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La soustraction des biens communs au gage des créanciers sans le consentement du conjoint de l’entrepreneur individuel

DE CERTAINS BIENS AU GAGE DES CREANCIERS

L A SOUSTRACTION DE CERTAINS BIENS AU GAGE DES CREANCIERS PAR LE JEU DES REGIMES MATRIMONIAU

A. La soustraction des biens communs au gage des créanciers sans le consentement du conjoint de l’entrepreneur individuel

164. Dans le souci de protéger le patrimoine conjugal des risques de l’activité professionnelle de

l’entrepreneur individuel, la loi exige à celui-ci de requérir le consentement exprès de son conjoint pour pouvoir engager les biens communs par un cautionnement ou un emprunt. A cet effet, l’article 1415 du Code civil dispose que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres »388. Face

aux dangers de tels actes, le législateur français a entendu mettre à l’abri le patrimoine familial. Ainsi,

384 Cass. civ. 1re, 24 mars 1971, D. 1972, p. 360, note Abitbol. 385 Grenoble, 24 septembre 1996, JCP G., 1997, I, 4047.

386 Cass. civ. 1re, 3 octobre 1990, JCP N., 91, II, p. 57, note Simler ; R.T.D. Civ. 91, 584, obs. Lucet et Vareille. 387 Cass. civ. 1re, 12 juillet 1994, Dalloz 1994, p. 117, note Guineret-Brobbel Dorsman.

388 V. à cet effet, M. Wacogne, L’article 1415 du Code civil et la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel, JCP N, n° 24, 12 juin 1998, 930 ; J. Casey, Larticle 1415 superstar ? JCP E, n° 4, 26 janv. 2000, II, 10237 ; J.-C. Chevalier et M.-C. Leproust-Larcher, L’engagement des biens communs en présence d’actifs professionnels, JCP N, n° 23, 7 juin 2002, 1333 ; A. Gaonac’h, L’implication de l’article 1415 du Code civil dans la gestion des biens communs, LPA, 1 mars 2000, n° 43, p. 8 et s.

le cautionnement ou l’emprunt souscrit par l’entrepreneur individuel sans le consentement de son conjoint n’engage que ses biens propres. Dès lors, sans le consentement du conjoint de l’entrepreneur individuel, les biens communs sont soustraits du gage des créanciers.

L’entrepreneur individuel pouvait, avant la loi du 23 décembre 1985389, engager seul les biens

communs par un cautionnement ou un emprunt car il était le seul administrateur du patrimoine conjugal en vertu de l’ancien article 1421 du Code civil390. En effet, selon la jurisprudence antérieure,

le cautionnement n’entrait pas dans la catégorie des actes soumis au consentement des époux dans la mesure où il ne constituait pas un acte de disposition qui serait soumis aux dispositions de l’article 215, alinéa 3 relatif au logement familial391 et de l’ancien article 1422 du Code civil392. Cette situation

mettait considérablement en danger le conjoint de l’entrepreneur individuel qui ne disposait pas de recours contre les agissements de son époux et les créanciers pouvaient poursuivre le paiement en saisissant les biens communs du couple.

Avec la loi de 1985, les époux disposent désormais de pouvoirs égaux sur les biens communs. L’article 1421 du Code civil dispose à cet effet, que « chacun des époux a le pouvoir d'administrer seul les biens communs et d'en disposer, sauf à répondre des fautes qu'il aurait commises dans sa gestion. Les actes accomplis sans fraude par un conjoint sont opposables à l'autre »393. Ainsi, sous

réserve de fraude394, les dettes contractées par un des époux, qu’ils soient professionnel ou non

engagent la masse des biens communs. Toutefois, l’article 1415 du Code civil apporte une limite à cette possibilité d’offrir les biens communs en garantie pour des actes jugés graves tels que le cautionnement ou l’emprunt souscrit par un des époux.

165. Ainsi, l’impératif de sécurité du crédit et l’efficacité des garanties cèdent le pas à la protection

du patrimoine familial. A cet effet, la jurisprudence adopte curieusement une vision particulièrement

389 Loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs.

390 « Le mari administre seul la communauté sauf à répondre des fautes qu'il aurait commises dans sa gestion.

