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Fondements de la consécration du patrimoine d’affectation en droit français

L A PROTECTION DE L ’ ENTREPRENEUR INDIVIDUEL PAR L ’ AFFECTATION DE CERTAINS BIENS AU GAGE DES CREANCIERS

L’ AFFECTATION PATRIMONIALE DE CERTAINS BIENS AU GAGE DES CREANCIERS

A. Fondements de la consécration du patrimoine d’affectation en droit français

221. La consécration du patrimoine d’affectation en droit français répond à un souci de réduire les risques auxquels étaient exposés les entrepreneurs individuels (1) liés en partie à l’inefficacité des mécanismes de protection existants (2).

1. Le cantonnement du risque entrepreneurial

222. Le législateur français a toujours cherché à concilier l’intérêt de l'entrepreneur individuel soucieux de protéger son patrimoine des conséquences financières d'un éventuel échec et celui de ses créanciers désireux de se garantir contre le risque de non-recouvrement de leurs créances. La recherche de cette conciliation occupe les juristes depuis plusieurs décennies488.

La question « est d'actualité, et s'inscrit dans le cadre des recherches menées pour tenter de protéger le patrimoine de l'entrepreneur individuel contre les risques liés à son activité ». Depuis 1973, la dégradation de la situation économique entraîne de nombreuses faillites, qui peuvent

conduire à la saisie de tous les biens de l'entrepreneur individuel. Le petit commerce, l'artisanat ou l'industrie aspirent alors à une « sécurité minimum (…) »489. La quête de cette sécurité avait conduit

le législateur et les praticiens du droit à envisager des mécanismes qui permettraient d’atteindre cet objectif afin de favoriser le développement de l’entrepreneuriat individuel490.

2. L’efficacité relative des mécanismes existants

223. Compte tenu de la situation économique difficile résultant de la crise, le législateur français a cherché à mettre en œuvre des mécanismes visant à favoriser le développement de l’activité économique et le renforcement de l’entrepreneuriat individuel. Ainsi, « divers mécanismes tendant à limiter le risque entrepreneurial ont été proposés sans qu'aucun ne parvienne à atteindre l'objectif fixé »491.

224. Plusieurs rapports ont été proposés afin de limiter le risque entrepreneurial en mettant en place des mécanismes de protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel492. Ainsi,

l'entreprise personnelle à responsabilité limitée a été proposée par le « rapport Champaud »493, déposé

en février 1978 qui consacrait une véritable exception au principe de l’unité du patrimoine en l’existence d’une pluralité de patrimoines au profit de l’entrepreneur individuel. En effet, le mécanisme de l'entrepreneur personnel à responsabilité limitée reposait sur la distinction au sein du patrimoine de l’entrepreneur individuel de trois masses distinctes. Ainsi, « la première masse

489 M. Wacogne, Communauté conjugale, l’article 1415 du Code civil et la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel, JCP N, 12 Juin 1998, p. 930 et s.

490 En effet, « il existe, spécifiquement en France, une perception anormalement élevée du risque entrepreneurial. Un

des symptômes les plus révélateurs est qu'un créateur s'inquiète toujours en premier lieu de sa protection sociale, du cantonnement notarial de ses biens propres, de “comment toucher le chômage tout en créant son entreprise”, du choix d'une structure juridique la plus protectrice possible (…) avant toute réflexion sur la prospection, les clients, le chiffre d'affaires… », C. Barreau, Les dispositifs tendant à limiter le risque entrepreneurial, Defrénois, 30 mars 2011, n° 6, p. 529 et s.

