• Aucun résultat trouvé

LA CRISE FRANÇAISE, LA CEE ET LA ZLE (AVRIL 1957-MAI 1958)

C. L’ OFFENSIVE DU CNPF :

L

ASSEMBLÉEGÉNÉRALEEXTRAORDINAIREDU

13

MAI

1958

Le volontarisme du gouvernement Gaillard ne satisfait pas le CNPF, qui réclame des réformes plus profondes de la politique économique française, afi n de l’adapter à la CEE. Le 14 janvier 1958, lors de l’assemblée générale du CNPF , Georges Villiers avait adopté un ton plus offensif qu’avant, en critiquant une politique gouvernementale trop dirigiste10. Après cette offensive, Henri

Fayol 11, le président de la commission des prix du CNPF , veut aller plus loin.

Il souligne l’importance des échéances européennes : la France risque « d’être prise en tutelle par l’organisation du Marché commun » si elle ne parvient pas à honorer ses engagements12. Le poids de la contrainte extérieure se perçoit dans

cette remarque, écrite alors que la France négocie des crédits des Américains et des Européens. Fayol propose donc d’engager des travaux internes sur « les conditions à remplir pour que la France puisse affronter le Marché commun ». Ces travaux serviraient à « alimenter la propagande ». Pour Fayol , l’heure n’est plus aux interventions techniques mais à une campagne plus globale et offensive, dictée par les engagements européens de la France, et la nécessité de surmonter la contrainte extérieure pour préserver l’indépendance du pays.

Assez rapidement, un « groupe d’études générales » se met en place au CNPF pour prendre en charge ces travaux, avec Fayol comme animateur13. Afi n

d’infl uencer plus directement l’opinion publique, il demande la convocation d’une assemblée générale extraordinaire pour « alerter le pays et surtout les milieux patronaux sur les dangers de la situation14 ». Le comité directeur du

CNPF décide fi nalement le 15 avril 1958 de convoquer une assemblée générale

9. AMAE, POW 77, folio 297, note des Finances extérieures, André de Lattre, 15 février 1958. 10. Bulletin du CNPF, février 1958, supplément n° 170, déclaration de George Villiers.

11. Henri Fayol est né en 1899, fi ls d’Henri Fayol, précurseur des théories du management. Son fi ls fi t carrière dans l’industrie sidérurgique, la distribution et le textile. Président de la commission des prix du CNPF depuis 1945.

12. ACNPF, 72 AS 1382, lettre d’Henri Fayol à Emmanuel Mayolle, 22 janvier 1958. 13. ACNPF, 72 AS 1381, lettre E-RP, 25 mars 1958.

extraordinaire pour le 13 mai 195815. L’organisation patronale cherche à prendre

l’opinion à témoin par une mobilisation spécifi que, c’est en effet la première assemblée générale exceptionnelle tenue dans l’histoire du CNPF16.

La préparation de l’assemblée générale donne lieu à des réfl exions très auda- cieuses. Dans une analyse de fond, Jean Louis demande un retour à une certaine liberté dans la fi xation du cours du franc français afi n de mieux tenir compte du prix du marché. Cette mesure très ambitieuse devrait impérativement être accompagnée, pour ne pas créer une spéculation destructrice contre le franc, par une politique d’austérité budgétaire et un retour progressif à la libération des échanges, sous réserve que la balance des paiements redevienne équilibrée17. Les

méthodes radicales prônées par Louis font écho au triptyque du futur plan Rueff de 1958 – dévaluation-austérité-libération des échanges – le tout dans un contexte de retour à la convertibilité. Cette prise de position de Louis suscite des réticences au sein même du groupe le plus offensif du CNPF , notamment de Fayol 18.

L’assemblée générale extraordinaire du CNPF du 13 mai 1958 donne lieu à une prise de position très audacieuse, sous forme d’une déclaration adoptée par les cinq cents chefs d’entreprises présents19. Pour appliquer le Marché commun

et éviter la « décadence », le CNPF préconise trois réformes. D’abord et de manière classique, une politique d’austérité budgétaire est demandée. Ensuite, la « vérité des prix » doit être rétablie afi n de promouvoir « une concurrence authentique et saine […] à laquelle il faudra obligatoirement arriver dans le Marché commun ». La déclaration inscrit donc l’attaque classique contre la politique des prix – symbole du dirigisme étatique contre-productif – dans l’enjeu de l’adaptation au Marché commun. Troisième idée, la « vérité de la monnaie » doit être établie en restaurant « dans les délais les plus rapides, la libre convertibilité du franc, [par l’abolition du] contrôle des changes et [par la libération] des échanges commerciaux. Peut-être des étapes seront-elles néces- saires ; mais il est indispensable de s’engager dans cette voie… ». La note de Jean Louis semble avoir largement infl uencé les débats du CNPF 20. Si des

précautions sont prises en termes de délais, le discours est radical : la France doit rompre avec son protectionnisme commercial et monétaire.

