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LA CRISE FRANÇAISE, LA CEE ET LA ZLE (AVRIL 1957-MAI 1958)

A. L E RALLIEMENT D ’ UNE MAJORITÉ DU PATRONAT À LA CEE

La perspective du débat de ratifi cation du traité de Rome par l’Assemblée nationale au début du mois de juillet 1957 suscite une profonde interrogation au sein du patronat sur la manière dont la France peut s’adapter à ce traité. D’un côté, le secteur cotonnier est l’un des derniers opposants actifs. D’un autre côté, une majorité du patronat se range désormais derrière Georges Villiers et concentre ses revendications sur l’adaptation de la France au Marché commun.

1. La dernière opposition active : le secteur cotonnier.

Le secteur du coton, qui avait déjà manifesté son hostilité au libéralisme du Marché commun pendant la négociation du traité de Rome, renforce son opposition. Il mène une véritable campagne d’opinion pendant le débat de

ratifi cation. Le Syndicat général de l’industrie cotonnière française publie une longue note de 55 pages, largement diffusée avant le débat de ratifi cation à l’Assemblée nationale, qui critique vigoureusement le Marché commun27. Elle

condamne la logique libre-échangiste qui est à la base de la CEE et demande au contraire un tarif extérieur commun élevé et une harmonisation des charges très contraignante.

Cette étude a un grand écho car elle suscite une longue réponse de la part du cabinet de Maurice Faure 28. Le secteur cotonnier est en effet très actif dans son

opposition au traité de Rome. Les tentatives de Marcel Boussac d’infl uencer le vote des parlementaires lors du débat de ratifi cation ont débouché sur ce qui a été appelé l’« amendement Boussac29 ». Il prévoyait que le gouvernement fran-

çais, au lieu de ratifi er le traité de Rome, devait s’engager dans des négociations internationales destinées à interrompre le processus de désarmement douanier. Cette vision protectionniste s’explique par le fait que l’industrie cotonnière veut compenser la non-compétitivité de ses produits par le maintien d’un fort protectionnisme entre la France et ses colonies30.

Ainsi, après s’être adressé aux administrations les plus hostiles au rapport Spaak pendant la négociation du traité de Rome, le syndicat cotonnier cherche maintenant à infl uencer, sans succès, les parlementaires. Après la ratifi cation des traités de Rome, cette organisation change de ligne et concentre ses efforts sur l’adaptation au Marché commun31. Dans la revue Industrie cotonnière

française sont publiés des articles à caractère technique, et non plus polé-

mique, sur la CEE, en particulier sur les clauses qui intéressent le plus le secteur cotonnier comme la politique commerciale commune ou le régime des contingents32. Le syndicat cotonnier suit en fait le chemin emprunté par

d’autres organismes sectoriels autrefois hostiles au Marché commun comme la FIMTM . Cette dernière avait dès le mois de juin 1957 fait connaître une position certes critique envers le traité de CEE, mais insistant surtout sur

27. Analyse du traité de Marché commun, SGICF, second trimestre 1957, citée in J. Szokoloczy- Syllaba, Les organisations professionnelles…, op. cit., p. 40 et 57. Le syndicat est animé par Pierre de Calan .

28. AHUE, EN 379, « Le Marché commun, objections et réponses », manuscrit : « juin 1957. Cabinet Maurice Faure ».

29. J. Szokoloczy-Syllaba, Les organisations professionnelles…, op. cit., p. 57. C’est Pierre-Henri Teitgen qui est à l’origine de l’expression « amendement Boussac » : Journal Offi ciel, Débats parle- mentaires, Assemblée nationale, session 1956-1957, p. 3410.

30. René Girault, « La France entre l’Europe et l’Afrique », p. 352, in Enrico Serra (dir.), La relance européenne…, op. cit., p. 362. Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Albin Michel, Paris, 1984, p. 188-197.

31. J. Szokoloczy-Syllaba, Les organisations professionnelles…, op. cit., p. 58. 32. J. Szokoloczy-Syllaba, Les organisations professionnelles…, op. cit., p. 60.

la nécessité de réformer la politique économique nationale pour s’adapter à ce nouveau défi , désormais incontournable33. Profi tant de cette évolution des

mentalités, Georges Villiers entreprend de rassembler le patronat autour d’une ligne favorable à la CEE.

2. L’action de rassemblement du CNPF en faveur de la CEE.

L’assemblée générale du CNPF est particulièrement importante car elle a lieu le 1er juillet 1957, quelques jours avant le débat de ratifi cation des traités

de Rome à l’Assemblée nationale. Georges Villiers , le président du CNPF, parvient à rassembler la majorité des milieux économiques autour d’une ligne tolérante envers la CEE par un discours en trois temps34.

