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L E RAPPORT S PAAK : LES ÉQUILIBRES DU M ARCHÉ COMMUN Déposé le 21 avril 1956, le « rapport des chefs de délégation aux ministres

LA CEE SANS ENTHOUSIASME (1955-MARS 1957)

B. L E RAPPORT S PAAK : LES ÉQUILIBRES DU M ARCHÉ COMMUN Déposé le 21 avril 1956, le « rapport des chefs de délégation aux ministres

des Affaires étrangères » est bientôt connu sous le nom de « rapport Spaak22 ».

Il a été rédigé par un petit groupe d’européistes convaincus en particulier le Français Pierre Uri , un proche de Jean Monnet , et l’Allemand Hans von der Groeben 23. Il est particulièrement ambitieux en matière d’intégration écono-

mique car il veut créer une « vaste zone de politique économique commune » qui s’appuie sur une « fusion des marchés24 ». Le Marché commun est donc à

la base de ce projet, l’énergie atomique ou les autres formes de coopérations

18. Laurent Warlouzet, « Le Quai d’Orsay face au traité de Rome. La direction des Affaires économiques et fi nancières (DAEF) de 1957 à 1975 », in Laurence Badel, Stanislas Jeannesson, Piers Ludlow (dir.), Les administrations nationales et la construction européenne, Peter Lang, Bruxelles, 2005, p. 139-168.

19. André de Lattre, Servir aux fi nances, Comité pour l’histoire économique et fi nancière de la France, Paris, 1999, p. 225-226.

20. AMAE, PA-AP 314, carton 1, note d’Olivier Wormser pour le président, 10 octobre 1955. 21. AMAE, PA-AP 314, carton 1, notes d’Olivier Wormser des 13 et 14 décembre 1955. 22. Rapport des chefs de délégation aux ministres des Affaires étrangères (Bruxelles, 21 avril 1956), ci-après : « Rapport Spaak ». Disponible sur le site Internet ena.lu.

23. G. Bossuat, L’Europe des Français…, op. cit., p. 315. Pierre Uri, Penser pour l’action. Un fondateur de l’Europe, Odile Jacob, Paris, 1991, p. 121-125.

sectorielles n’intervenant que dans un second temps. Sur le plan économique, le rapport Spaak est un projet mettant en œuvre un libéralisme régulé.

Comme son nom l’indique le « Marché commun » repose avant tout sur une dynamique libérale d’ouverture des marchés, par la mise en place d’une union douanière. La période transitoire de suppression des obstacles internes aux échanges doit durer de 12 à 15 ans. Elle est constituée de trois étapes. Les modalités du passage de la première étape de quatre ans à la seconde ne sont pas précisées mais aucune renégociation de traité ne sera permise à la différence de ce que demande la France dans son mémorandum d’octobre 1955. Il ne peut donc être question d’un engagement conditionnel.

Par rapport à l’OECE , le rapport Spaak entend aller plus loin25. Le système

utilisé par l’OECE repose sur la suppression totale de contingents. Au lieu de cela, le rapport Spaak propose un système qui combine élargissement des contingents et diminution des tarifs douaniers, pour éviter toute compensation de l’un par l’autre. Cette libéralisation interne doit être complétée par une unifi cation des politiques commerciales extérieures, avec la création d’un tarif extérieur commun (TEC). Le rapport Spaak évoque d’ailleurs l’impossibilité de choisir la solution de la zone de libre-échange26. Sur le plan technique, une

zone de libre-échange se cantonne à la suppression des obstacles douaniers et contingentaires, sans harmonisation des tarifs extérieurs. Dès lors, dans une zone de libre-échange, un tarif douanier élevé dans un pays A peut être contourné par une importation venant d’un pays B à tarif bas, qui entre librement dans le pays A dans la mesure où les obstacles internes entre A et B ont été abolis. Les pays à tarifs élevés comme la France pourraient donc souffrir particulière- ment de l’importation par l’intermédiaire de pays voisins à tarifs bas, comme la Belgique. Ce phénomène de détournement de trafi c ne peut être circonscrit que par une surveillance de l’origine des produits. Mais cette dernière est par- fois diffi cile à établir sans procédures administratives lourdes. Par ailleurs, la libération des échanges de marchandises doit être complétée par une libération des mouvements de capitaux et de travailleurs, ainsi que la libre prestation de services, formant ainsi les « quatre libertés » de circulation. Pour éviter de trop grands déséquilibres issus de cette large ouverture des marchés, des mesures de régulations sont prévues.

Le rapport Spaak prévoit de réguler l’ouverture des marchés par deux dynamiques. Tout d’abord, une harmonisation progressive des conditions de concurrence doit être développée, tant par la création d’une politique de la

25. Rapport Spaak, titre I, chapitre II. 26. Rapport Spaak, introduction, point III.B.

concurrence (lutte contre les pratiques discriminatoires des entreprises comme les cartels) que par des harmonisations ciblées des conditions de formation des coûts de production. Le rapport Spaak affi rme clairement que les différences de prix ne posent pas de problèmes de principe27. Elles favorisent la concurrence

et peuvent être compensées par les taux de change ou le niveau de productivité. Le rapport Spaak s’oppose donc à une volonté d’harmonisation systémati- que qui est réclamée par de nombreux décideurs français. Les harmonisations sont acceptables lorsqu’elles sont limitées aux distorsions de concurrence les plus fl agrantes. Le rapport cite plusieurs exemples de législation sociale, fi nancière ou fi scale comme les trois harmonisations sociales réclamées par la France (égalité des salaires masculins et féminins, durée des congés payés, rémunération des heures supplémentaires)28.

Ainsi, le rapport Spaak reconnaît que la dynamique libérale de suppression des obstacles aux échanges n’est pas suffi sante pour aboutir à une fusion des économies des Six. Il prévoit même de compenser d’éventuels déséquilibres entraînés par l’ouverture des marchés. D’une part, un fonds d’investissement, fonctionnant selon les mêmes modalités qu’une banque, devrait fi nancer à la fois des projets dans des régions en retard de développement, et la reconversion d’entreprises dont l’activité serait condamnée. D’autre part, une assistance est prévue en cas de déséquilibres de balance des paiements. Le rapport Spaak le justifi e par la nécessité d’éviter toute dévaluation compétitive. Toutes les pro- cédures sont communautarisées. C’est bien évidemment la France qui est visée par cette dernière proposition. Elle cherche à apporter une aide éventuelle à ce pays, s’il connaissait des diffi cultés, tout en insérant cette action dans un cadre institutionnel contraignant, afi n d’éviter toute action unilatérale.

Ainsi le rapport Spaak contribue à mettre le Marché commun au cœur de la relance européenne, au détriment des autres projets de coopération proposés à Messine. Il vise en effet à fusionner les économies des Six par une dyna- mique triple : une libéralisation aboutie des échanges, une régulation forte des conditions de concurrence et une correction des déséquilibres spécifi ques. Ce compromis audacieux s’inscrit en faux par rapport à la position française défi nie jusqu’alors, d’où la réaction négative d’une majorité des décideurs de l’administration française.

27. Rapport Spaak, titre II, chapitre II, section I. 28. Rapport Spaak, titre II, chapitre II, section II.

C. L

ASURPRISEETL

HOSTILITÉDEL

ADMINISTRATIONFRANÇAISE

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