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LA CRISE FRANÇAISE, LA CEE ET LA ZLE (AVRIL 1957-MAI 1958)

B. U NE MÉFIANCE CROISSANTE ENVERS LA ZLE

3. Une mobilisation patronale infl uente en France.

La conception de l’Europe organisée en faveur de laquelle s’exprime la majo- rité du patronat à l’occasion des débats sur la CEE rend le projet de ZLE peu séduisant à ses yeux.

Le CNPF se mobilise dès le 17 septembre 1957, à l’occasion de la relance de la négociation ZLE par le comité Maudling, en publiant une note sur ce sujet dans le Bulletin du CNPF109. Partant des problèmes de l’origine soulevés par

l’absence de tarif extérieur commun, cette note montre que la ZLE avantagera surtout la Grande-Bretagne, et menacera la bonne application de la CEE. Le CNPF conclut sur un refus net de la ZLE, réitéré peu après dans une lettre au nouveau président du Conseil Félix Gaillard 110. Cette mobilisation du CNPF

suit celle de Renault. Au début du mois de septembre 1957, son PDG Pierre Dreyfus rencontre Jean Monnet et lui transmet une note très aboutie contre la ZLE111. Il demande un décalage important entre la CEE et la ZLE. En attendant,

il serait possible de répondre à l’inquiétude que suscite la CEE par des accords commerciaux ad hoc entre les Six et les autres membres de l’OECE .

108. Wormser suit une note de Sadrin : AMINEFI, B 44.246, note RG, Finex, signée Sadrin, 10 avril 1957.

109. Texte du CNPF du 17 septembre 1957 adressé au ministre des Affaires étrangères, in Bulletin du CNPF, octobre 1957, n° 165.

110. Bulletin du CNPF, décembre 1957, n° 167, « Position du CNPF sur la ZLE », p. 21-22. 111. AFJM, AMK C 16/4, lettre de Maurice Bosquet à Jean Monnet, 12 septembre 1957.

Par la suite, les branches les plus menacées par la ZLE se mobilisent publi- quement. La chimie ouvre le bal car ses produits sont directement concernés par la diffi culté d’identifi er l’origine des produits112. C’est ensuite l’électromé-

tallurgie et l’électrochimie qui soulignent le problème posé par la concurrence de la Scandinavie, favorisée par des prix de l’électricité faibles, et de la Grande- Bretagne qui bénéfi cie d’approvisionnements préférentiels du Commonwealth 113.

Le secteur automobile enfi n, se mobilise au-delà du seul constructeur Renault, toujours pour critiquer la concurrence potentielle déloyale du Royaume-Uni si une ZLE était établie114. Au-delà c’est bien la concurrence américaine

qui inquiète les constructeurs français mais aussi italiens comme Fiat115. Ce

n’est pas la concurrence qui est refusée en tant que telle mais l’absence d’un cadre l’organisant et la canalisant, ainsi qu’une échelle de coopération moins favorable que dans la CEE.

Cette mobilisation patronale quasiment unanime a des conséquences visibles sur les responsables administratifs. En effet, l’administration cherche naturelle- ment à s’appuyer sur l’expertise patronale pour nourrir ses réfl exions sur la ZLE . En mai 1957, Donnedieu de Vabres demande des arguments pour convaincre les Six de défendre une harmonisation tarifaire dans certains secteurs industriels116.

De son côté, le ministère de l’Industrie , qui souhaite étudier le problème des usines de montages américaines soulevé par le secteur automobile117, doit rapi-

dement reconnaître les lacunes de ses sources et demande l’aide des milieux économiques pour obtenir des informations118.

De plus l’hostilité du patronat français à la ZLE – en contraste avec sa conversion rapide à la CEE, est utilisé par les négociateurs fran- çais. L’argument est utilisé par Olivier Wormser le 7 octobre face aux Britanniques, et par Maurice Faure le 16 octobre lors de sa conversation avec

112. AMAE, DECE 628, folio 73, mémorandum de l’Union des industries chimiques du 2 octobre 1957.

113. ASGCI, 1991.004, vol. 3, lettre au directeur des Mines (Industrie), de la Chambre syndicale de l’électrométallurgie et de l’électrochimie, 29 octobre 1957.

114. AMAE, DECE 756, lettre de la Chambre syndicale des constructeurs d’automobile du 3 janvier 1958, au ministre de l’Industrie ; ASGCI, 1991.0004, article 1, lettre du directeur adjoint de Simca au directeur du cabinet du ministre de l’Industrie du 14 janvier 1958 ; ASGCI, 1991.004, article 3, conférence de presse du président François Peugeot, 17 mars 1958.