491 V. à cet effet, C. Barreau, Les dispositifs tendant à limiter le risque entrepreneurial, op. cit., p. 529 et s.

492 V. « rapport établi par le professeur C. Champaud à la demande du garde des Sceaux (février 1978) – étude professeur Sayag, publiée en 1981 dans le cadre du Centre de recherche sur le droit des affaires (Creda) de la Chambre de commerce et d'industrie de paris (CCIP) – rapport établi en février 1984 par Me J.-D. Bredin à la demande du ministre du Commerce et de l'Artisanat – rapport CCIP oct. 1984, qui se prononçait à son tour en faveur du patrimoine d'affectation, mais qui fut démenti neuf ans plus tard (rapport 1993 présenté par C. Vignon), le régime de l'EURL créée par la loi du 11 juillet 1985 étant alors préféré – travaux menés dans le cadre du Congrès des notaires au printemps 1987 sur le thème du patrimoine professionnel de l'entrepreneur – rapport Conseil économique et social de 1993 sur l'entreprise individuelle, présenté par J. Barthélémy – rapport Agence pour la création d'entreprises (APCE) de 1996, établi par MM. Peyramaure et Barthélémy – rapport établi en 1996 par le sénateur P. Marini, sur la modernisation du droit des sociétés, qui envisageait à son tour la reconnaissance d'un patrimoine fiscal… », cités par C. Barreau, op. cit., n° 6, p. 529.

493 Le « rapport Champaud » préconisait l'organisation d’un système de mutualisation des risques financé par les EPRL et qui aurait pour « mission de dédommager les créanciers jusqu'à hauteur de la valeur des biens insaisissables », C. Barreau, Les dispositifs tendant à limiter le risque entrepreneurial, op. cit., n° 6, p. 529 et s.

correspondait à la portion de patrimoine de l'entreprise, à savoir le « patrimoine affecté ». Elle aurait été composée de l'ensemble des valeurs actives et passives dont l'entreprise aurait disposé, utilisé habituellement pour l'exercice de son activité. La deuxième des masses aurait été la portion de patrimoine non affectée par principe à l'entreprise mais pouvant l'être, soit à l'initiative de l'entrepreneur (cautionnement), soit par les recours des créanciers : c'était le « patrimoine disponible ». La troisième et dernière masse aurait été la portion de patrimoine non affectée par principe à l'entreprise et qui ne pouvait être ni donnée en gage, ni saisie par les créanciers, sauf faute grave et particulière de l'entrepreneur : il s'agissait du patrimoine indisponible et insaisissable »494.

Cependant, le mécanisme de l’entreprise personnelle à responsabilité limitée tel qu’il avait été présenté dans le rapport « Champaud » présentait beaucoup d’inconvénients, notamment au niveau des règles de sa constitution. Les règles de création de l'entreprise personnelle à responsabilité limitée (EPRL) n’apportaient pas d’assouplissements par rapport aux formalités de constitution d'une société495. De plus, la subdivision du patrimoine de l’entrepreneur personnel à responsabilité

limitée en plusieurs masses créait une imprévisibilité sur l’étendue du droit de gage général des créanciers de ce dernier, surtout qu’elle exige en cas de défaillance un « double recours contre la personne de l'entrepreneur et contre la caisse de garantie ». Face à ces nombreux inconvénients, l’EPRL fut abandonnée496.

225. Parallèlement, pour limiter le droit de gage général des créanciers, le législateur a mis en place un dispositif visant à limiter le risque entrepreneurial. Par le recours à la fiction juridique, le législateur français consacrât l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée. Ainsi, « la société créée par l'entrepreneur répond seule des dettes nées de l'exercice de l'activité sociale, l'entrepreneur n'est plus exposé sur son patrimoine personnel »497. . La loi du 11 juillet 1985 a consacré deux

formes de sociétés unipersonnelles qui visent à protéger le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel à travers le cloisonnement patrimonial qu’elles instituent : l'EURL (société à responsabilité

494 C. Barreau, Les dispositifs tendant à limiter le risque entrepreneurial, op. cit., n° 6, p. 529

495 Les formalités de constitution de l’EPRL sont même plus lourdes que celles d’une société dans la mesure où le rapport mettait à la charge des entrepreneurs individuels des charges supplémentaires. En effet, ces derniers doivent « réaliser un inventaire comptable des biens affectés à l'activité et adhérer et cotiser à une caisse de garantie. De plus, le rapport prévoyait un montant minimum du patrimoine affecté à l'image du capital social des sociétés. Ensuite, outre les obligations comptables inhérentes à la nature de l'activité de l'EPRL, celle-ci aurait été tenue à des obligations minimum comme le sont les sociétés », v. C. Barreau, op. cit., n° 6, p. 529

496 Mais le « rapport Champaud » a nécessairement inspiré les rapports qui lui ont succédé et qui ont conduit, des

années plus tard, à l'élaboration par le Gouvernement d'un projet de loi relatif à l'EIRL.

