l’administration45.

Wormser insiste beaucoup sur ces travaux car ils doivent permettre de renforcer la position des représentants français dans une négociation où les arguments techniques ont déjà permis d’obtenir des concessions46. Mais le directeur de

la DAEF se plaint à plusieurs reprises à Couve de Murville de la réticence du ministère de l’Industrie , qui refuse d’effectuer les études sectorielles demandées sous la pression du patronat47. Le CNPF 48, mais aussi Renault par l’intermédiaire

43. AMAE, DECE 743, note DAEF du 30 juillet 1958 sur le comité Maudling des 24 et 25 juillet 1958.

44. AMAE, POW 40, folio 109, note d’Olivier Wormser, 29 juillet 1958.

45. ASGCI, 1977.1471, article 61, compte rendu d’une réunion interministérielle présidée par Roger Goetze, 2 août 1958.

46. AMAE, POW 40, folio 155, note d’Olivier Wormser pour le ministre, 29 août 1958. 47. AMAE, POW 40, folio 134, note d’Olivier Wormser à Roger Goetze, 22 août 1958 ; idem, folio 162, note d’Olivier Wormser au ministre, 11 septembre 1958 ; idem, folio 239, note d’Olivier Wormser, 20 octobre 1958.

48. ASGCI, 1977.1471, article 69, lettre de Georges Villiers à Maurice Couve de Murville, 15 octobre 1958 ; « Marché commun et zone de libre-échange, la position du CNPF », communiqué diffusé le 27 octobre 1958, in Bulletin du CNPF, novembre 1958, n° 178, p. 17-18.

d’un article infl uent de Pierre Dreyfus 49, continuent en effet de proclamer leur

hostilité à la ZLE .

Pendant ce temps, les négociations sectorielles à Six se déroulent de manière assez satisfaisante pour la France. Les instructions aux experts soulignent la nécessité pour eux d’être « constructif » et d’avoir un « souci de coopération50 ».

Elles leur donnent une grande liberté car ils peuvent proposer des solutions ori- ginales « sans se préoccuper outre mesure de la structure générale de la zone ». On retrouve encore le souci stratégique de retarder la négociation globale sur les principes de la ZLE. À la mi-novembre, les discussions semblent se dérouler de manière satisfaisante. La France n’est plus isolée car l’Italie la soutient très souvent, l’Allemagne jouant un rôle d’arbitre51.

La stratégie française est claire. Il s’agit moins d’accepter ou de refuser la ZLE que de maintenir l’unité des Six et l’intégrité de la CEE. Une ZLE acceptable pour la France devrait en sortir naturellement après de longues discussions sectorielles. Entre-temps la France aura démontré à ses partenaires de la CEE que les problèmes précis de distorsions de concurrence dont elle se plaignait sont une réalité. Cela permet de condamner l’économie générale du système ZLE, et de valoriser celui de la CEE.

4. Vers une position commune des Six.

Ces progrès dans le cadre des négociations sectorielles sont parallèles à ceux effectués sur la conception globale de la zone au sein des Six. Deux étapes peuvent être distinguées : les discussions franco-allemandes puis les négociations à Six.

Une première rencontre entre le général de Gaulle et le chancelier Adenauer est prévue le 14 septembre 1958 à Colombey-les-deux-Églises. Dans le domaine de la coopération économique européenne, elle est préparée par une note d’Olivier Wormser 52. Le directeur de la DAEF met l’accent sur la nécessité

49. La large diffusion est attestée par sa présence dans de nombreux fonds d’archives : ALECE, 654, compte rendu du 1er

octobre 1958 de la conférence du 29 septembre 1958 ; AMAE, DECE 756, folio 184, déclaration de Pierre Dreyfus à la revue Occident, 29 septembre 1958 ; ASGCI, 1977.1471, article 69, lettre de Maurice Bosquet à Jacques Donnedieu de Vabres, 2 octobre 1958 ; AHUE, BAC 61/1982, volume 7, lettre de Maurice Bosquet à Jean-François Deniau, 9 octobre 1958. Voir aussi : S. Ramirez, Public Policies… op. cit., p. 547-548.

50. AMAE, DECE 754, folio 157, note de Maurice Ulrich du 3 novembre 1958 ; ASGCI, 1977.1471, article 63, compte rendu de la réunion du 30 octobre 1958.

