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Les controverses doctrinales sur la nature du droit de gage général des créanciers

C HAPITRE I L A DETERMINATION DU DROIT DE GAGE GENERAL DES CREANCIERS

L’ ETENDUE DU DROIT DE GAGE GENERAL DES CREANCIERS

A. Les controverses doctrinales sur la nature du droit de gage général des créanciers

général des créanciers qui est une émanation ou une conséquence directe de l’indivisibilité du patrimoine du débiteur. Mais, ni la jurisprudence, ni la doctrine n’ont pu dégager la nature juridique du droit de gage général des créanciers. Les divergences doctrinales sur la question montrent à quel point il est difficile de classer le droit de gage général dans une catégorie spécifique.

§ 2.

LA NATURE DU DROIT DE GAGE GENERAL DES CREANCIERS

36. Au regard des articles 2284 et 2285 du Code civil, le droit de gage général des créanciers est une expression large visant le droit pour tout créancier de l’entrepreneur individuel de saisir n’importe lequel des biens contenus dans le patrimoine de ce dernier afin de se faire payer. La loi le définit implicitement sans pour autant donner sa nature. Ce qui avait suscité des controverses quant à la détermination de sa véritable nature au sein de la doctrine (A) qui semble aujourd’hui s’orienter vers la recherche d’une véritable nature du droit de gage général des créanciers (B).

A. Les controverses doctrinales sur la nature du droit de gage général des

créanciers

37. La détermination de la nature du droit de gage général des créanciers ne fait pas l’unanimité

au sein de la doctrine. Pour certains auteurs, le droit de gage général des créanciers serait un droit personnel dont chaque créancier est titulaire (2) tandis que pour d’autres, le droit de gage général des créanciers aurait un caractère réel (1).

1. La nature réelle du droit de gage général

38. La nature juridique du droit de gage général des créanciers a soulevé des questions au sein de la doctrine quant à sa détermination90. Certains auteurs estimaient que le droit de gage général des

89 Civ. 2ème, 30 janv. 2002, Sté Crédit Suisse Hottinger c/ Katsanis, JCP E, 2003, note G. Cuniberti.

90 La nature du droit de gage des créanciers n’a pas été traitée dans le Code civil et quelques rares ouvrages traitent de la question en doctrine. V. en ce sens, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, 10ème éd., Dalloz 2009,

créanciers aurait un caractère réel91. Pour les partisans de cette thèse, les créanciers disposent de la

faculté d’appréhender les biens du débiteur contenus dans le patrimoine afin de les vendre et se faire désintéresser sur le prix de vente. Cette faculté leur confère les prérogatives d’un véritable propriétaire sur les biens de leur débiteur. Ainsi, le droit de gage général des créanciers serait pour les partisans de cette thèse un « droit réel de garantie » défini comme l’accessoire du droit de créance dont la finalité est de « garantir le créancier contre les risques d’inexécution »92. Le droit de gage

général, en ce qu’il porte sur l’intégralité du patrimoine du débiteur aurait, selon ces auteurs, une nature réelle.

39. D’autres auteurs ont rejeté catégoriquement la nature réelle du droit de gage général93. Selon

ces derniers, le droit de gage général ne s’exerce que sur les biens du débiteur en tant qu’éléments du patrimoine. Pour Aubry et Rau, le droit de gage général « ne s’exerce que sur les biens du débiteur comme tels, c’est-à-dire comme éléments de son patrimoine, il s’évanouit nécessairement quant aux objets qui ont cessé de faire partie de ce patrimoine »94. En effet, les détracteurs de la thèse de la

nature réelle font prévaloir l’absence des attributs du droit réel en estimant que le droit de gage général ne confère aux créanciers du débiteur ni un droit de suite95, ni un droit de préférence sur les

biens qui seraient sortis du patrimoine de leur débiteur96. Il est vrai que le droit de gage général ne

confère pas aux créanciers de droits sur les biens qui seraient sortis du patrimoine du débiteur sauf en cas de fraude de ce dernier.

