• Aucun résultat trouvé

LA CRISE FRANÇAISE, LA CEE ET LA ZLE (AVRIL 1957-MAI 1958)

B. U NE MÉFIANCE CROISSANTE ENVERS LA ZLE

4. Les divisions révélatrices du patronat européen.

De profondes oppositions divisent les patronats européens. L’exemple de la Ligue européenne de coopération économique (LECE ) est le plus frappant. La LECE est une organisation patronale d’inspiration libre-échangiste qui soutient depuis l’origine tant le projet de CEE que celui de ZLE 126. Cependant, les travaux

techniques menés à la LECE sur la négociation ZLE débouchent dès le mois d’octobre 1957 sur le constat du très grave problème posé par le contrôle de l’origine des produits127. Le secrétaire général de la LECE, Lucien Sermon est

chargé d’une étude sur ce sujet. Elle préconise fi nalement une harmonisation des tarifs extérieurs et, à défaut, l’adoption de taxes compensatoires, soit des solutions proches de celles étudiées au sein de l’administration française128.

124. L’inquiétude des producteurs français envers la CEE et les pays qui composent l’AELE est évoquée in : Marc de Ferrière Le Vayer, L’industrie papetière française, 1945-2000, habilitation à diriger des recherches, juillet 2002, p. 86-89.

125. AMAE, DECE 780, mémorandum commun aux industries papetières des Six et du Royaume-Uni, 9 mai 1958.

126. Michel Dumoulin, Anne-Myriam Dutrieu, La Ligue européenne de coopération économique (1946-1981). Un groupe d’étude et de pression dans la construction européenne, Berne, Peter Lang, 1993, p. 108 et 128-129.

127. ALECE, compte rendu du 7 octobre 1957 d’une réunion du 2 octobre 1957 étudiant un document de la délégation britannique sur la ZLE.

128. ALECE, note de Sermon du 24 octobre 1957 ; ALECE 653, lettre adressée aux membres belges de la LECE (Lamy, Charlier, de Bièvre, Polak) par Y. de Wergifosse, secrétaire général adjoint, le 14 février 1958.

Cette vision critique de la ZLE adoptée par Sermon suscite des divisions au sein de la LECE . Il lui est reproché de considérer la CEE comme la seule réfé- rence en matière de coopération économique européenne129. Or, c’est justement

l’établissement du Marché commun qui constitue le problème dans la mesure où il crée une zone préférentielle susceptible de perturber les courants commerciaux intra-européens. C’est donc ici la perspective des Britanniques et de la direction de l’OECE qui est adoptée. Le secrétaire général adjoint de l’OECE , Cahan , a d’ailleurs sollicité la LECE pour qu’elle contribue à proposer des solutions pour relancer les négociations de la ZLE en février 1958130. La LECE n’arrive

toutefois pas à s’accorder sur le document proposé par Sermon 131. Ce dernier

propose fi nalement, pour débloquer les négociations, de conclure de multiples accords « spécifi ques », soit par pays soit par secteurs, quitte à les harmoni- ser ensuite dans un cadre commun132. Cette résolution suscite une vigoureuse

critique de Cahan et Sergent 133. En retour, Sermon se plaint de l’obstruction

des membres britanniques de la LECE qui l’empêche de continuer ses travaux de manière sereine134. Le baron Boël lui-même, le président de la LECE, est

obligé d’écrire au représentant britannique pour solliciter sa modération135.

De fait, les liens entre les représentants britanniques à la LECE (le président du comité est Edward Beddington-Behrens ) et le gouvernement de Londres sont bien attestés dans les archives britanniques136. Par la suite, la LECE est

sollicitée une nouvelle fois par Sergent le 3 novembre 1958, pour tenter de débloquer les négociations ZLE 137. Mais les réfl exions de la LECE deviennent

de plus en plus hostiles à ce projet en raison d’une attitude britannique jugée excessivement agressive138.

Ces divisions ne sont pas propres à la LECE . Le CIFE , l’organisation patronale offi cielle établie à l’échelle de la Grande Europe a également des

129. ALECE 654, note de R. Lamy du 19 février 1958.

130. ALECE 654, lettre de Robert de la Forteille au baron Boël, 15 février 1958. 131. ALECE 654, compte rendu du Conseil central du 27 février 1958.