Il peut disposer des biens communs, pourvu que ce soit sans fraude et sous les exceptions qui suivent ». Anc., art. 1421, C. civ.

391 « Les époux ne peuvent l'un sans l'autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des

meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n'a pas donné son consentement à l'acte peut en demander l'annulation : l'action en nullité lui est ouverte dans l'année à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d'un an après que le régime matrimonial s'est dissous ». art. 215, al. 3, C. civ.

392 « Les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté ». Anc. art.

1422, C. civ.

393 V. art. 1421, al. 1, C. civ.

large du champ d’application de l’article 1415 du Code civil395. Apportant une exception à l’article

1413 du Code civil, cet article devait faire l’objet d’une interprétation stricte. Mais, la jurisprudence a, semble-t-il, souhaité consacrer une définition extensive du cautionnement en l’assimilant à d’autres garanties396. A cet effet, la Cour de cassation, dans un arrêt du 4 février 1997, a appliqué l’article

1415 du Code civil à l’aval d’un billet à ordre souscrit par un époux sans le consentement de l’autre397. Cette solution n’est qu’une application de la jurisprudence antérieure qui est également

conforme à la position de la doctrine qui considérait l’aval comme étant un cautionnement solidaire398.

166. L’article 1415 du Code civil s’applique également au « cautionnement réel ». Le cautionnement personnel est souvent renforcé par un cautionnement réel. Dans ce cas, la Cour de cassation a également jugé qu’un époux qui s’est porté caution ne peut, sans le consentement de son conjoint, donner en nantissement des valeurs mobilières399. Mais, dans l’hypothèse où l’entrepreneur

individuel a consenti une sûreté réelle pour garantir la dette d’autrui, l’article 1415 doit-il s’appliquer ? Pour les biens entrants dans le champ d’application de l’article 1424, cela ne fait aucun doute, car cette disposition pose expressément l’exigence du consentement de l’époux400. Mais, dans

l’hypothèse où le cautionnement n’entre pas dans le champ d’application de l’article 1424, doit-on donner la préférence à l’article 1415 ou à l’article 1421 qui permet à l’entrepreneur individuel d’aliéner seul un bien commun à titre onéreux ? Le cautionnement réel étant un cautionnement même si l’engagement de la caution se limite à une sûreté réelle portant sur un bien déterminé, l’article 1415 doit donc s’appliquer. C’est la même position qui a été suivi par la Cour de cassation lorsqu’elle fait application de l’article 1415, à propos d’un cautionnement hypothécaire401.

Cependant, elle a refusé d’admettre l’application de l’article 1415 du Code civil aux contrats de

395 V. à cet effet, C. Grare-Didier, Retour sur l'article 1415 du Code civil : cautionnement et notions voisines, RDC, 1er

avr. 2008, n° 2, p. 445 et s.

396 Or, l’art. 1415 ne prévoit que le cautionnement qui est un engagement par lequel « la caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même ». Art. 2288, C. civ.

397 Cass. com., n° 94-19.908 du 4 fév. 1994, Bull., 1997 IV n° 39, p. 36.

398 V. à cet effet, M. Cabrillac, obs. sous Cass. com., 4 février 1997, D. 1997, somm., p. 261.

399 Cass. civ. 1re, 11 avril 1995, JCP 1995, I, 3869, no 9, obs. Ph. Simler ; Bull. civ. I, n°165, p. 118 ; D. 1995, somm.

327, obs. M. Grimaldi, D. 1996, somm. 204, obs. Piedelièvre.

400 Selon l’art. 1424, C. civ., « les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l'aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations.

De même, ils ne peuvent, l'un sans l'autre, transférer un bien de la communauté dans un patrimoine fiduciaire ».

société402 et aux sûretés réelles. Pour ces dernières, la Cour estime qu’ « une sûreté réelle consentie

pour garantir la dette d'un tiers n'impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui et n'étant pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas, la Cour d'appel a exactement retenu que l'article 1415 du Code civil n'était pas applicable »403.

