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Les autres promoteurs du Marché commun dans l’administration.

LA CEE SANS ENTHOUSIASME (1955-MARS 1957)

C. L A COMPLÉMENTARITÉ DES PROMOTEURS DU M ARCHÉ COMMUN

3. Les autres promoteurs du Marché commun dans l’administration.

D’autres fi gures d’intermédiaires entre les sphères administratives, politiques et intellectuelles ont joué un rôle de premier plan dans la négociation du traité de marché commun. Cependant, elles jouent un rôle moins important que Robert Marjolin dans le dossier spécifi que de la négociation des clauses économiques du Marché commun entre le rapport Spaak et le traité de Rome.

Félix Gaillard et Pierre Uri ont joué un rôle important entre Messine et le rapport Spaak. Le premier est le chef de la délégation française au comité Spaak en 1955. Ancien collaborateur de Monnet et Marjolin , il apparaît lié aux mêmes milieux européens et modernisateurs, mais il disparaît des négociations européennes sous le gouvernement de Guy Mollet .

Pierre Uri a un profi l proche de Robert Marjolin. Comme lui, il a commencé par des études littéraires – mais en suivant la voie plus classique de l’ENS et de l’agrégation de philosophie, avant de s’orienter vers l’économie. Les deux hommes ont tous deux effectué un séjour d’étude aux États-Unis avant- guerre273. Enfi n, ils ont tous les deux été des collaborateurs de Jean Monnet au

Plan. Alors que Marjolin est parti pour l’OECE , Pierre Uri a rejoint la CECA. Il prit ensuite une part très active à la relance de Messine en rédigeant une synthèse entre les projets sectoriels de Monnet et ceux de marché commun général de Beyen qui est à la base du mémorandum présenté par le Benelux avant Messine274. De même, il fut l’un des principaux rédacteurs du rapport

Spaak. Par la suite, il joua un rôle important dans la négociation du Marché commun mais comme conseiller de Paul-Henri Spaak et pas du gouvernement français275. Très bon technicien, son caractère trop tranché – qui apparaît bien

273. Robert Marjolin séjourna à Yale. Voir Robert Marjolin, Le travail d’une vie…, op. cit., p. 40. Pierre Uri séjourna à Princeton et rencontra après la guerre l’économiste américain Robert Nathan, proche de F. D. Roosevelt. Voir Jérôme Wilson, « Aux origines de l’ordre juridique communautaire » in Annales d’études européennes de l’université catholique de Louvain, volume 7, 2003-2004, p. 20.

274. Michel Dumoulin, Spaak, Racine, Bruxelles, p. 505.

275. Robert Marjolin, Le travail d’une vie…, op. cit., p. 296 et Hanns Jürgen Küsters, Fondements…, op. cit., p. 168.

dans ses mémoires276 – rendait toutefois diffi cile son affectation à une fonction

diplomatique ou politique277.

Des proches collaborateurs du président du Conseil et de ses ministres ont, par contre, joué un rôle très important dans la négociation intergouvernementale du traité de Rome. Le premier, Émile Noël est à la fois un Européen militant et un proche de Guy Mollet , qu’il assista dans ses fonctions de président de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe 278. Ses archives laissent entre-

voir sa fonction de proche conseiller du président du Conseil pour un nombre de dossier impressionnant mais pas l’intégration économique279.

Enfi n, Georges Vedel , professeur de droit et membre du cabinet de Maurice Faure , a joué un grand rôle dans les questions institutionnelles, même si les témoins sont partagés sur son infl uence dans ce domaine280.