115. S. Ramirez, Public Policies…, op. cit., p. 535-542.

116. AINDUS, 1977.1520, article 49, note manuscrite : réunion ZLE du 28 mai 1957. 117. AINDUS, 1977.1520, article 49, note pour les services de Bazin, 3 août 1957.

118. AINDUS, 1977.1520, article 49, note de la DIME, du 30 août 1957 ; ASGCI, 1991.0004, article 1, lettre du directeur adjoint de Simca, L. de Rosen, à François Delhomme, directeur du cabinet du ministre de l’Industrie du 14 janvier 1958.

Maudling 119. En interne, Sadrin cite même le CNPF comme source d’une

contre- proposition globale alternative à la ZLE, celle de conclure des accords tarifaires et contingentaires bilatéraux entre les Six en tant que Communauté d’une part, et les Onze pris de manière individuelle120. Cette solution se

rapproche d’ailleurs de celle qui est proposée par Maurice Faure à Ludwig Erhard le 18 février 1958121. Réduire la ZLE à un ensemble d’accords com-

merciaux bilatéraux conclus par la Commission européenne permettrait d’affi rmer la puissance commerciale de la CEE et l’unité structurelle des Six.

Enfi n, le patronat apparaît parfois comme un véritable acteur de la négo- ciation ZLE en participant au débat franco-britannique. Lors de la réunion d’une « conférence industrielle européenne », organisée en mars 1958 par la branche britannique du Mouvement européen, la délégation française a fait l’objet d’attaques très vives de la part des Britanniques. Les organisateurs britanniques de la réunion sont d’ailleurs très proches du gouvernement de Londres et défendent la même position sur la ZLE 122. L’ambassadeur de France

à Londres, Jean Chauvel , remarque alors : « Je crois qu’il a été utile, en face de ces obstacles, que le point de vue français fût défendu avec beaucoup de fermeté, comme s’y employa notre délégation. […] En plaçant l’échange de vues sur un plan concret, les représentants patronaux et syndicaux français purent ainsi faire apparaître la complexité des problèmes posés par la zone, et la très grande diversité des solutions présentées par les uns et les autres123 ».

Les représentants patronaux français ont donc suivi la tactique adoptée par les Français au comité Maudling. Elle consiste à empêcher toute prise de position de principe par l’évocation des multiples problèmes concrets que pose une zone de libre-échange. Le terme « notre délégation », employé par Chauvel , comme la tactique adoptée témoignent d’une certaine analogie entre les représentants patronaux et les fonctionnaires français engagés dans la négociation.

Un deuxième indice de cette correspondance se manifeste lors de la réunion du comité Maudling de mars 1958. À cette occasion, la délégation française avait proposé, sans succès, d’établir un mémorandum sur le secteur de la pâte à papier.

119. AMAE, DECE 752, folio 135, note sur les entretiens entre Olivier Wormser et Sir Paul Gore Booth, sous-secrétaire d’État chargé des Affaires économiques au Foreign Offi ce, 7 octobre 1957 ; DDF, 1957-II, document n° 266, note du département, « Entretien entre M. Maurice Faure et M. Maudling », 16 octobre 1957.

120. ASGCI, 1977.1471, article 60, note de Jean Sadrin, directeur des Finances extérieures, du 14 octobre 1957.

121. AMAE, DECE 753, folio 20, note du 20 février 1958 sur les entretiens Faure-Erhard du 18 février 1958.

122. PRO, FO 371/128364, note FO, D. Ormsby-Gore, 27 octobre 1957. 123. AMAE, DECE 701, folio 206, télégramme de Chauvel du 6 mars 1958.

Cette manœuvre aurait permis de démontrer l’irréalisme d’une simple zone de libre-échange dans ce secteur où les pays scandinaves, du fait de l’abondance de leurs ressources forestières, disposent d’un avantage comparatif susceptible de briser toute concurrence au sein de la ZLE 124. Or quelques semaines plus

tard, un mémorandum est établi par les représentants de cette branche des Six pays de la CEE, rejoints pour l’occasion par les producteurs britanniques125. Ils

reprennent ces arguments et demandent l’exclusion de la ZLE de ce secteur, ou à défaut des mesures de sauvegarde. Un jeu de va-et-vient se développe donc entre les négociateurs au comité Maudling et les milieux économiques. Il ne faut pas voir dans ce mouvement un plan concerté, géré par un acteur unique omniscient, mais l’expression d’une même inquiétude par différents acteurs. Sur le fond, les réfl exions du patronat permettent de renforcer l’intérêt du libéralisme régulé de la CEE aux yeux des décideurs français, alors que la ZLE devient rapidement un contre-modèle en incarnant le libéralisme sauvage du XIXe siècle. Cependant, son action à l’échelle européenne est entravée par ses divisions.

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