132. ALECE 654, « Résolution sur le développement de la coopération économique en Europe », 7 mars 1958.

133. Respectivement secrétaire général adjoint et secrétaire général de l’OECE : ALECE, 654, lettre de J. F. Cahan à de la Fortelle, 21 mars 1958 ; ALECE 654, lettre de René Sergent au baron Boël, 24 mars 1958.

134. ALECE 654, lettre de Sermon à Sir Edward Beddington-Behrens, 16 mai 1958. 135. ALECE 654, lettre du baron Boël à Sir Edward Beddington-Behrens, 19 mai 1958. 136. PRO, FO 371/128364, note FO, D. Ormsby-Gore, 27 octobre 1957 ; PRO, T 336/6, lettre de Edward Beddington-Behrens à Maudling, 28 février 1958.

137. ALECE 654, lettre de René Sergent au baron Boël, LECE, 3 novembre 1958.

138. ALECE 654, projet de déclaration de la LECE sur la rupture des négociations ZLE, 18 novembre 1958.

diffi cultés à faire émerger une position commune, alors même que son opinion est sollicitée par René Sergent, le secrétaire général de l’OECE , dès le mois de novembre 1957139. Un débat se tient en mars 1958 et révèle les profondes

divisions patronales140. Pour éviter des divisions internes, le CIFE renvoie la

question à une commission ad hoc, présidée par le suédois Axel Iveroth 141.

Elle présente un projet de rapport assez modéré en juillet 1958 mais le CIFE abandonne rapidement toute velléité de peser sur les négociations142.

D’une manière générale, les fédérations patronales nationales sont très divi- sées. Le CNPF a affi rmé offi ciellement son hostilité au principe même de ZLE. De son côté, la Confi ndustria a également manifesté sa réticence envers ce projet mais de manière plus diplomatique143. Au contraire, le patronat britannique, de

plus en plus sceptique sur le résultat des négociations, envisage de conclure un accord sans les Six. Avant la réunion plénière du CIFE de mars 1958, les représentants patronaux des pays non-membres de la CEE s’étaient réunis pour envisager la création d’une ZLE sans les Six si les négociations venaient à échouer144. La future AELE est issue de ces réfl exions entamées par les patronats

européens, en particulier britanniques et suédois145.

La mobilisation patronale européenne sur le projet de ZLE est révélatrice de deux faiblesses de ce projet. D’une part, le patronat européen est sollicité direc- tement par le secrétariat général de l’OECE , ce qui montre la grande imprécision du projet en discussion. Au contraire, la négociation intergouvernementale sur le Marché commun était bornée par le rapport Spaak, qui défi nissait un cadre assez précis. D’autre part, les analyses des milieux économiques mettent en valeur les défauts techniques du projet de ZLE, trop exclusivement libéral pour pouvoir générer une concurrence régulée, donc acceptable par tous. En creux, le modèle de la CEE d’un libéralisme régulé, fondé sur une intégration économique progressive, s’en trouve renforcé. Ces deux éléments expliquent les diffi cultés de la négociation intergouvernementale sur la ZLE.

139. ACNPF, 72 AS 803, compte rendu de la réunion CIFE du 8 novembre 1957. 140. ACNPF, 72 AS 803, compte rendu de la réunion CIFE des 17 et 18 mars 1958. 141. ACNPF, 72 AS 803, compte rendu de la réunion CIFE du 8 mai 1958.

142. ACNPF, 72 AS 812, deuxième projet de rapport Iveroth, 2 juillet 1958, confi dentiel ; ACNPF, 72 AS 803, compte rendu du conseil général du CIFE du 28 juillet 1958.

143. ASCGI, 1991.0004, article 1, information CEE, 11 décembre 1957. Aussi : AMAE, DECE 634, note de François Gavoty, conseiller commercial auprès du consulat général de Milan, 26 juin 1957.

144. PRO, BT BT 205/264, Board of Trade progress report n° 1, mars 1958.

145. Neil Rollings, British Business in the Formative Years of European Integration, 1945-1973, Cambridge UP, Cambridge, 2007, p. 123-124.

C. L

ATENTATIVEDEPRISEENMAIN

Outline

Documents relatifs