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LA CEE SANS ENTHOUSIASME (1955-MARS 1957)

D. L ES AUTRES MODÈLES D ’E UROPE

Le modèle du Marché commun, qui repose à la fois sur l’échelle des Six et l’intégration totale des économies, ne fait pas l’unanimité parmi les promo- teurs de la construction européenne. Ainsi, Jean Monnet , le principal promo- teur de la CECA, s’intéressait plus au projet d’Euratom qu’à celui de Marché commun. Lors de la négociation des futurs traités de Rome, Jean Monnet

282. ASGCI, 1991.004, art. 4, lettre du PDG des Presses universitaires françaises, Paul Angoulvent à Jean-François Deniau du 3 avril 1957 faisant référence à Robert Marjolin. Réponse positive le 8 avril 1957.

283. Voir plus haut ; ARAM, 52 J 114, note de Roger Goetze du 7 mai 1956.

284. Né en 1928, fi ls du résistant Pierre Brossolette, inspecteur des fi nances, chargé de mission au cabinet de Paul Ramadier (1956). Collaborateur de Valéry Giscard d’Estaing, il fut par la suite secrétaire général de la présidence de la République (1974-1976) puis président du Crédit lyonnais (1976-1982).

285. ARAM, 52 J 114, note du ministre du 2 mai 1956 et note de Claude Pierre-Brossolette du 4 mai 1956.

mobilise son Comité d’action pour les États-Unis d’Europe exclusivement vers l’Euratom. Jean Monnet a d’ailleurs choisi d’exclure les milieux industriels de son comité d’action, qui ne regroupe que des représentants des partis politiques et des syndicats de travailleurs, alors même que le Marché commun intéresse au premier chef les industriels. Son désintérêt pour le Marché commun dans un premier temps est confi rmé par ses mémoires286, les biographies de son ancien

collaborateur François Duchêne et du journaliste Éric Roussel287, comme par

d’autres témoins288. Ainsi, en septembre 1956, alors que la négociation sur le

Marché commun est dans une grave impasse, Jean Monnet tente de convaincre Adenauer de la nécessité d’accélérer la négociation d’Euratom , pour conclure ce traité avant celui du Marché commun289.

De plus, Jean Monnet ne perçoit pas bien l’intérêt économique spécifi que de ce projet. Il a donc une opinion très positive du projet britannique de ZLE à ses débuts. En octobre 1956, le Comité d’action salue l’initiative britannique de ZLE 290. En mars 1957 encore, Jean Monnet écrit une lettre révélatrice à Bernard

Clappier 291. Il y interprète la ZLE comme une simple association à la CEE,

qu’il faut encourager, alors que des observateurs plus attachés à la dynamique d’intégration économique du Marché commun se méfi ent du projet britannique dès cette époque. Monnet reste cependant l’un des principaux promoteurs de l’Europe des Six, forme d’organisation qui n’est cependant pas naturelle, tant l’échelle de la Grande Europe reste prégnante.

L’OECE manifeste le succès d’une coopération économique à l’échelle de la « Grande Europe », qui se défi nissait à cette époque comme l’ensemble des pays européens du bloc occidental. Cette organisation est particulièrement défendue à la DAEF du ministère des Affaires étrangères, elle-même chargée des relations avec l’OECE. L’attachement de son directeur, Olivier Wormser , au modèle de l’OECE par rapport à celui de la CECA avait déjà été observé292.

286. Jean Monnet, Mémoires, Fayard, livre de poche, volume 2, 1976, chapitre XVI : Le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe (1955-1975), p. 603-644.

287. François Duchêne, Jean Monnet…, op. cit., p. 292 et 306 ; Éric Roussel, Jean Monnet, Fayard, Paris, 1996, p. 689 et 709.

288. Christian Pineau in Enrico Serra (dir.), La relance européennes… op. cit., p. 282. 289. François Duchêne, Jean Monnet…, op. cit., p. 297.

