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LA CEE SANS ENTHOUSIASME (1955-MARS 1957)

C. L A COMPLÉMENTARITÉ DES PROMOTEURS DU M ARCHÉ COMMUN

2. Le rôle central de Robert Marjolin.

Robert Marjolin , conseiller au cabinet du ministre des Affaires étrangères Christian Pineau chargé des questions économiques européennes, est un acteur charnière de la négociation. Bénéfi ciant de larges réseaux de relations de par son expérience double de haut fonctionnaire français (directeur de la DREE et commissaire adjoint au plan) et européen (secrétaire général de l’OECE de 1948 à 1955), c’est aussi un professeur d’économie qui développe une réfl exion

258. AN, F60, 3083, note de Bernard Clappier, DREE, transmise par Étienne Hirsch au ministre le 21 juin 1955.

259. Robert Marjolin, Le travail d’une vie…, op. cit., p. 283.

260. Laurence Badel, « La direction des relations économiques extérieures (DREE)… », op. cit., p. 203.

261. PRO, FO 371/122039, folio 107, doc 611/396, note FEF du 16 novembre 1958, entretien avec Bernard Clappier.

personnelle sur l’intégration européenne. Dans des articles parus en 1955, il explique clairement son soutien au projet de marché commun pour des raisons avant tout économiques, moderniser le pays en l’insérant dans une dynamique libre-échangiste stimulante, tout en bénéfi ciant des protections apportées par l’échelle communautaire262.

Fort de ces convictions, Marjolin s’emploie à mobiliser l’opinion publique et surtout les milieux économiques, industriels et agricoles en faveur du Marché commun263. Les archives du CNPF témoignent ainsi de ses bons rapports avec

Bertrand Hommey , le président de la commission des relations internationales du CNPF264. Surtout, Robert Marjolin orchestre l’évolution de la position fran-

çaise en arrière-plan, particulièrement à trois moments décisifs lors de cette première période. Tout d’abord, il joue un rôle majeur pour infl échir les posi- tions françaises dans un sens plus conciliant à l’été 1956. Ainsi, son mémo- randum du 3 septembre 1956 propose une novation de la position française par l’abandon de la revendication consistant à ne s’engager que pour une pre- mière étape, remplacée par l’acceptation d’un engagement pour l’ensemble du processus devant conduire au Marché commun265. Cette position est celle

que défend Maurice Faure le lendemain, lors de la réunion interministérielle tenue le 4 septembre 1956266. Il est diffi cile de savoir qui est à l’origine de

cette décision mais c’est Robert Marjolin qui est chargé de rédiger le texte de compromis. François Duchêne, biographe de Jean Monnet , insiste sur le rôle de Marjolin pour convaincre Guy Mollet de l’intérêt propre du Marché commun face à Euratom 267. Bruno Riondel, biographe de Maurice Faure, confi rme cette

version car il affi rme qu’à cette date, Faure impose à la délégation française de privilégier le projet de Marché commun sur celui d’Euratom en particulier sous l’infl uence de Robert Marjolin et ce malgré la déception de nombre de ses collaborateurs268.

Ensuite, dans un second temps, Robert Marjolin apparaît comme l’un des artisans de l’accélération de la négociation à la fi n de l’année 1956. Lors de la

262. ARAM, 52 J 92, article : « Le programme économique français », in Banque et Bourse, décembre 1955, p. 67-76 ; Robert Marjolin, Le travail d’une vie…, op. cit., p. 247-251.

263. Robert Marjolin, Le travail d’une vie. Mémoires, 1911-1986, Robert Laffont, Paris, 1986, p. 291. 264. ACNPF, 72 AS 1590, note de Bertrand Hommey pour le président Georges Villiers, 27 mars 1957.

265. ARAM, 52 J 115, « Mémorandum Marjolin » du 3 septembre 1956. 266. Éric Kocher, Le rôle de la France…, op. cit., p. 111.

267. François Duchêne, Jean Monnet, The fi rst statesman of interdependence, Norton & Company, Londres, 1994, p. 56.

268. B. Riondel, Maurice Faure…, op. cit., p. 219-21. Voir aussi le témoignage de Maurice Faure in : Enrico Serra (dir.), La relance européenne…, op. cit., p. 282-3.

rencontre franco-allemande cruciale du 6 novembre 1956, c’est lui qui défi nit, avec son homologue allemand Carstens , certains compromis techniques sur les garanties à accorder à la France269. Ensuite, le 30 novembre 1956, c’est Marjolin

qui conseille à Ramadier une réponse dilatoire à Macmillan sur la ZLE , alors que Clappier est plus conciliant270. Peu après, le 6 décembre 1956, Beaurepaire ,

chef du service des Affaires extérieures du ministre de l’Industrie, informe son secrétaire d’État que Robert Marjolin, lors d’une réunion interministérielle tenue le 1er décembre 1956, a transmis la volonté du gouvernement d’accélé-

rer la négociation271. Persuadé que tous les litiges ne pourront être réglés dans

le détail, Robert Marjolin estime que c’est à la future autorité supranationale que reviendra le soin de les régler. Aucune raison de cette accélération n’a été avancée mais Beaurepaire estime que le projet de ZLE fait peur. De fait, et c’est la dernière contribution majeure de Robert Marjolin à la position fran- çaise, ce dernier est l’un des rares à avoir une position précise sur la ZLE, qu’il différencie nettement du Marché commun272. Il met en relief son importance

cardinale, car il correspond mieux à sa conception exigeante de l’intégration économique européenne.

Ainsi, Robert Marjolin a un rôle crucial pour défendre le projet de l’inté- gration économique par le Marché commun auprès de l’administration et des milieux économiques. Il apparaît comme le relais majeur du pouvoir dans les dossiers industriels. En sens inverse, il peut profi ter de la conversion à l’Europe communautaire de la direction du CNPF pour convaincre ses interlocuteurs de l’intérêt de la CEE.

D’une manière générale, s’il est diffi cile de savoir qui est à l’origine des infl exions dans la doctrine française en matière économique, l’apparition constante de Marjolin aux moments cruciaux permet de supposer qu’il a joué un rôle déterminant dans la défi nition d’une position française acceptable par ses cinq partenaires. Cette idée est étayée par le fait que Marjolin a une doctrine propre, fondée sur une intégration économique européenne exigeante. Il défend spécifi quement le modèle d’intégration économique de la CEE, y compris face à la ZLE , alors même que d’autres promoteurs de la CEE, comme Guy Mollet , avaient en même temps promu des projets de coopération européenne

269. H.-J. Küsters, Fondements…, op. cit., p. 213-214. 270. ARAM, 52 J 115, projet de réponse de Robert Marjolin.

271. ARAM, 52 J 115, note Beaurepaire pour le ministre, 6 décembre 1956.

272. Télégramme de Raymond Bousquet citant la position de Marjolin, 9 février 1957 in DDF, 1957-II, n° 120 ; AINDUS, 1977,1520, vol 49, note manuscrite sur une réunion sur la ZLE du 28 mars 1957.

fondamentalement différents, par exemple sur base franco-britannique. Il s’affirme comme un relais indispensable entre les sphères politiques, administratives et économiques, ainsi que les réseaux européistes. Son infl uence est complémentaire de celle des autres promoteurs du Marché commun dans l’administration.

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