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C HAPITRE I L A DETERMINATION DU DROIT DE GAGE GENERAL DES CREANCIERS

L ES EXCEPTIONS AU DROIT DE GAGE GENERAL DES CREANCIERS

B. L’insaisissabilité résultant de la volonté de l’entrepreneur individuel

1. L’insaisissabilité du contrat d’assurance-vie

129. Quel que soit le but recherché, le contrat d’assurance-vie est un véritable outil d’épargne qui

permet à l’entrepreneur individuel de mettre à l’abri certains de ses biens. Ainsi, les sommes placés dans un contrat d’assurance-vie échappent à la poursuite de ses créanciers (a) ainsi que leur valeur de rachat (b).

a. L’insaisissabilité des sommes placées dans un contrat d’assurance-vie

130. L’insaisissabilité des sommes d’argent placées dans un contrat d’assurance-vie résulte de la qualification de ce type de contrat302. Cependant, l’insaisissabilité des sommes d’argent placés dans

un contrat d’assurance-vie ne figure pas sur la liste des biens déclarés insaisissables par l’article L. 112-2 du code des procédures civiles d’exécution. De plus, la jurisprudence avait affirmé, à propos des sommes placées dans un plan d’épargne logement que le fait que les sommes « soient frappées par l’article R. 315-30303 du code de la construction et de l’habitat d’une indisponibilité relative ne

saurait les faire échapper à la poursuite des créanciers du souscripteur »304. Mais, certaines

301 Cass. 1re civ., 29 mai 2001, no 99-15.776, Bull. civ. I, no 150, JCP G 2001, I, no 360, no 4, obs. M. Cabrillac, RTD

civ. 2001, p. 644, obs. J. patarin, p. 882, obs. J. Mestre et B. Fages ; en ce sens, Cass. 1re civ., 25 mai 2004, no 02-12.268,

Bull. civ. I, no 149, Defrénois 2004, art. 38035, p. 1397, obs. R. Libchaber ; Cass. com., 9 nov. 2004, no 02-18.617, Bull.

civ. IV, no 191, D. 2004, p. 3068, obs. A. Lienhard, Dr. fam. 2005, no 15, note B. Beigner, LPA 13 avr. 2005, note F.-X.

Lucas ; Cass. 1re civ., 8 mars 2005, no 03-20.968, Bull. civ. I, no 117 ; voir aussi: Cass. com., 4 janv. 2000, no 96-16.205,

RJDA, no 453, JCP G 2001, I, no 360, no 4, obs. M. C. ; Cass. 1re civ., 11 janv. 2000, no 97-19.136, Bull. civ. I, no 3,

D. 2000, jur., p. 877, note F. Planckeel, JCP G 2000, I, no 215, no 19, obs. G.Loiseau, Dr. fam., 2000, no 26, B. Beignier,

RTD civ. 2000, p. 332, obs. J. Mestre et B. Fages, p. 381, obs. J. Patarin.

302 V. Nicolas, Essai d’une nouvelle analyse du contrat d’assurance, Caen 1994, LGDJ, 1996, bibl. dr. privé, t. 267, p. 305. J. Aulagnier, L’assurance-vie est-elle un contrat d’assurance, Dr. et pat., 1996, n° 44, p. 44. V. aussi D. Grillet- Ponton, L’organisation de l’insolvabilité en droit patrimonial de la famille, Rec. D. Sirey, 7 nov. 1996, n° 39, p. 339-342.

303 Aux termes de l’art. R. 315-30, CCH, « Les versements et les intérêts capitalisés acquis demeurent indisponibles jusqu'à la date où le retrait définitif des fonds prévu à la sous-section 3 devient possible ».

dispositions du code des assurances prévoient l’insaisissabilité des sommes d’argent placées dans un contrat d’assurance-vie. En effet, les articles L. 132-9 et suivants du code des assurances prévoient que le contrat d'assurance-vie constitue une exception au droit de gage général du créancier et est de ce fait insaisissable. A cet effet, la Cour de cassation a décidé « qu’il résulte des articles L. 132-8305, L.