15. Bulletin du CNPF, mai 1958, n° 173, éditorial de Georges Villiers.

16. Bernard Brizay, Le patronat. Histoire, structure, stratégie du CNPF, Seuil, Paris, 1975, p. 96. 17. ACNPF, 72 AS 1381, note de Jean Louis du 14 avril 1958.

18. ACNPF, 72 AS 1381, lettre d’Henri Fayol à Georges Villiers, 22 avril 1958 ; ACNPF, 72 AS 1381, lettre de Georges Matheron à Henri Fayol, 6 mai 1958. Georges Matheron est le PDG de la société Intrafor.

19. Déclaration de Georges Villiers lors de l’assemblée générale extraordinaire du 13 mai 1958 in Bulletin du CNPF, juin 1958.

La déclaration du CNPF s’inscrit donc dans le cadre de l’adaptation au Marché commun mais le déborde largement pour montrer la nécessité pour la France de quitter les équilibres économiques défi nis depuis la fi n du XIXe siècle – poids de l’agriculture, des colonies et du protectionnisme – pour embrasser le monde de l’après-reconstruction, celui de la libre circulation des marchandises et des monnaies. Les trois réformes qui sont demandées inspirèrent largement les travaux du comité Rueff de 1958.

Cependant, la date même de l’assemblée générale du CNPF limite son audience. Le 13 mai 1958 en effet, un Comité de salut public prend le pouvoir à Alger. La campagne d’opinion qui aurait dû la suivre n’a donc pas pu se développer en raison des circonstances21, celles de la fi n de la IVe République.

D. L

ACRISEFINALEDELA

IV

e

R

ÉPUBLIQUE

La crise d’avril et de mai 1958 qui scelle le sort de la IVe République est

due à l’aggravation de la situation en Algérie. Le confl it s’internationalise, ce qui provoque une radicalisation des confl its politiques français, et une crise du régime en deux temps.

Le 8 février, l’armée française, dans le cadre de sa lutte contre des rebelles algériens réfugiés en Tunisie, bombarde le village tunisien de Sakhiet- Sidi-Youssef, en tuant 69 civils22. L’affaire est portée devant l’ONU23. Devant le

tollé international, la France doit accepter une mission de conciliation franco- tunisienne pilotée par les États-Unis et la Grande-Bretagne. Cette mission de conciliation anglo-saxonne est perçue comme une humiliation par certains parlementaires24. L’internationalisation du confl it algérien provoque ainsi

une radicalisation du débat politique interne. Finalement le 15 avril 1958, le gouvernement Gaillard tombe en raison de sa modération dans ce dossier.

Après la chute de Gaillard, Pierre Pfl imlin est pressenti. Il s’est montré partisan de la négociation avec les nationalistes algériens25. Il forme un gouvernement

et tente d’obtenir la confi ance de l’Assemblée nationale le 13 mai 1958. Ce même jour, un Comité de salut public prend le pouvoir à Alger, à la suite d’une manifestation de pieds-noirs. Finalement, dans une atmosphère troublée, Pfl imlin

21. ACNPF, 72 AS 1381, note de synthèse de 18 p., juillet 1958.

22. Benjamin Stora, Histoire de la guerre d’Algérie (1954-1962), La Découverte, Paris, 1993, p. 47.

23. Martin Thomas, « France accused : French North African Policy before the UN, 1952-1962 », in Contemporary European History, 10/1, 2001, p. 109-110.

24. Année politique, 1958, PUF, Paris, 1959, p. 16.

est investi dans l’urgence à 1 h 15 du matin et tient un Conseil des ministres extraordinaire à 3 h 5026 ! La confi ance n’est cependant pas rétablie. Dès le

14 mai, le Comité de salut public demande un retour au pouvoir du général de Gaulle . Après le passage de la Corse sous la coupe des militaires révoltés contre le pouvoir politique, le 24 mai 1958, l’Assemblée nationale investit fi nalement le général de Gaulle comme président du Conseil. Cette crise politique a entraîné de profondes diffi cultés fi nancières et monétaires qui ont remis en cause le début de rétablissement issu des réformes mises en œuvre par Félix Gaillard . Ce contexte troublé facilite paradoxalement l’acceptation de la CEE.

II. L’ACCEPTATION DE LA CEE

Après la signature du traité de Rome, le 25 mars 1957, se pose le problème de sa ratifi cation, prévue en juillet 1957, et de son application, avec la mise en place des institutions communes à partir de janvier 1958. Dans ce processus, le ralliement d’une majorité du patronat à la CEE joue un rôle important pour justifi er l’intérêt économique de cet accord pour la France. De toute façon, les décideurs français se convertissent rapidement à un traité de Rome ravalé au second plan des préoccupations gouvernementales par la dramatique actualité algérienne. Cela explique, enfi n, que la mise en place des institutions communau- taires ne suscite pas de stratégie d’infl uence organisée de la part de la France.

Outline

Documents relatifs