497 En effet, « puisque toute personne ne peut avoir qu'un seul patrimoine, le législateur a proposé la création d'une

autre personne par l'entrepreneur pour bénéficier d'un cloisonnement patrimonial efficace. Depuis longtemps, le droit des sociétés était dévoyé par des créateurs d'entreprises désireux de limiter leur responsabilité. Il suffisait d'être au moins deux pour parvenir à ce résultat : l'entrepreneur plus une personne de complaisance et le tour était joué ». C. Barreau, op. cit., n° 6, p. 529

limitée unipersonnelle, dite entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) et l'EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée) pour les agriculteurs. L’entreprise unipersonnelle fut étendue, plus tard, à la société par action simplifiée498 Mais les formalités constitutives et les règles

de gestion restaient lourdes et seules 6 % des entreprises en 2009499 étaient créées sous la forme

d'une EURL. Pourtant cette piste a été longuement privilégiée par le législateur qui a refondu le droit des sociétés en 1999, 2003, 2008 et en 2009 pour rendre plus facile la création des sociétés unipersonnelles500.

Mais, l’efficacité de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée comme technique de cloisonnement entre le patrimoine de la personne morale et le patrimoine de la personne physique gérante, est relative. Les créanciers du gérant de l’entreprise peuvent contourner la protection issue du cloisonnement patrimoniale en demandant le cautionnement de ce dernier sur son propre patrimoine ou la garantie d’un tiers qui le plus souvent est le conjoint du gérant malgré la consécration ultérieure des dispositions protectrices de l’article 47 de la loi n° 94-126 du 11 février 1994, « pourtant destiné à protéger l'actif domestique de l'entrepreneur individuel face au passif professionnel de celui-ci »501 et qui furent supprimées par la suite502.

226. Tout comme les dispositions des articles L. 161-1 du code des procédures civiles d’exécution

et L. 313-21 du Code monétaire et financier visaient à protéger le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel. Le premier de ces textes dispose en effet que « lorsque le titulaire d'une créance contractuelle ayant sa cause dans l'activité professionnelle d'un entrepreneur individuel entend poursuivre l'exécution forcée d'un titre exécutoire sur les biens de cet entrepreneur, celui-ci peut, nonobstant les dispositions du 5° de l'article L. 112-2 et s'il établit que les biens nécessaires à l'exploitation de l'entreprise sont d'une valeur suffisante pour garantir le paiement de la créance, demander au créancier que l'exécution soit en priorité poursuivie sur ces derniers. La responsabilité du créancier qui s'oppose à la demande du débiteur ne peut pas être recherchée, sauf intention de nuire ». Toutefois, l’efficacité de cette mesure est limitée puisque le créancier peut refuser de suivre l’entrepreneur individuel dans sa demande s’il «établit que cette proposition met en péril le

498 En 1994, la SAS ne pouvait en effet être créée que par deux sociétés anonymes et était donc réservée à des projets

entrepreneuriaux de groupe par la Loi no 94-1, 3 janv. 1994, instituant la société par actions simplifiée. Ce n'est qu'en

1999 que le droit de constituer ou d'instituer une SAS a été reconnu à toute personne physique ou morale par la Loi no 99-587, 12 juill. 1999, sur l'innovation et la recherche.

499 Compte-rendu des débats du Sénat en date du 8 avril 2010 sur le projet de l’EIRL.

500 C. Barreau, op. cit., n° 6, p. 529

501 M. Wacogne, Communauté conjugale, l’article 1415 du Code civil et la protection du patrimoine individuel, op. cit., p. 930 et s.