132-9306, L. 132-12307 et L. 132-14308 du code des assurances que tant que le contrat n’est pas

305 Aux termes de l’art. L. 132- 8, C. ass., « le capital ou la rente garantis peuvent être payables lors du décès de l'assuré à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés. Est considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés la stipulation par laquelle le bénéfice de l'assurance est attribué à une ou plusieurs personnes qui, sans être nommément désignées, sont suffisamment définies dans cette stipulation pour pouvoir être identifiées au moment de l'exigibilité du capital ou de la rente garantis. Est notamment considérée comme remplissant cette condition la désignation comme bénéficiaires des personnes suivantes : les enfants nés ou à naître du contractant, de l'assuré ou de toute autre personne désignée ; les héritiers ou ayants droit de l'assuré ou d'un bénéficiaire prédécédé.

L'assurance faite au profit du conjoint profite à la personne qui a cette qualité au moment de l'exigibilité. Les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l'assurance en proportion de leurs parts héréditaires. Ils conservent ce droit en cas de renonciation à la succession. En l'absence de désignation d'un bénéficiaire dans la police ou à défaut d'acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu'avec l'accord de l'assuré, lorsque celui-ci n'est pas le contractant. Cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d'avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l'article 1690 du code civil, soit par voie testamentaire. Lorsque l'assureur est informé du décès de l'assuré, l'assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire, et, si cette recherche aboutit, de l'aviser de la stipulation effectuée à son profit »

306 L’art. L. 132- 9, C. ass. dispose que « I.- Sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 132-4-1, la stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de l'assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé devient irrévocable par l'acceptation de celui-ci, effectuée dans les conditions prévues au II du présent article. Pendant la durée du contrat, après acceptation du bénéficiaire, le stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et l'entreprise d'assurance ne peut lui consentir d'avance sans l'accord du bénéficiaire. Tant que l'acceptation n'a pas eu lieu, le droit de révoquer cette stipulation n'appartient qu'au stipulant et ne peut être exercé de son vivant ni par ses créanciers ni par ses représentants légaux. Lorsqu'une tutelle a été ouverte à l'égard du stipulant, la révocation ne peut intervenir qu'avec l'autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s'il a été constitué. Ce droit de révocation ne peut être exercé, après la mort du stipulant, par ses héritiers, qu'après l'exigibilité de la somme assurée et au plus tôt trois mois après que le bénéficiaire de l'assurance a été mis en demeure par acte extrajudiciaire, d'avoir à déclarer s'il accepte. L'attribution à titre gratuit du bénéfice d'une assurance sur la vie à une personne déterminée est présumée faite sous la condition de l'existence du bénéficiaire à l'époque de l'exigibilité du capital ou de la rente garantis, à moins que le contraire ne résulte des termes de la stipulation.

II.- Tant que l'assuré et le stipulant sont en vie, l'acceptation est faite par un avenant signé de l'entreprise d'assurance, du stipulant et du bénéficiaire. Elle peut également être faite par un acte authentique ou sous seing privé, signé du stipulant et du bénéficiaire, et n'a alors d'effet à l'égard de l'entreprise d'assurance que lorsqu'elle lui est notifiée par écrit. Lorsque la désignation du bénéficiaire est faite à titre gratuit, l'acceptation ne peut intervenir que trente jours au moins à compter du moment où le stipulant est informé que le contrat d'assurance est conclu. Après le décès de l'assuré ou du stipulant, l'acceptation est libre ».