Le reste des décideurs de l’administration française est très majoritairement hostile au Marché commun, à deux exceptions près, les hauts fonctionnaires européistes mais isolés, et ceux qui sont favorables au Marché commun non par européisme, mais par simple libéralisme. Le premier camp est animé notamment par le directeur des Finances extérieures , Jean Sadrin 281. Une autre person-

nalité à la fois libérale et europhile apparaît dans les archives, Jean-François Deniau . Très jeune (il est né en 1928), il n’a d’infl uence que par sa coopération

276. Par exemple sur sa responsabilité dans la création de la CEE : « Pour moi, j’ai usé les circonstances pour introduire ce Marché commun dans la résolution de Messine, j’ai conçu et écrit le rapport Spaak, j’ai réalisé tous les accords diffi ciles dans la négociation du traité de Rome. Alors, père du Marché commun ? […] C’est en France qu’on commence maintenant à le reconnaître, il arrive qu’on me présente comme l’auteur du traité de Rome ou qu’on me demande comment j’apprécie les conséquences lointaines de ce que j’ai fait. Il y a des jours où j’ai besoin de me dire qu’il s’agit, après tout, du plus grand événement du demi-siècle », in Pierre Uri, Penser pour l’action. Un fondateur de l’Europe, Odile Jacob, Paris, 1991, p. 137.

277. Katja Seidel, « Gestalten statt Verwalten : Der Beitrag von Europabeamten zur Europäischen Integration », in Jürgen Elvert und Michael Salewski, Historische Mitteilungen, Band 18. 2005, Franz Steiner verlag, Stuttgart, 2006, p. 141.

278. Gérard Bossuat, « Émile Noël : un grand serviteur de l’Europe communautaire », in Michel Dumoulin (dir.), La Commission européenne, 1958-1972. Histoire et mémoire d’une institution, Communautés européennes, Bruxelles, 2007, p. 213-227.

279. Le fonds Émile Noël est déposé aux archives de l’UE à Florence. Les documents concernant ses fonctions de directeur de cabinet de Guy Mollet sont peu nombreux. Un seul concerne le Marché commun (EN 2704) et ne comprend pas de documents sur l’intégration économique européenne, en dehors de l’agriculture.

280. Témoignage minorant le rôle de Georges Vedel par Pierre Pescatore in : Pierre Pescatore, « Les travaux du "groupe juridique" dans la négociation des traités de Rome », in Studia Diplomatica, 1-4 (1981), p. 163, cité in : Corinne Schröder et Jérôme Wilson, « Europam Esse Construendam : Pierre Pescatore und die Anfänge der Europaïschen Rechtsordnung », in Jürgen Elvert, Michael Salewski (éd.), Historische Mitteilungen, (HRMG Band 18 : 2005), Franz Steiner Verlag, Stuttgart, 2006, p. 169.

avec Marjolin, qu’il assiste dans son travail de promotion du Marché commun tant auprès du patronat, que de l’administration ou de l’opinion publique. Il s’impose rapidement comme un des spécialistes incontesté du traité de Marché commun en rédigeant le Que sais-je ? sur le Marché commun à la demande de Robert Marjolin 282. Il y met en valeur les spécifi cités et les aspects stimulants

de l’intégration économique européenne.

D’autres décideurs administratifs sont favorables au Marché commun non par européisme mais par attachement au retour aux mécanismes du libre marché. C’est le cas notamment de Roger Goetze , le directeur du Budget , dans sa note d’analyse du rapport Spaak283, mais aussi d’un jeune inspecteur des

fi nances membre du cabinet de Paul Ramadier , Claude Pierre-Brossolette , qui est sur la même ligne284. En mai 1956, il n’hésite pas à critiquer vigoureuse-

ment la thèse classique de l’impossibilité pour la France de profi ter de l’ouver- ture des marchés en raison du niveau de ses charges sociales et fi scales285. Il

montre que d’autres pays exportateurs ont des salaires plus élevés que la France (États-Unis, Grande-Bretagne). Il conseille enfi n de pratiquer une dévaluation véritable et complète, et d’arrêter de subventionner les industries les moins compétitives. Le projet de Marché commun n’est donc pas défendu par euro- péisme mais pour la logique de stimulation par la libéralisation des échanges qu’il apporte. Par ailleurs, d’autres types de coopérations européennes sont envisagés.

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