502 Modifié par la Loi n°98-657 du 29 juillet 1998 - art. 104 JORF 31 juillet 1998 et abrogé par l'ordonnance n° 2000-

recouvrement de sa créance »503 sans que sa responsabilité ne soit mise en cause, « sauf lorsque son

refus est justifié par une intention de nuire504.

227. En second lieu, l'article L. 313-21 du code monétaire et financier dispose qu’ « à l'occasion

de tout concours financier qu'il envisage de consentir à un entrepreneur individuel pour les besoins de son activité professionnelle, l'établissement de crédit ou la société de financement qui a l'intention de demander une sûreté réelle sur un bien non nécessaire à l'exploitation ou une sûreté personnelle consentie par une personne physique doit informer par écrit l'entrepreneur de la possibilité qui lui est offerte de proposer une garantie sur les biens nécessaires à l'exploitation de l'entreprise ou de solliciter une garantie auprès d'un autre établissement de crédit, d'une société de financement ou d'une entreprise d'assurance habilitée à pratiquer les opérations de caution. L'établissement de crédit ou la société de financement indique, compte tenu du montant du concours financier sollicité, le montant de la garantie qu'il souhaite obtenir »505. Cette disposition précise les conditions de prise de

garanties sur les biens de l’entrepreneur individuel506.

Ces dispositions ne visent pas concrètement à soustraire les biens personnels de l’entrepreneur individuel au droit de gage général des créanciers mais la constitution de sûretés sur les biens nécessaires à l'exploitation de l’activité professionnelle de l'entrepreneur qui « reste tenu sur l'ensemble de son patrimoine »507. Cependant, en cas de refus de constitution des

sûretés, l'établissement de crédit peut refuser de consentir le concours financier sans que sa responsabilité ne soit engagée508. Mais en cas de non-respect des formalités prévues, il ne peut se

503 En effet, « si le créancier établit que cette proposition met en péril le recouvrement de sa créance, il peut s'opposer à

la demande », art. L. 11-1, al. 2, C. com.

504 Aux termes de l’art. L. 161-1, al. 3, C. com., « La responsabilité du créancier qui s'oppose à la demande du débiteur ne peut pas être recherchée, sauf intention de nuire ».

505 Art. L. 313-21, al.1, C. mon. fin.

506 A cet effet, l’al. 2, art. L. 313-21, C.com., précise qu’ « à défaut de réponse de l'entrepreneur individuel dans un délai de quinze jours ou en cas de refus par l'établissement de crédit ou la société de financement de la garantie proposée par l'entrepreneur individuel, l'établissement de crédit ou la société de financement fait connaître à ce dernier le montant chiffré des garanties qu'il souhaite prendre sur les biens non nécessaires à l'exploitation de l'entreprise ou auprès de tout autre garant. En cas de désaccord de l'entrepreneur, l'établissement de crédit ou la société de financement peut renoncer à consentir le concours financier sans que sa responsabilité puisse être mise en cause ».

507 C. Barreau, op. cit., n° 6, p. 529. 508 Art. L. 313-21, al. 2, C. mon. fin.

prévaloir des garanties prises509. Toutefois, « le cautionnement accepté par le tiers restera

invocable »510.

228. D’un autre côté, les notaires confrontés également aux difficultés des entrepreneurs

individuels, ont, réunis en congrès511, proposé la théorie de la pro-personnalité512. Elle repose sur un

principe simple mais son efficacité ne semble pas garantie et elle est intervenue tardivement au moment où le projet de l’EIRL avait déjà séduit les pouvoirs publics513.

229. Cependant, les deux dispositifs de protection ou du moins de limitation du risque entrepreneurial les plus aboutis sont la déclaration d'insaisissabilité et la société unipersonnelle. Avant l’adoption du statut de l’EIRL, ces deux mécanismes assuraient l’efficacité de la protection de l'entrepreneur. Mais, comme nous l’avons vu, ils n’avaient pas la préférence des entrepreneurs. Ce qui a conduit à l’adoption du statut de l’EIRL.

B. Nécessité de la consécration du patrimoine d’affectation en droit de

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