51. AMAE, DECE 785, folio 145, lettre du représentant permanent de la France à Bruxelles, 10 novembre 1958.

d’appliquer pleinement la CEE sans recourir outre mesure aux clauses de sauvegarde au premier janvier 1959 (début du processus de libération des échanges entre les Six), car c’est de cela que dépendra le soutien des Cinq à la France dans la négociation ZLE .

Cette première rencontre franco-allemande au sommet est un succès. Si elle n’aboutit pas à des décisions particulières tant pour la CEE que pour la ZLE 53,

elle manifeste une entente franco-allemande qui était loin d’être évidente avant cette réunion54. De Gaulle affi rme qu’il appliquera le traité de Rome « de toute

bonne foi ». La France aura vraisemblablement recours en partie aux clauses de sauvegarde, mais se placera dans le cadre communautaire. Cet engagement résolu et inconditionnel en faveur de la CEE a sans doute représenté un élément très positif aux yeux du chancelier Adenauer. La convergence franco-allemande ne doit pas être surestimée – en particulier sur les questions stratégiques55 – mais

elle est réelle en matière de coopération économique européenne.

Peu après cette rencontre franco-allemande fructueuse, les Six sont réunis à Venise du 18 au 20 septembre 1958 pour défi nir une position commune sur la ZLE. Ils parviennent à un certain nombre d’accords56. Tout d’abord, la

conception française du règlement des problèmes de l’origine par les études sectorielles, exposée par Wormser , est acceptée, ce qui abouti à la création des groupes d’experts sectoriels à Six. Ensuite, sur le plan institutionnel, grâce au soutien de la Commission 57, les conceptions françaises progressent. Les Six

acceptent deux de ses exigences, les clauses de sauvegarde unilatérales et le passage d’étape à l’unanimité.

À la conférence de Bruxelles du 8 octobre 1958, la France obtient en plus la prise de décision à l’unanimité, au moins pour la période initiale58. Les

Six conviennent de rédiger un mémorandum commun après l’avoir expurgé des sujets les plus controversés59. Dénommée « Association économique

53. DDF 1958-II, document n° 155, procès-verbal de l’entretien du général de Gaulle et du chan- celier Adenauer le 14 septembre 1958.

54. La rencontre avait été annoncée dès juin puis retardée car la presse allemande avait été très méfi ante envers le général de Gaulle : Année politique, 1958, PUF, Paris, 1959, p. 432.

55. G.-H. Soutou, L’alliance incertaine…, op. cit., p. 137-146.

56. AMAE, RPUE 31, procès-verbal du Conseil CEE des 18 au 20 septembre 1958 ; AMAE, DECE 744, folio 79, note DAEF, 24 septembre 1958.

57. AMAE, DECE 744, folio 12, mémorandum de la Commission en vue de la conférence de Venise, 5 septembre 1958.

58. AMAE, RPUE 32, procès-verbal du Conseil CEE des 6 et 7 octobre 1958 ; AMAE, DECE 754, folio 57, note DAEF, 14 octobre 1958.

européenne », la future ZLE devrait contenir de nombreuses prescrip- tions d’harmonisations contenues dans le traité de Rome (harmonisation sociale, etc.).

La note de la DAEF sur ces discussions à Six est plutôt optimiste. Elle anti- cipe la signature d’un traité sur la ZLE assez largement compatible avec les exigences françaises dans « le courant de l’année 1959, si possible dès le premier semestre60 ». La DAEF constate donc que la position française de juillet 1958

ayant été acceptée par les Six dans ses grandes lignes, la France est dorénavant placée devant ses responsabilités et devra s’habituer à l’idée de la ZLE.

En ce début du mois d’octobre 1958, la ZLE est donc encore très probable. Sa forme défi nitive reste très fl oue et prendra peut-être la forme d’une simple amélioration sectorielle des procédures OECE . Dans tous les cas, elle ne semble plus pouvoir menacer sérieusement la CEE. Paris n’est plus isolé au sein des Six. Les Français peuvent compter sur une convergence avec l’Italie dans le domaine économique, sur un très fort soutien de la Commission pour les questions institutionnelles et sur l’appui politique de la RFA. Cependant, c’est justement à partir de ce même mois d’octobre 1958 que la négociation ZLE paraît sérieusement menacée.

B. L

ARUPTUREDELANÉGOCIATION

ZLE (

OCTOBRE

-

DÉCEMBRE

1958)

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