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LA CEE SANS ENTHOUSIASME (1955-MARS 1957)

A. L A ZLE : COMPLÉMENT OU ALTERNATIVE ?

3. L’émergence d’un groupe hostile à la ZLE.

La relance des négociations du Marché commun et de la ZLE explique que les premières réactions hostiles à ce dernier projet se manifestent à partir de la fi n de 1956. Elles commencent à se percevoir d’abord dans les groupes les plus susceptibles de percevoir l’intérêt de l’intégration économique par le Marché commun, comme le patronat et certains hauts fonctionnaires spécifi quement chargés de ce dossier comme Robert Marjolin .

Le CNPF tout d’abord, avait défi ni une doctrine fondée sur une intégra- tion économique exigeante qui l’a amené à défendre le modèle du Marché commun, certes amendé pour tenir compte de la situation de la France. Par contre la ZLE ne comporte pas les mêmes garanties pour la France. La relance de la ZLE après l’échec de Suez oblige la direction du CNPF à prendre position, par un article de novembre 1956197. Sans critiquer explicitement le modèle de la

ZLE , en raison du fl ou du projet, la note du CNPF dénonce cependant en faux un projet strictement opportuniste, fondé sur la peur britannique de l’isolement et du déclin, et non pas sur un idéal modernisateur européen.

195. AMAE, DECE 613, folio 401, note d’Alexandre Kojève, DREE, 19 octobre 1956. 196. ASGCI, 1977.1471, article 60, note H. Barbier du 1er

avril 1957, réunion du 27 mars 1957. 197. « L’Angleterre découvre l’Europe », in Bulletin du CNPF, n° 153, novembre 1956, p. 21-22 ; cité in Éric Bussière, Michel Dumoulin (textes réunis par), Les cercles économiques et l’Europe au

Après cette première note, la réfl exion sur le contenu même du projet de ZLE progresse en interne, au sein de la commission des affaires européennes du CNPF . Une note développe ainsi deux types d’arguments très hostiles à la ZLE198. Elle relève tout d’abord qu’il serait quasiment impossible pour la

France d’obtenir dans le cadre de la ZLE les garanties accordées par les Six dans le cadre du Marché commun. Les garanties désignent à la fois, sur le plan négatif, le caractère conditionnel de la libération des échanges (procé- dures de passages d’étapes, clauses de sauvegarde, reconnaissance du sys- tème français de taxes à l’importation et d’aides à l’exportation) et, sur le plan positif, les diverses mesures d’harmonisation et de coordination prévues (tarif extérieur commun, harmonisations sociales, etc.). Cette note s’inscrit donc en faux avec certaines analyses de l’administration (à la DAEF notamment) qui estimaient que la négociation ZLE ne serait pas plus dure que celle du Marché commun. Au contraire, l’étude de la ZLE permet de mettre en valeur les avantages économiques spécifi ques du Marché commun.

À l’assemblée générale du CNPF de janvier 1957, Georges Villiers , après avoir souligné les garanties obtenues par la France dans le cadre du Marché commun remarque que le projet de zone de libre-échange présentera vraisem- blablement « plus encore de menaces pour une économie non préparée199 ». Un

débat a eu lieu au sein du CNPF sur la ZLE . Selon Philippe Mioche, Jean Louis , l’un des animateurs de la commission des affaires européennes, aurait souhaité profi ter de la ZLE pour enlever au Marché commun ses aspects les plus supra- nationaux200. La publication de la note de novembre 1956 et les déclarations de

Georges Villiers en janvier 1957 montrent que cette opinion n’a pas prévalu et que l’engagement personnel du président du CNPF dans la construction d’une Europe ambitieuse comme celle du Marché commun, et pas seulement d’une vague coopération économique promise par la ZLE, s’est imposé.