Tout d’abord, il affi rme que la voix du monde patronal a été entendue par les négociateurs français, qui se sont efforcés de relayer les intérêts des milieux économiques. Cette revendication est évidemment diffi cilement vérifi able dans les archives car les fonctionnaires se vantent rarement d’avoir été infl uencés par les milieux économiques. Elle est cependant confi rmée par une note interne au CNPF35.

Ensuite, Georges Villiers détourne les éventuelles critiques adressées au Marché commun en mettant l’accent sur les diffi cultés françaises propres. Pour lui, le problème n’est pas le traité CEE mais l’inadaptation de la poli- tique économique française. Villiers demande également aux entreprises de faire un effort, en multipliant les études et les ententes afi n de s’adapter à l’ouverture des marchés européens36. Il met ainsi dos à dos les « malthusiens »

publics et privés et plaide pour une approche contractuelle, associant libéralisme économique et accords entre les entreprises.

Enfi n, Villiers souligne une nouvelle fois que la construction européenne peut être utilisée comme un levier de réforme des politiques publiques françaises. La cible principale est la politique des prix car elle est très coûteuse pour les fi nances publiques (par les subventions) et elle fausse le fonctionnement du marché. Les industriels se plaignent que les prix soient bloqués à un niveau artifi ciel, qui donne des rentes de situation aux secteurs et aux entreprises les moins effi caces. Le blocage empêche les entreprises à forte productivité de

33. ARAM, 52 J 116, « La situation économique française et le traité de CEE », FIMTM, 21 juin 1957 ; cette évolution se poursuit avec d’autres notes envoyées à l’administration française : ASGCI, 1991.0004, article 2, lettre de Jean Lecomte, secrétaire général de la FIMTM, 19 décembre 1957.

34. ACNPF, 72 AS 847, compte rendu de l’assemblée générale du CNPF du 1er juillet 1957.

35. ACNPF 72 AS 1505, note E-RL de Raymond Lartisien du 9 avril 1957.

gagner des parts de marché en baissant leurs prix, ou aux producteurs de biens très demandés d’augmenter leurs prix pour fi nancer leurs investissements.

Pour défendre cette réforme de la politique des prix, le CNPF mobilise le patronat européen. À une table ronde des représentants des Six tenue le 4 octobre 1957, le CNPF cherche à favoriser une action commune dans ce domaine37.

Chaque fédération patronale des Six doit donc envoyer une note sur la politique des prix de son pays au représentant français qui en fera une synthèse. Ce docu- ment permettra d’envisager une action d’harmonisation en vertu de l’article 100 CEE. Le CNPF utilise donc le relais européen pour promouvoir un objectif natio- nal. C’est la manifestation concrète de son ambition d’encadrer l’action d’un gouvernement national perturbateur par l’activité régulatrice européenne.

De même, dans le domaine de l’harmonisation sociale, le patronat cherche également à progresser par une voie contractuelle, pour combler une éventuelle ineffi cacité des États membres. Au CNPF, François Ceyrac , spécialiste des questions sociales, est chargé d’études sur la formation professionnelle mais aussi de l’amélioration des relations entre syndicats patronaux et ouvriers afi n d’adapter la structure industrielle au Marché commun38. Une note de Renault39

et un document public de la FIMTM 40 évoquent également la possibilité de

développer des conventions collectives européennes. La question de l’harmoni- sation sociale est donc étudiée par le patronat dans la mesure où elle permettrait de s’attaquer à ce qui est perçu comme un handicap français par une démarche européenne non gouvernementale.

Ainsi, Georges Villiers mène une action de rassemblement d’un patronat dont la position évolue envers la CEE comme le montre la position de la FIMTM, ou même du syndicat cotonnier . Il parvient à surmonter l’opposition de certains milieux patronaux au Marché commun en évitant de défendre frontalement le traité de Rome, et en mettant l’accent sur l’impératif de l’adaptation de la politique économique à une libéralisation des échanges inéluctable. La CEE fait fi gure d’obligation salutaire, de levier de réforme du dirigisme interne, surtout si elle est mise en œuvre suivant l’approche contractuelle patronale. Cet engagement du CNPF joue certainement un rôle dans l’adaptation rapide des décideurs publics à ce nouveau cadre de coopération économique européenne.

37. 72 AS 1316, table ronde des représentants des industries des Six pays, 4 octobre 1957. 38. ACNPF, 72 AS 1505, note du 19 avril 1957, réunion avec Aubert, Ceyrac, Hommey, Lartisien et Imbert.

39. ASGCI, 1991.0004, article 1, note de Renault, « Création de la Communauté économique européenne et problèmes posés à l’industrie française », note de 21 p., mai 1957.

40. ARAM, 52 J 116, « La situation économique française et le traité de CEE », FIMTM, 21 juin 1957.

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