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La stratégie de la rupture (octobre-début novembre 1958).

DANS LES NÉGOCIATIONS EUROPÉENNES (MAI-DÉCEMBRE 1958)

B. L A RUPTURE DE LA NÉGOCIATION ZLE ( OCTOBRE DÉCEMBRE 1958) En dépit des progrès des travaux techniques, notamment au sein des Six,

1. La stratégie de la rupture (octobre-début novembre 1958).

Au sein des « réalistes » de l’administration française, ceux qui défendent une position constructive dans la négociation ZLE , l’idée de la rupture commence à être envisagée à partir d’octobre 1958. C’est Olivier Wormser qui est encore l’acteur majeur de cette révision de la position française, à travers deux notes des 4 et 6 octobre 195861. Deux éléments font évoluer la réfl exion du directeur

60. ASCGI, 1977.1471, article 63, note de la DAEF du 14 octobre 1958.

61. AMAE, POW 40, folio 189, télégramme d’Olivier Wormser à l’ambassade de France à Londres, 4 octobre 1958 ; DDF, 1958-II, document n° 225, note DAEF d’Olivier Wormser, 6 octobre 1958.

de la DAEF . Tout d’abord, la stratégie française reposant sur la défi nition d’une position commune à Six connaît des limites car les Six ne sont pas toujours unis en dépit des accords conclus à Venise. Par ailleurs, le directeur de la DAEF remarque que la Grande-Bretagne semble moins intéressée par la ZLE dans la mesure où elle réfl échit à des formes de coopération économique à dimension plus mondiale, s’appuyant en particulier sur le rôle mondial de la livre et sa relation privilégiée avec les États-Unis62. C’est d’ailleurs en octobre 1958 que

les Américains proposent de lancer un round de négociations au GATT pour obtenir une libéralisation des échanges dans un cadre mondial63. Les autori-

tés américaines, confrontées à des tensions croissantes en matière de balance commerciale, se montrent beaucoup plus intéressées par cette perspective que par celle de la ZLE , alors même que la CEE continue d’être fortement soutenue pour des raisons politiques64. Pour Washington aussi, les deux échelles des Six

et du monde occidental semblent s’imposer progressivement.

Dès lors, Oliver Wormser propose d’exposer à la Grande-Bretagne une doc- trine plus offensive, en demandant aux Britanniques un engagement explicite de défendre la préférence commerciale européenne. À défaut, il faudrait « laisser entendre que le gouvernement français pourrait rompre ouvertement sur cette question la négociation de la zone… » 65. Olivier Wormser envisage donc de

poser la question de la fi nalité de la coopération économique européenne : s’agit-il de préparer une coopération économique mondiale – la ZLE constituant une antichambre du GATT – ou de promouvoir en tant que telle la coopération européenne – donc en acceptant une discrimination commerciale face à l’exté- rieur ? Cette question permet de mettre la Grande-Bretagne au pied du mur. Le directeur de la DAEF n’est pourtant pas un défenseur enthousiaste de la CEE, dont il reconnaît les « exagérations » du point de vue britannique66, mais c’est

le meilleur cadre de coopération européenne disponible pour la France. Les archives britanniques confi rment cette impression de Wormser . Depuis le printemps 1958, des schémas alternatifs à la ZLE étaient étudiés en Grande- Bretagne. En juin 1958, le cabinet semble envisager de plus en plus sérieusement la rupture de la négociation ZLE si cette dernière ne satisfait pas les intérêts

62. AMAE, POW 40, folio 189, télégramme d’Olivier Wormser à l’ambassade de France à Londres, 4 octobre 1958.

63. Pascaline Winand, Eisenhower, Kennedy and the United States of Europe, St. Martin’s Press, New York, 1993, p. 127-128.

64. Jeffrey Glen Giauque, Grand designs and visions of unity…, op. cit., p. 65. 65. DDF, 1958-II, document n° 225, note DAEF d’Olivier Wormser, 6 octobre 1958. 66. AMAE, POW 40, folio 262, note d’Olivier Wormser, 5 novembre 1958.

britanniques67. Ces réfl exions se radicalisent encore à partir d’août 1958 lorsque

David Eccles , le président du Board of Trade, estime que la priorité britannique devrait être de favoriser un mouvement mondial de libération des échanges avec l’appui américain68. Face à lui, Reginald Maudling défend toujours la ZLE car

elle reste le projet le plus favorable à la Grande-Bretagne69. Londres hésite en

effet entre une stratégie européenne et une stratégie mondiale.

