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LA CEE SANS ENTHOUSIASME (1955-MARS 1957)

A. L A ZLE : COMPLÉMENT OU ALTERNATIVE ?

2. Une mobilisation naturelle en faveur de la ZLE.

La plupart des décideurs français ne différencient pas clairement le Marché commun et la ZLE en terme d’opportunité pour la France. Deux types d’arguments, politiques et économiques, sont développés en faveur de la ZLE.

Tout d’abord, l’aspect stratégique de la ZLE est particulièrement mis en valeur par les diplomates de la DAEF . François Valéry souligne la bonne volonté britannique car « c’est en effet la première fois que la Grande-Bretagne semble disposée à participer à une autre zone préférentielle que celle constituée par le Commonwealth 183 ». Cet argument politique est complété par une considé-

ration à la fois stratégique et économique : la création de la ZLE permettra de diluer la formidable puissance industrielle exportatrice allemande dans une zone préférentielle plus vaste que celle des Six184. Cet argument démontre la

persistance de la peur de la domination allemande. Les relations commerciales sont appréhendées sous l’angle des rapports de puissance plus que sous celui d’une vision libérale optimiste, assignant au libre-échange une fonction de pacifi cation des relations internationales et de stimulateur de la prospérité.

Les responsables politiques sont particulièrement sensibles à la nécessité de ne pas s’éloigner de la Grande-Bretagne. Dès le mois de janvier 1957, l’oppo- sant au Marché commun Paul Ramadier demande à ses services des notes sur la ZLE , alors même que le traité de Rome n’est pas encore signé185. De même,

lors de son grand discours à l’Assemblée nationale, Pierre Mendès France critique le Marché commun pour de multiples raisons et notamment en rai- son de l’absence de la Grande-Bretagne186. La résolution fi nale des débats de

l’Assemblée insiste sur la nécessité de compléter le Marché commun par une zone de libre-échange permettant d’associer la Grande-Bretagne187. Christian

Pineau , le ministre des Affaires étrangères se montre très volontaire sur la ZLE lors des entretiens franco-britanniques du 9 mars 1957, soulignant les diffi cultés de la négociation mais proposant, avant même la conclusion du traité de Rome, des entretiens bilatéraux acceptés par Macmillan 188. Il utilise d’ailleurs à cette

occasion des chiffres pourtant basiques – la part de la production française

183. AMAE, DECE 740, folio 29, note de François Valéry du 26 juillet 1956.

184. AMAE, DECE 740, folio 48, note de François Valéry, 9 octobre 1956 ; AMAE, DECE 614, folio 78 et DECE 740, folio 119, note de Michel Warenghien du 8 décembre 1956.

185. AMAE, DECE 740, n° 207, note NN, DREE, note pour le ministre du 1er février 1957.

186. Pierre Mendès France, Œuvres complètes, tome IV : Pour une République moderne, 1955- 1962, Gallimard, Paris, 1987, p. 250-275.

187. AMAE, DECE 751, folio 31, note de René de Saint-Légier du 25 janvier 1957. 188. PRO, FO 371/128338, doc. 611/278, réunion à Matignon le 9 mars 1957.

consacrée à l’agriculture – qui se révèlent très éloignés de la vérité189, ce qui

est étonnant compte tenu de sa formation et de ses expériences économiques190.

Cela démontre que la réfl exion de Pineau est de nature plutôt politique à cette date. Par ailleurs, Pineau propose de réunir des groupes d’experts de manière bilatérale pour aplanir les différents de nature technique. Cette suggestion est immédiatement acceptée par Macmillan. François Valéry , pourtant favorable à la ZLE, est très étonné de cette offre qui est particulièrement avantageuse pour la Grande-Bretagne191. De même, dans le discours qu’il prononce à Rome

à l’occasion de la signature des traités, le 25 mars 1957, Pineau souligne que la tâche immédiate des Six est dorénavant d’étudier la ZLE afi n de ne pas se couper de la Grande-Bretagne192. L’argumentation de Pineau est donc essen-

tiellement politique – il s’agit de progresser dans l’unifi cation de l’Europe – et insère le Marché commun dans la négociation globale sur la réorganisation de la coopération en Europe qui doit aussi inclure la Grande-Bretagne.

Cette réaction s’explique par une deuxième caractéristique des conceptions françaises de la ZLE , l’absence de compréhension de la spécifi cité du modèle d’intégration économique de la CEE. Pour les diplomates de la DAEF le Marché commun ne permet pas d’obtenir pour la France plus de garanties que la ZLE et sa négociation ne sera pas plus diffi cile que celle du Marché commun193.

Naturellement, Olivier Wormser cherche à préparer sérieusement la négocia- tion sur la ZLE à venir, en la plaçant dans la continuité directe de la CEE. Il demande à un de ses adjoints d’étudier la possibilité d’appliquer les trois harmonisations sociales accordées à la France dans le cadre de la négociation à Six, au projet de ZLE194.

189. Christian Pineau assure que la part de la production agricole sur la production totale est de 40 % en France contre 10 % en Grande-Bretagne, ce qui suscite une note de l’ambassade de France à Londres. Selon elle, les chiffres réels, tirés des statistiques françaises, sont respectivement de 14 % et de 5 % : PRO, FO 371/128338, note du département commercial, 18 mars 1957.

190. Michel Margairaz, « Christian Pineau et son expérience des Finances et de l’Économie : un modernisateur réformateur et réformiste (1934-1950) », in Alya Aglan, Denis Lefebvre (dir.), Christian Pineau : de Buchenwald aux traités de Rome, B. Leprince, Paris, 2004, p. 53-70.

191. PRO, FO 371/128338, doc. 611/287, note pour F. E. Figgures, Treasury, 11 mars 1957 : « He [François Valéry] was obviously a little shaken at their Ministers having proposed such bilateral… ».

192. Discours de Christian Pineau lors de la signature des traités de Rome, 25 mars 1957, texte issu des archives historiques de l’Union européenne (fonds CM3/NEGO/098), disponible sur : www. ena.lu.

193. AMAE, DECE 740, folio 48, note de François Valéry, 9 octobre 1956 ; AMAE, DECE 614, folio 1, note de Françis Gutmann du 2 novembre 1956.

194. AMAE, DECE 740, folio 114, note manuscrite d’Olivier Wormser à Francis Gutmann du 30 novembre 1956.

Cette attitude des diplomates de la DAEF paraît logique. Attachés à l’alliance britannique pour des raisons stratégiques, ils considèrent que le projet de ZLE permet de satisfaire à la fois la nécessaire participation de la France à la coopé- ration économique européenne tout en évitant la supranationalité. Leur position est d’ailleurs partagée par d’autres spécialistes des négociations économiques européennes comme Bernard Clappier et Alexandre Kojève de la DREE 195.

Ainsi le projet de ZLE apparaît comme politiquement incontournable et s’inscrivant directement dans la continuité du Marché commun sur le plan économique. Très naturellement, juste après la conclusion du traité de Marché commun, un second comité Verret est constitué, cette fois sur la ZLE196. Le

parallèle entre les négociations CEE et ZLE est explicite. La différenciation entre CEE et ZLE est rarement effectuée. Cela tient d’une part à l’imprécision du projet de ZLE mais aussi au manque de perception de la spécifi cité du modèle économique de la CEE. C’est justement la défense de cette spécifi cité du Marché commun qui mobilise les premiers opposants à la ZLE.

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