• Aucun résultat trouvé

L A PROTECTION DE L ’ ENTREPRENEUR INDIVIDUEL PAR L ’ AFFECTATION DE CERTAINS BIENS AU GAGE DES CREANCIERS

L’ AFFECTATION PATRIMONIALE DE CERTAINS BIENS AU GAGE DES CREANCIERS

B. Le contenu de l’affectation patrimoniale

2. La titularité des éléments affectés

244. Tout ou partie de l’ensemble des biens, droits obligations ou sûretés affectés par l’EIRL peut

être constitué de biens communs ou indivis. Souvent, l’EIRL est marié ou pacsé et n’est pas le seul titulaire de l’ensemble ou d’une partie des biens qu’il décide d’affecter à son activité professionnelle. Cependant, le patrimoine affecté étant le gage des créanciers professionnels, l’EIRL doit justifier de l’accord exprès de son conjoint ou de ses coïndivisaires et de leur information préalable sur les droits des créanciers professionnels sur ledit patrimoine. Cette information du conjoint ou des coïndivisaires doit être établie de manière à ne laisser aucun doute sur la portée de l’engagement de ces derniers. Un accord écrit du conjoint ou des coïndivisaires apparait indispensable. Le conjoint ou le coïndivisaire de l’EIRL est davantage protégé que dans le cadre de la constitution d’une société à responsabilité limitée où la loi n’exige du chef d’entreprise qu’une simple obligation de prévenir son conjoint du projet d’apport en société540. Cette différence d’approche se justifie néanmoins par le

fait que l’affectation amenuise les facultés contributives du couple pour répondre des crédits liés à leur vie commune. En fait, l’objectif poursuivi par le législateur est de permettre à l’EIRL de pouvoir

539 V. à ce propos E. Dubuisson, L’Entrepreneur individuel à responsabilité limitée, Litec 2010, p. 15.

affecter des biens sur lesquels il n’a pas la propriété exclusive tout en respectant le jeu naturel des règles du droit des régimes matrimoniaux et celles de l’indivision541.

245. Il ne devrait pas y avoir de dérogation à l’application des règles gouvernant l’indivision car le

bien ne change pas de nature. L’affectation du bien ne constitue pas un acte de disposition. Cependant, tout événement touchant le bien affecté peut avoir des répercussions sur le patrimoine affecté. Il en est ainsi en cas de divorce des époux emportant la liquidation de la communauté, tout comme le partage de l’indivision qui a pour conséquences de modifier les droits exercés par l’entrepreneur individuel sur le bien. La liquidation du régime ou le partage de l’indivision pourrait vider le patrimoine d’affectation d’une partie consistance de son contenu, voire le supprimer en cas de disparition d’un bien professionnel nécessaire.

Mais, au-delà, ne peut-on pas voir dans l’affectation « un acte d’administration professionnelle, justiciable à ce titre de la gestion exclusive du conjoint entrepreneur dans le régime de la communauté légale » ?542 Si l’on répond par l’affirmative, exiger le consentement du conjoint de

l’EIRL reviendrait à soumettre l’affectation à une cogestion alors que le patrimoine professionnel affecté loin de constituer un patrimoine fiduciaire ou une affectation pour le paiement préférentiel de la dette d’un créancier est une quête d’autonomie professionnelle de l’entrepreneur individuel. Précisément, la cogestion ne peut s’expliquer dans ce contexte que par l’impact négatif que pourrait avoir l’accomplissement d’actes graves en raison de leurs caractères translatifs, abdicatifs ou constitutifs de droits réels. À s’en tenir à l’article L.526-6 du code de commerce, la création du patrimoine d’affectation n’emporte pas la création d’une personne morale, tous les biens communs ou indivis affectés restent la propriété de leurs titulaires. Or, ici l’affectation ne dégrade pas la situation juridique du bien au regard des dettes professionnelles de l’EIRL car, même sans affectation, il engage par ses dettes la totalité de son patrimoine qu’il soit professionnel ou privé en vertu de l’article 1413 du Code civil. De ce point de vue, la cogestion ne se justifie pas. Et, même si l’affectation d’un bien commun peut diminuer considérablement le crédit du conjoint de l’entrepreneur individuel, elle ne porte pas atteinte à l’engagement de toute la communauté543.

541 Cependant, la question fondamentale qui demeure est le sort qui est réservé à l’affectation d’un bien commun ou indivis. Malgré la différence fondamentale qui oppose le statut matrimonial du bien indivis et du bien commun, le législateur leur destine un sort identique. V. Véronique LEGRAND, EIRL : lancement des opérations et premier « casse- tête » à l’attention des aspirants (composition du patrimoine affecté), LPA, 03 janvier 2011 n°1, p. 4.

542 Véronique LEGRAND, EIRL : lancement des opérations et premier « casse-tête » à l’attention des aspirants (composition du patrimoine affecté), LPA, 03 janvier 2011 n°1, p. 4.

543 La sanction prévue à cet effet semble justifier cette position car le non-respect de l’exigence de cogestion est sanctionnée par la nullité, or l’article L.526-11 du code de commerce dispose que « le non-respect des règles prévues au présent article entraine l’inopposabilité de l’affectation ».