167. L’extension du champ d’application de l’article 1415 du Code civil permet aux juges de

fragiliser le recours des créanciers à certaines sûretés voisines afin de contourner cette disposition protectrice. Une partie de la doctrine s'est montré favorable à cette extension. Certains auteurs pensent que malgré son caractère d'exception, il serait incompréhensible que l’article 1415 du Code civil ne soit appliqué « aux autres garanties personnelles, en particulier la garantie autonome, dont la rigueur extrême multiplie le caractère dangereux »404. Contrairement à ce raisonnement qui met

l’esprit de l’article 1415 du Code civil au-devant de la lettre du texte, d’autres pensent qu’elle repose sur une interprétation erronée405. Suivant les premiers, la jurisprudence a admis l’application de

l’article 1415 du Code civil à la garantie à la première demande. En effet, selon les juges de la haute Cour « ce texte est applicable à la garantie à première demande qui, comme le cautionnement, est une sûreté personnelle, laquelle consiste en un engagement par lequel le garant s'oblige, en considération d'une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme déterminée, et est donc de nature à appauvrir le patrimoine de la communauté »406.

168. Comme pour le cautionnement, la jurisprudence a également opté une définition extensive de la notion d’emprunt407. Ainsi, elle vise dans le champ d’application de l’article 1415 du Code civil

les prêts de somme d’argent et toutes les opérations de crédit408. Toutefois, la doctrine écarte

certaines opérations telles que l’escompte ou la cession de l’escompte par bordereau Dailly car le

402 En effet, selon la C. cass., « le contrat de société civile, qui fait naître à la charge de l'associé une obligation

subsidiaire de répondre indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital, ne saurait être assimilé à un acte de cautionnement auquel l'article 1415 est applicable », Cass. civ. 1re, 20 juin 2006, no 04-11037, C. Grare-Didier,

op. cit., p. 455 et s.

403 Cass. ch. mixte, 2 déc. 2005, no 03-18210, C. Grare-Didier, op. cit. p. 455 et s.

404 V. à ce propos, F. Terré et Ph. Simler, Les régimes matrimoniaux, Dalloz, 5e éd., 2008, no 422 et s. ; V. également J.

Piedelièvre, De quelques difficultés posées par la souscription d'une garantie à première demande par un époux commun en biens : J.C.P. éd. N., 1996, p. 1319 ; J. Casey, Les sûretés et la famille, thèse de droit, Bordeaux, 1997, nos106 et s.

405 V. A. Gaonac’h, L’implication de l’article 1415 du Code civil dans la gestion des biens communs, op. cit., p. 8 et s. ; D'Hoir-Laupretre, Le conjoint du chef d'entreprise : la nécessité d'une plus grande autonomie patrimoniale dans le respect des intérêts de tous les créanciers, Droit et patrimoine, no 56, janvier 1998, p. 21.

406 Cass. civ. 1re, 20 juin 2006, pourvoi no 04-11037, C. Grare-Didier, op. cit. p., 445 et s.

407 Sur la notion d'emprunt, F. Pasqualini, L'emprunt et le régime matrimonial, Défrénois, art. 35013, p. 449-465. V.

également G. Desous, La question de l'emprunt dans les régimes matrimoniaux, thèse paris, 1982, p. 21.

408 Notamment, les crédits de trésoreries, les crédits de mobilisation de créances commerciales sont visés par l’article 1415 du Code civil.

transfert des effets doit être considéré comme l’accessoire de l’escompte, puisqu’il est inhérent à ce mécanisme.

169. Cependant, doit être exclu du champ d’application de l’article 1415 du Code civil les dettes

contractées par l’entrepreneur individuel auprès de ses fournisseurs. En effet, lorsque le crédit est consenti par un vendeur les dispositions de l’article 1415 ne s’appliquent pas. Ce qui peut paraitre illogique, mais cette opération ne saurait, en effet, être qualifiée de prêt puisqu’elle n’implique pas une mise à disposition d’une somme d’argent. La même argumentation peut être retenue pour le crédit-bail qui est une opération de location-vente ou de location suivie d’une promesse de vente dans lequel il n’y pas de mise à disposition d’un fonds. L’absence de transfert d’une somme d’argent justifie la mise en écart des dispositions de l’article 1415 du Code civil.

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