307 L’art. L. 132-12, C. ass. dispose que « le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l'assuré.

308 Aux termes de l’art. L. 132-14, C. ass., « sous réserve des dispositions des articles L. 263-0 A et L. 273 A du livre des procédures fiscales, de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales et du II de l'article 128 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificative pour 2004, le capital ou la rente garantis au profit d'un bénéficiaire déterminé ne peuvent être réclamés par les créanciers du contractant. Ces derniers ont seulement droit au remboursement des primes, dans le cas indiqué par l'article L. 132-13, deuxième alinéa, en vertu soit de l'article 1167 du code civil, soit des articles L. 621-107 et L. 621-108 du code de commerce ».

dénoué, le souscripteur est seulement investi, sauf acceptation du bénéficiaire désigné, du droit personnel de faire racheter le contrat et de désigner ou de modifier le bénéficiaire de la prestation, que dès lors, nul créancier du souscripteur n’est en droit de se faire attribuer immédiatement ce que ce dernier ne peut recevoir »309. En d’autres termes, les créanciers du souscripteur ne peuvent pas

avoir plus de droits que ce dernier sur les sommes placées dans un contrat d’assurance-vie. Tant que le contrat n’est pas arrivé à terme, ni le souscripteur, ni ses créanciers ne peuvent prétendre de droits sur les biens placés qui deviennent, d’ailleurs, la propriété de l’assureur.

Cependant, l’administration fiscale a vu dans cette décision une indisponibilité temporaire des sommes placées dans un contrat d’assurance-vie et non un principe d’insaisissabilité qui serait dégagé par la Cour de cassation. Elle considère qu’au regard des articles L. 121-6 du code des procédures civiles d’exécution et L. 262 et L. 263 du Livre des procédures fiscales permettant la saisie des créances conditionnelles ou celles affectées d’un terme, que les sommes placées dans une assurance- vie peuvent faire l’objet d’une saisie en cours. De ce fait, la valeur de rachat du contrat serait saisissable au terme du contrat. Toutefois, la jurisprudence rejette cette analyse en estimant que « le solde provisoire d’un contrat d’assurance-vie est insaisissable au motif que le souscripteur ne possède pas de créance de somme d’argent sur la compagnie d’assurance »310.

b. L’impossibilité pour le créancier d’exercer le droit de rachat à la place de l’entrepreneur individuel

131. Face à cette situation, les créanciers ont tenté de contourner l’insaisissabilité des sommes

placées dans un contrat d’assurance-vie par la voie de l’action oblique en demandant le rachat du contrat en lieu et place de leur débiteur. Toutefois, la Cour de cassation s’y oppose en estimant que la possibilité de demander le rachat du contrat d’assurance-vie est un droit qui n’appartient qu’au souscripteur car il est exclusivement attaché à sa personne311. En effet, certaines juridiction

estimaient que le droit de rachat ne faisait pas partie du patrimoine du souscripteur, donc ne pouvait faire partie du droit de gage général de ses créanciers312. D’autres313, en revanche, considérant que la

faculté de rachat conférait à l’assuré un droit sur des sommes contractuellement déterminables provenant de l’épargne faite en sa faveur, celles-ci entraient dans son patrimoine et seraient saisissables.

309 Cass. 1re civ., 28 avr. 1998, n° 96-10.333, Bull. civ. I, n° 153, S. Hovasse-Banget, Insaisissabilité de la valeur de rachat

d’un contrat d’assurance-vie. A propos de Civ. 1re 28 avril 1998, Defrénois, 1998, art. 36837.

310 Cass. com. 15 juin 1999, n° 97-13.576, Dr. et pat., 2000, n° 79, chron. n° 2508, obs. A. Granier. 311 Civ. 25 oct. 1994, Bull. civ. IV, n° 311.

312 V. à ce propos, CA, paris, 11 fév. 1997, D. 1997, IR, p. 67.

132. De même que la jurisprudence, la doctrine était également divisée sur point. Certains considéraient que le droit de rachat serait une « créance en instance d’affectation » et qu’il était impossible de connaitre son titulaire314. D’autres estimaient que « la créance détenue sur l’assureur ne

figure pas dans le patrimoine du souscripteur »315. Mais, ce dernier est titulaire du droit de créance à

l’égard de l’assureur tant que le bénéficiaire de l’assurance-vie n’a pas accepté la stipulation316.