La situation se tend plus encore après l’exposé par Wormser à Londres, le 14 octobre 1958, de la nouvelle position française70. Cet entretien a un impact

majeur sur les Britanniques. Dès le lendemain, Macmillan demande explicite- ment quelles sont les mesures de représailles que Londres peut envisager contre Paris en cas de rupture de la négociation ZLE 71. Il propose plusieurs pistes de

réfl exions à son administration :

Can we take action on the economic plan, in GATT by a tariff war, or by some other forms of discrimination to counter their discrimination against us? By political action. I hardly think we could justify remaining in NATO and keeping four divisions of our troops at considerable expense to defend militarily a group of countries who were carrying an economic war against us72.

Cette note démontre bien la confusion des objectifs économiques et politiques entretenue par le Premier ministre Britannique, et la radicalité de ses réfl exions. Pour lui, le dossier de la ZLE est intrinsèquement lié à celui de la réforme de l’OTAN , relancé par de Gaulle avec son mémorandum du 17 septembre 1958. Cependant, son administration lui déconseille fortement de recourir à ces mesures de représailles73.

En France, les réfl exions du général de Gaulle sur l’OTAN ne semblent pas interférer avec la coopération économique européenne, mais appartenir à deux échelles complémentaires74. Dans la première, la France cherche à entamer

un dialogue avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, dans la seconde, elle

67. PRO, CAB 130/123, Cabinet, Free Trade Area, réunion du 23 juin 1958, note du 24 juin 1958.

68. PRO, T 337/49, note de David Eccles, Board of Trade, pour le Premier ministre, 14 juillet 1958.

69. PRO, T 337/49, note de Reginald Maudling pour le Premier ministre, 5 août 1958.

70. AMAE, RPUE 30, télégramme du représentant permanent au ministre des Affaires étrangères, 20 octobre 1958, réunion du COREPER du 17 octobre 1958.

71. PRO, T 234/378, Harold Macmillan au chancelier de l’Échiquier, 15 octobre 1958. 72. PRO, T 234/378, Harold Macmillan au chancelier de l’Échiquier, 15 octobre 1958.

73. PRO, T 234/378, note RWB Clarke, service du ministère des Finances, 16 octobre 1958 ; note du Foreign Offi ce transmise par S. Lloyd le 31 octobre 1958.

doit privilégier l’échelle de coopération des Six et la base franco-allemande, sans se couper des autres pays. Fort de ce cadre stratégique cohérent, Wormser poursuit ses réfl exions. Il produit le 20 octobre 1958 une longue note justifi ant sa stratégie de rupture75. Selon le directeur de la DAEF , Londres veut briser le

processus de construction européenne pour imposer une approche mondiale fondée notamment sur le retour prochain à la convertibilité de la livre. Il faut en profi ter pour briser la négociation, en comptant sur le soutien que la RFA devrait apporter à la France pour des raisons politiques. Pour ne pas se couper de la Grande-Bretagne, la France devra présenter une contre-proposition à destination de Londres qui préserve ses intérêts commerciaux. Le directeur de la DAEF affi rme clairement, une nouvelle fois, que le gouvernement français devra alors s’engager pleinement pour l’application de cette ZLE devenue inoffensive, y compris en l’imposant au patronat76. Wormser reste dans le schéma

d’une ZLE politiquement incontournable.

En octobre 1958, la négociation se tend car les objectifs français et bri- tanniques sont contradictoires. Pour de Gaulle et Wormser , c’est la CEE qui peut établir les bases d’une restauration de la puissance française. La réfl exion inverse est menée par Macmillan : seule une ZLE qui briserait la dynamique de la CEE pourrait rétablir la prépondérance fi nancière, commerciale et économique britannique. C’est cette opposition de fond qui conditionne un durcissement puis la rupture des négociations ZLE .

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