246. Il en est de même s’agissant l’affectation d’un bien indivis. En exigeant l’information du ou des coïndivisaires pour l’affectation d’un bien indivis, le législateur semble oublier que les créanciers personnels ne peuvent pas saisir les biens indivis et qu’en principe les créanciers professionnels d’un indivisaire qui exploite seul un fonds de commerce indivis sont des créanciers personnels au sens de l’article 815-17 du Code civil. Dès lors, l’affectation ne saurait conférer aux créanciers professionnels un droit de saisir que leur refuse le droit de l’indivision544.

En outre, l’article L.526-11 du code de commerce précise qu’ « un même bien commun ou indivis ou une même partie d’un bien immobilier commun ou indivis ne peut entrer dans la composition que d’un seul patrimoine affecté ». Cette règle impérative vise à éviter que les époux ou les coïndivisaires intègrent le même bien dans chacune des déclarations d’affectation patrimoniale, alors même qu’ils peuvent bien sûr opter pour le statut de l’EIRL pour leur activité professionnelle. Il y va de la consistance du gage des créanciers professionnels de l’époux entrepreneur individuel ou du coïndivisaire exerçant son activité sous le statut de l’EIRL et de la volonté d’éviter les risques de confusions. Mais, si on peut admettre la pertinence d’une telle règle concernant l’affectation des biens communs, que le doute nous soit permis en ce qui concerne la nécessité d’une telle interdiction étendue aux biens indivis. Car, en effet, chaque coïndivisaire pourrait avoir la possibilité d’affecter la fraction de sa part indivise du bien sans pour autant que cela ne remette en cause ni les droits des autres indivisaires et de leurs créanciers, ni les droits des créanciers de l’indivision.

Conclusion du Titre II :

247. Par le jeu des régimes matrimoniaux, l’entrepreneur individuel peut chercher à mettre à

l’abri de la poursuite de ses créanciers professionnels son patrimoine conjugal. À cet effet, le recours aux régimes séparatistes semble être, en pratique, plus indiqué pour soustraire les biens du couple au gage des créanciers. À défaut, l’entrepreneur individuel peut recourir à la technique de l’affectation fiduciaire afin de cantonner les droits des créanciers sur les biens transférés dans le patrimoine fiduciaire. En effet, la fiducie permet la création d’un patrimoine d’affectation qui sera le gage des créanciers professionnels.

248. Mais, le véritable patrimoine fut institué avec la création de l’EIRL. La recherche d’une protection efficace de l’entrepreneur individuel a conduit le législateur français à rompre avec le sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine développé par Aubry et Rau. En effet, l’introduction en droit français du patrimoine d’affectation longtemps réfuté a permis de renforcer les mécanismes

544 Cependant, l’affectation opère toute son originalité à l’égard des créanciers privés car même s’ils sont créanciers de l’indivision, ils ne pourront plus exercer leurs droits sur le bien indivis dès lors que celui-ci a été affecté.

de protection de l’entrepreneur individuel existants. Désormais, l’entrepreneur individuel peut avoir autant de patrimoines qu’il dispose d’activités professionnelles. L’objectif de ce mécanisme est d’isoler son patrimoine personnel en le tenant à l’abri de ses créanciers professionnels. Ainsi, en cas de difficultés résultant de son ou ses patrimoines professionnels, ses biens personnels seront épargnés. La déclaration d’insaisissabilité vise également la même finalité. Mais la protection qu’elle instaure est limitée aux biens immobiliers que l’entrepreneur individuel n’utilise pas dans son activité professionnelle

Ainsi, l’entrepreneur individuel peut recourir à ces divers mécanismes de protection qui lui permettent de limiter les droits des créanciers en les cantonnant au seul patrimoine affecté ou en soustrayant certains biens de leur droit de gage.

Conclusion de la Partie I :

249. En définitive, l’entrepreneur individuel dispose désormais d’une panoplie de mécanismes

destinées à lui permettre de limiter l’étendue des droits des créanciers sur son patrimoine personnel. En effet, en consacrant l'EIRL, le législateur vient renforcer le dispositif de protection existant. Avec la déclaration notariée d’insaisissabilité, ils constituent des mécanismes de protection spécifiquement réservés à l’entrepreneur individuel pour lui permettre de protéger son patrimoine personnel.

250. Toutefois, en dehors de ces mécanismes, l’entrepreneur individuel peut avoir recours à des mécanismes de droit commun tel que la fiducie qui s'affirme de plus en plus comme une « technique participant de la logique de l'affectation patrimoniale », ou le choix des régimes séparatistes. Ainsi, l’entrepreneur individuel peut opter, avant de débuter son activité professionnelle, pour les régimes séparatistes qui sont plus protecteur du patrimoine conjugal compte tenu des risques de son activité professionnelle ou en demander le changement en cours d’activité au profit de ceux-ci.

En théorie, les mécanismes de protection assurent la protection de l’entrepreneur individuel, mais leur mise en œuvre est soumise à certaines conditions dont dépend leur efficacité.

P

ARTIE

II.

L’

EFFICACITE DE LA PROTECTION DE L

ENTREPRENEUR INDIVIDUEL

Outline

Documents relatifs