133. La cour de cassation considère que le droit de rachat, en dépit de son caractère patrimonial, est un droit personnel que les créanciers ne peuvent exercer par la voie de l’action oblique. Elle estime qu’admettre la saisie de la valeur de rachat reviendrait à accorder aux créanciers la possibilité de révoquer le bénéficiaire de l’assurance-vie317, droit dont elle reconnait au souscripteur. A cet effet,

l’exclusion du droit de rachat du droit de gage général des créanciers favoriserait la soustraction de certains biens de l’entrepreneur individuel à l’action des créanciers. Pour certains auteurs, cette solution est inconcevable dans la mesure où le contrat d’assurance-vie est souvent utilisé dans les affaires comme un instrument de garantie318. Certaines juridictions, insensibles aux critiques de la

doctrine, ont considéré que le droit de rachat peut être exercé par le créancier à la place de son débiteur en consolidant le régime des garanties sur les contrats d’assurance-vie. En effet, les juges du fond estiment que le droit de rachat n’est frappé d’aucune indisponibilité légale et qu’il est donc possible, à un souscripteur de céder ce droit en tant qu’accessoire de la garantie qu’il consent sur un contrat d’assurance-vie319. Toutefois, cette dépersonnalisation du droit de rachat ne profite pas aux

créanciers chirographaires. En effet, l’évolution jurisprudentielle sur le droit d’exercice du rachat au profit des créanciers privilégiés laisse de côté la question du gage général des créanciers chirographaires.

134. Ainsi, l’insaisissabilité des sommes d’argent placées dans un contrat d’assurance-vie peut être

vue comme un véritable instrument de protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel. Toutefois, le créancier de ce dernier peut faire échec à cette technique en établissant la fraude du

314 J. Ghestin, L’incidence du décès du conjoint de l’assuré sur l’assurance-vie, JCP, éd. G, 1995, doct. 3881, n° 17 et spéc., n° 26 et s.

315 V. H. Lecuyer, Assurance-vie, libéralité et droit des successions, Dr. fam., 1998, chron. 7, n° 25.

316 « Tant que l'acceptation n'a pas eu lieu, le droit de révoquer cette stipulation n'appartient qu'au stipulant et ne peut

être exercé de son vivant ni par ses créanciers ni par ses représentants légaux », art. L. 139, al. 2, C. ass. ; v. aussi, J. Kullmann, Pour le maintien du droit au rachat en dépit de l’acceptation du bénéficiaire à propos des contrats d’assurance-vie, in mélanges en l’honneur de C. Gavalda, Propos impertinents de droit des affaires, D. 2001, p. 199.

317 Com. 25 oct. 1994, RGAT, 1995, p. 149, rapp. J. P. Remery.

318 A. Goutio, F. Bertou, A. Poitiez, L’utilisation du contrat d’assurance-vie comme instrument de garantie, JCP, N, 1995, p. 510 ; S. Hovasse-Banget, La fonction de garantie de l’assurance-vie, Defrénois, 1998, art. 36715 et 36785.

319 T. com, paris, 20 mars 2000, annexes sous A. Gourio, La jurisprudence consolide le régime des garanties sur contrats

souscripteur. En apportant la preuve que les versements de primes étaient excessifs320, il pourra

obtenir remboursement du surplus des primes versées321 qui réintégreront le patrimoine de son

débiteur. Le montant considéré comme étant normal échappera au gage général des créanciers. L’anormalité des versements effectués dans le contrat d’assurance-vie pourra être recherchée sur le fondement des nullités de la période suspecte, notamment lorsque le souscripteur est en liquidation judiciaire puisque la jurisprudence refuse au liquidateur la possibilité d’exercer le droit de rachat322.

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