290. Jean Monnet, Mémoires, Fayard, livre de poche, volume 2, 1976, p. 673. On peut mettre en parallèle les déclarations pessimistes sur la ZLE tenu au même moment par Marjolin à ses interlocteurs britanniques : PRO, FO 371/122037, folio 16, doc 611/310, note de RF Bretherton du 18 octobre 1956, entretien avec Robert Marjolin du 17 octobre 1956.

291. AFJM, AMK C 14/3/48, lettre de Jean Monnet à Bernard Clappier, 5 mars 1957.

292. Gérard Bossuat, « La vraie nature de la politique européenne de la France (1950-1957) », in Gilbert Trausch (éd.), Die Europaïsche Integration…, op. cit., p. 195.

Wormser semble s’inscrire dans la ligne de celui qui a lancé sa carrière au Quai d’Orsay , René Massigli 293, lui-même hostile à toute forme de construction

européenne négligeant l’axe franco-britannique. Face au Marché commun, c’est surtout l’adjoint de Wormser, François Valéry qui se distingue par une défense précoce et assidue du projet britannique de ZLE . Le raisonnement de François Valéry repose sur une mise en valeur de l’alliance traditionnelle avec la Grande-Bretagne au détriment d’une Allemagne toujours menaçante294. Cette

orientation se percevait déjà dans les postes précédents occupés par Valéry au Quai d’Orsay . Lorsqu’il s’occupait des objectifs économiques français en Allemagne, il a représenté la ligne dure, insistant sur la permanence de la menace allemande295. Par la suite, il a suivi les débuts de la CECA par le biais

du prisme du contrôle sur l’industrie allemande que la Haute Autorité pou- vait exercer296. Valéry représente donc la vision traditionnelle qui assigne à la

construction européenne une fonction de surveillance de l’encombrant voisin allemand.

L’autre diplomate défendant un attachement à la logique de l’OECE est Alain Peyrefi tte . Le futur ministre et académicien est chargé, au sein de la sous- direction des organisations européennes de la direction d’Europe, de suivre la négociation du Marché commun. Dans une note du 27 décembre 1956, il défend, comme François Valéry , le modèle de la « Grande Europe », tout en soulignant le caractère incontournable du Marché commun297. Hostile à une concentration

exclusive sur la « Petite Europe » toujours suspecte de prétentions fédérales, il défend une organisation européenne fondée sur le duo Marché commun-ZLE . Le Marché commun est perçu comme une étape nécessaire pour aboutir à un autre type d’organisation européenne plus large.

Ainsi existe au sein du ministère des Affaires étrangères une ligne favorable à une coopération européenne poussée, mais dans un cadre plus vaste et moins supranational que celui de la CECA ou du futur Marché commun. Pour ces diplomates, l’échelle des Six offre deux inconvénients. D’abord elle implique

293. Raphaële Ulrich-Pier, René Massigli…, op. cit., p. 1295 ; René Massigli, Une comédie des erreurs, 1943-1956. Souvenirs et réfl exions sur une étape de la construction européenne, Plon, Paris, 1978, p. 505.

294. AMAE, DECE 740, n° 29, note de François Valéry, 26 juillet 1956 ; AMAE, DECE 740, n° 48, note de François Valéry, 9 octobre 1956 ; AMAE, DECE 614, n° 107, note François Valéry, 22 décembre 1956.

295. Sylvie Lefèvre, Les relations économiques franco-allemandes de 1945 à 1955. De l’occupation à la coopération, Comité pour l’histoire économique et fi nancière de la France, Paris, 1998, p. 158.

296. AMAE, DECE 544, n° 98, note François Valéry, 5 mai 1953.

un éloignement de la Grande-Bretagne et un rapprochement avec la RFA dont la puissance industrielle effraie. Ensuite, elle tend à diviser l’Europe occidentale, ce qui est inacceptable dans un contexte de guerre froide.

E. C

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