40. De surcroît, la vente forcée d’un bien du débiteur ne peut intervenir qu’après l’échec de la

tentative de vente amiable. En droit français97, et même dans l’espace OHADA, la procédure

amiable devient le principe et la vente forcée des biens du débiteur ne peut intervenir que lorsque les voies amiables sont épuisées. Ainsi, « le pouvoir de retirer des biens de son débiteur une valeur équivalente » à l’exécution de la prestation par le créancier n’est plus automatique. Le débiteur devient un acteur incontournable dans la mise en œuvre du droit de gage général des créanciers. Ceci est d’autant plus vrai que le créancier ne dispose que d’un droit de créance qui ne lui confère pas un

91 V. à ce propos, J. Deruppe, La nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits réels et des droits

de créance, D. 1952, spéc. n° 338 et s. V. aussi, E. Gaudemet, Etude du transport des dettes, thèse, Dijon, 1897, p.30.

92 J. Deruppe, op. cit. n° 313.

93 V. C. Aubry et C. Rau, op. cit. p. 248. 94 Ibid.

95 À ce propos, J. Deruppe fait valoir que le droit de suite n’est pas une prérogative attachée au droit réel, v. thèse préc. n° 316.

96 Mais la loi permet aux créanciers de sauvegarder leurs droits au moyen de certains actions pour ne pas subir le

dépérissement du patrimoine de leur débiteur, v. à ce propos, Y. Guyon, Le droit de regard du créancier sur l’activité du débiteur, RJC, numéro spécial, l’évolution du droit des sûretés, colloque de Deauville.

pouvoir direct et immédiat sur le patrimoine du débiteur à l’instar du droit réel. En fait, le droit de créance ne permet au créancier que la possibilité de contraindre son débiteur à exécuter ses obligations.

41. Par ailleurs, le droit de créance ne peut être conçu séparément du droit de gage général des créanciers. Les deux étant étroitement liés ; le droit de gage général tire son essence du droit de créance sans lequel il ne saurait exister. Mais, considérer le droit de gage général comme étant une garantie ou un accessoire du droit de créance c’est méconnaitre le caractère indivisible du droit de gage général des créanciers98 en le réduisant à une simple technique de préservation des droits des

créanciers. En effet, la garantie supposant l’affectation de biens ou d’un patrimoine au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires pour l’exécution d’une obligation déterminée, la thèse de la nature réelle préconisant la qualification du droit de gage général comme étant un « droit réel de garantie » ne saurait prospérer. Le droit de gage général vise indifféremment les éléments contenus dans le patrimoine du débiteur et indistinctement les créanciers qui en sont titulaires. À ce titre, il se différencie et se distingue de la sûreté réelle qui porte sur un ou des biens déterminés dans le patrimoine au profit d’un ou de plusieurs créanciers bien définis, contrairement à ce que prétende certains auteurs99.

Les insuffisances de cette théorie ont conduit certains auteurs à envisager la nature du droit de gage général des créanciers sous un autre angle.

2. La nature personnelle du droit de gage général des créanciers

42. Face au rejet de la nature réelle du droit de gage général des créanciers, certains auteurs ont estimé que le droit de gage général serait un droit personnel100. Selon ces auteurs, puisque le

patrimoine est une émanation de la personne, son reflet économique, et que les droits des créanciers portent sur le patrimoine du débiteur, leurs poursuites sont dirigées contre la personne du débiteur elle-même.

Pour les partisans de cette thèse, l’obligation ne se définit qu’au regard de la personne obligée. En effet, l’obligation étant définie comme le lien de droit en vertu duquel une personne s’engage à l’égard d’une autre personne de donner, faire ou ne pas faire quelque chose101. Ainsi, l’obligation

instaure un lien de droit entre au moins deux personnes, elle n’a d’effets qu’entre celles-ci quelle que

98 V. J. Mestre, E. Putman, M. Biliau, Traité de droit civil droit commun des sûretés réelles, LGDJ, 1996, n° 113. 99 V. C. Kunh, Le patrimoine fiduciaire, contribution à l’étude de l’universalité, thèse, Paris I, 2003, n° 217.