D’autres milieux patronaux commencent d’ailleurs à se mobiliser en faveur du Marché commun et contre la ZLE. C’est par exemple le cas d’un syndicat régional qui écrit une lettre dans ce sens au Quai d’Orsay 201. La DAEF (Francis

Gutmann ), dans sa réponse, s’emploie à lui démontrer à l’inverse que la ZLE ne s’oppose pas au Marché commun mais le complète naturellement202. De même,

198. ACNPF, 72 AS 1505, lettre du 11 décembre 1956, Bertrand Hommey, commission des affaires européennes du CNPF.

199. ACNPF, 72 AS 846, AG du 17 janvier 1957, exposé général de Georges Villiers.

200. Comité directeur de novembre 1956 évoqué par Philippe Mioche, « Le patronat français… », op. cit., p. 252.

201. AMAE, DECE 628, folio 35, lettre FICA (Fédération des groupements et syndicats des industriels, commerçants et artisans de la Sarthe) à Christian Pineau, 19 janvier 1957.

une partie du secteur automobile s’inquiète dès janvier 1957 du projet de ZLE et conseille de le refuser si la France n’obtient pas de garanties suffi santes, et de se contenter du seul Marché commun203.

Au sein de l’administration, la principale opposition provient de Robert Marjolin , comme en témoigne sa réaction hostile à la lettre de Macmillan proposant l’ouverture de discussions pour la conclusion d’un traité de ZLE204.

Peu de temps après, Robert Marjolin annonce que le gouvernement a déclaré une nouvelle accélération de la négociation du Marché commun au cours du comité interministériel du 1er décembre 1956205. La note de Claude Beaurepaire

relatant cette réunion lie directement la volonté de relance, assez considérable car il s’agit de gagner six mois sur le calendrier initial, au projet de ZLE 206.

Elle s’en inquiète vivement car elle risque de laisser de nombreux points mal défi nis dans le traité.

Le 9 février 1957, c’est Robert Marjolin qui fi xe la position provisoire de la France sur la ZLE 207. Il la calque sur la défense du modèle du Marché commun.

La France demandera donc une zone de libre-échange avec le contrôle de l’ori- gine (à défaut du tarif extérieur commun), l’inclusion des produits agricoles et des « garanties équivalentes à celles du Marché commun » sous forme de mesures de « coopération économique » et d’« harmonisation sociale ». De même, lors de la première réunion interadministrative sur la ZLE qui se tient au lendemain même de la signature du traité de Rome, il est le seul à exposer clairement une position méfi ante envers la ZLE en demandant le respect intégral des équilibres du traité de Marché commun208. Cette position est en effet très

isolée au sein de l’administration française. À cette date, elle n’est partagée que par le directeur des Finances extérieures , Jean Sadrin , un autre défenseur précoce du Marché commun209. Ces exigences maximalistes témoignent de la volonté

de protéger à toute force la jeune Communauté économique européenne.

203. AN, F60, 3114, lettre de Pierre Lemaigre, président de la Chambre syndicale des constructeurs d’automobiles à Jacques Donnedieu de Vabres, 15 janvier 1957. Sigfrido Ramirez, Public Policies…, op. cit., p. 519-520 et p. 527.

204. Voir plus haut ; ARAM, 52 J 115, lettre de Harold Macmillan à Paul Ramadier, 30 novembre 1956 ; ARAM, 52 J 115, projet de réponse de Robert Marjolin.

205. ARAM, 52 J 115, note de Claude Beaurepaire, Industrie, pour le ministre Ramadier, 6 décembre 1956.

206. ARAM, 52 J 115, note de Claude Beaurepaire, Industrie, pour le ministre Ramadier, 6 décembre 1956.

207. DDF, 1957-I, doc n° 120 et DECE 619, folio 118, télégramme de Raymond Bousquet (Bruxelles) à Christian Pineau, 9 février 1957.

208. AINDUS, 1997.1520, article 49, note manuscrite sur la réunion ZLE du 28 mars 1957. 209. AMINEFI, B 44.246, note Finex, 1er bureau, RG, signé Sadrin 10 avril 1957.

Pour tous ces acteurs, la ZLE s’avère à la fois peu avantageuse pour la France, et dangereuse pour la dynamique du Marché commun. L’opposition à ce projet reste encore très minoritaire car ce projet est largement considéré comme poli- tiquement incontournable et économiquement proche du Marché commun. La spécifi cité de ce dernier est mal perçue car le soutien à la future CEE reste très faible chez les décideurs français.

B. D

ESOPPOSANTSAU

M

ARCHÉCOMMUNTRÈSINFLUENTS

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