100 V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, op. cit. n° 1096 ; v. aussi J. P. Verschave, Essai sur l’unité du patrimoine, thèse, Lille II, 1984, p. 161.

soit son origine. Le droit de créance qui nait à travers ce lien est un droit qui appartient à une personne contre une autre et non contre le patrimoine de cette dernière. À cet effet, l’obligation établit donc un lien constitutif d’un rapport personnel entre l’entrepreneur individuel et le créancier à l’égard de qui il s’est engagé. Dès lors, si tous les biens de l’entrepreneur individuel sont engagés, c’est parce qu’il est personnellement tenu à travers son patrimoine. Le pouvoir du créancier s’exerce, en effet, directement sur l’entrepreneur individuel qui reste l’objet de la contrainte et non l’ensemble de biens contenus dans son patrimoine102

43. Comme nous l’avons rappelé avec la thèse de la nature réelle, certains auteurs103 ont combattu

cette théorie en estimant que « le droit des créanciers aurait une connotation essentiellement patrimoniale et pourrait être considéré comme un droit portant, non plus sur la personne, mais sur les biens, sans pour autant être un droit réel stricto sensu en ce sens qu’il ne frappe pas un bien déterminé »104. Certains vont même jusqu’à comparer « le patrimoine à un compte courant, c'est-à-

dire à un ensemble de biens considérés au point de vue de leur valeur pécuniaire sur lesquels s'étendent indistinctement différentes obligations, différents droits, dont les divers objets seront individualisés par des paiements volontaires ou par une liquidation »105. Le patrimoine ne serait plus

l’émanation de la personne mais un ensemble de biens répondant au passif de son titulaire. Or, l’article 2285 du Code civil ne confère aux créanciers de l’entrepreneur individuel aucun droit direct sur les biens de leur débiteur. Les créanciers n’ont qu’un droit de contrainte par le recours à l’exécution forcée en cas d’inexécution volontaire de la part de l’entrepreneur individuel.

Cependant, à la lumière des dispositions des articles 2284 et 2285 du Code civil, l’action des créanciers est dirigée contre le débiteur à travers son patrimoine, mais le rapprochement entre droit de gage général des créanciers et droit personnel peut paraître paradoxal. Le patrimoine est une universalité de droit destiné à répondre des engagements du débiteur et non une personne autonome disposant de la personnalité juridique pouvant entretenir des rapports directs avec les tiers. Ce qui fait dire à certains auteurs que les partisans de la nature personnelle du droit de gage général ont simplement contourné le problème sans y apporter de véritables solutions106. Le créancier de

l’entrepreneur individuel dispose d’un droit de créance en raison du rapport d’obligation qui le lie à

102 « En matière d’obligations, il n’y a d’action qu’in personam », F. Cohet-Cordey, op. cit., n° 37.

103 V. Plastara, La notion juridique de patrimoine, thèse, paris, 1903, p. 102 ; v. aussi, O. Jallu, Essai critique de l'idée de

continuation de la personne, thèse, paris, 1902 ; P. Cazelles, De l'idée de continuation de la personne comme principe de transmissions universelles, thèse, paris, 1905.

104 F. Cohet-Cordey, op. cit., n° 32. 105 Ibid

106 V. H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, F. Chabas, Leçons de droit civil, t. II, Premier volume, Obligations théorie

celui-ci. A cet effet, il dispose d’un droit personnel sur son débiteur, mais le droit de gage général, comme nous l’avons précédemment évoqué ne saurait être réduit à un simple droit de créance dont serait titulaire le créancier sur l’entrepreneur individuel.

Ainsi, les différentes théories sur la nature du droit de gage général des créanciers ne semblent pas prospérer. Aucune des thèses avancées ne fait l’unanimité. Toutefois, il reste évident que la naissance du droit de gage général des créanciers résulte de l’engagement de l’entrepreneur individuel, engagement qui est supporté par l’intégralité des biens contenus dans son patrimoine.

Ce qui conduit une partie de la doctrine à envisager la question de la nature du droit de gage général des créanciers sous l’angle des prérogatives du créancier.

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