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L’insaisissabilité édictée en vertu de la protection de l’intérêt général

C HAPITRE I L A DETERMINATION DU DROIT DE GAGE GENERAL DES CREANCIERS

L ES EXCEPTIONS AU DROIT DE GAGE GENERAL DES CREANCIERS

A. L’insaisissabilité édictée en vertu de la protection de l’intérêt général

106. L’intérêt général sert souvent de fondement à la soustraction de certains biens au droit de poursuite des créanciers. En vertu de l’article 51 de l’AUVE, les Etats membres de l’OHADA ont édicté des règles d’insaisissabilité destinées à protéger les biens de certaines personnes230 ou de

certaines institutions231. D’autres dispositions légales prévoient l’insaisissabilité de certains biens en

230 L’art. 51, AUVE dispose à cet effet que « les biens et droits insaisissables sont définis par chacun des États parties », v. sur ce point M. SOH, Insaisissabilités et immunités d'exécution dans la législation OHADA ou le passe-droit de ne pas payer ses dettes, Juridis Périodique n°51-2002, pp.89 et s. ; M. Samb, Biens et droits insaisissables, in Encyclopédie du droit OHADA, P.-G. Pougoué (sous dir.), Lamy, 2011, p. 440 et s.

231 V. G. Kenfack-Douanjni, Propos sur l'immunité d'exécution et les émanations des Etats, rev. Cam. arb. n°30-2005,

p.3, www.OHADA.com/ohadata D-08-59. V. aussi à propos des personnes morales de droit public, F. M. Sawadogo, La question de la saisissabilité ou de l'insaisissabilité des biens des entreprises publiques en droit OHADA (A propos de l'arrêt de la CCJA du 7 juillet 2005, Affaire Aziablévi YOVO et autres contre Société TOGO Télécom), www.OHADA.com/ohadata D-07-16; G. Kenfack-Douajni, L'exécution forcée contre les personnes morales de droit public dans l'espace OHADA, op. cit., p. 3et s.

raison de leur caractère inaliénable. Il en est ainsi des droits de la personnalité ou encore d’autres biens attachés exclusivement à la personne de l’entrepreneur individuel tels que les droits d’usage et d’habitation, l’usufruit des parents sur les biens de leurs enfants ainsi que les souvenirs de famille. En fait, l’insaisissabilité dans cette hypothèse résulte du caractère extrapatrimonial attaché à ces biens ou droits. Cependant, la protection des effets de commerce (1) ou des biens destinés à l’intérêt collectif (2) est justifiée par des raisons d’ordre public économique.

1. L’insaisissabilité des effets de commerce

107. En droit français, la loi et la jurisprudence ont entendu protéger l’intérêt général en consacrant l’insaisissabilité des effets de commerce pour favoriser leur circulation. Les chèques, les lettres de change et les billets à ordre sont exclus du domaine de la saisie. Ainsi, les effets de commerce dont dispose l’entrepreneur individuel sont insaisissables. Cette solution est justifiée par le fait que leur immobilisation s’accompagne mal avec l’intérêt du crédit. La saisie des effets de commerce entraverait leur libre circulation et porterait préjudice à la chaine des endosseurs232. Ils

perdraient ainsi leur efficacité et la sécurité juridique qu’ils conféraient au porteur. C’est ainsi qu’en droit camerounais, le code commerce interdit l’opposition « contre le porteur d’un effet de commerce qui souhaite obtenir paiement »233.

2. L’insaisissabilité des biens nécessaires à l’intérêt collectif

108 Au nom de l’intérêt général, la loi interdit également la saisie des navires marchands. En

effet, en France et dans l’espace OHADA, la plupart des pays membres consacrent dans leurs législations nationales l’insaisissabilité des navires lorsqu’ils sont « prêt à appareiller ou à faire voile exception faite pour les navires non munis d’expéditions pour le voyage »234.

109. C’est aussi au nom de cet intérêt général que beaucoup de pays membres de l’OHADA ont

édicté des règles destinées à protéger certains biens ou droits. Le décret du 5 novembre 1979 fixant le statut des notaires du Sénégal interdit la saisie des offices ministériels afin de « donner au public la confiance que doivent avoir leurs titulaires »235. En effet, les offices ministériels sont insaisissables.

Ils sont également indisponibles et ne peuvent se transmettre qu’avec l’agrément de l’autorité

232 V. M. Soh, Insaisissabilités et immunités d’exécution dans la législation OHADA ou le passe-droit de ne pas payer ses dettes, op. cit., n° 51, 2002, p. 92.

233 Art. 185, C. com. Cam. V. aussi M. Samb, Biens et droits insaisissables, in Encyclopédie du droit OHADA, op. cit.,

p. 440 et s.

234 A ce propos, v. M. Samb, op. cit. p. 447.

publique concernée, suivant la distinction classique entre le titre et la finance. Il en résulte que les créanciers de l’officier ministériel ne peuvent pas saisir le titre lui-même.

L’insaisissabilité des offices ministériels est également prévue en droit français236. En revanche, la

loi française dispose que les créanciers peuvent faire valoir leurs droits sur la finance, c'est-à-dire sur la valeur du droit de présentation du successeur. En effet, la loi du 28 avril 1816 modifiée par la loi du 25 janvier 2011 précise en son article 32 que «les avocats à la Cour de cassation, notaires, greffiers, huissiers, agents de change, courtiers, commissaires-priseurs pourront présenter à l'agrément du Président de la République des successeurs, pourvu qu'ils réunissent les qualités exigées par les lois. Cette faculté n'aura pas lieu pour les titulaires destitués. Les successeurs présentés à l'agrément, en application du présent alinéa, peuvent être des personnes physiques ou des sociétés civiles professionnelles »237. Mais, les créanciers ne peuvent faire valoir leurs droits qu’à

compter du jour où l'agrément ministériel a été donné. La Cour de cassation considère, en effet, que l'agrément ministériel constitue « un élément légal de la convention » et qu'auparavant la créance saisie reste purement éventuelle et donc insaisissable238. La saisie pourra ainsi être faite « sur le prix

que le successeur devra à l'officier en contrepartie de sa présentation au garde des Sceaux en vue de son agrément »239.

La solution est cependant beaucoup plus compliquée lorsqu’il s’agit de la saisie et la vente forcée des parts de sociétés civiles professionnelles d'officiers publics ou ministériels240. Par une série de

décrets, le pouvoir réglementaire a introduit une disposition suivant laquelle « les parts sociales ne peuvent être ni données en nantissement, ni vendues aux enchères publiques ». Cette restriction au droit de disposer des parts concerne les sociétés de notaires241, les SCP d'huissiers de justice242, les

SCP d'avoués243, les SCP de commissaires-priseurs244, les SCP d'avocats245. Une disposition

236 Loi du 28 avril 1816, modifiée par la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant

les cours d'appel, JORF n°0021 du 26 janvier 2011 p. 1544.

237 Loi du 28 avril 1816, art. 91, Loi du 28 avril 1816 sur les finances, modifiée par l’art. 32, Loi n°2011-94 du 25 janvier 2011.

238 Cass. 2e civ., 11 mai 2000, nos 97-12.362, 97-12.423 et 97-15.736, Bull. civ. II, n° 77. 239 Hoonakker Ph., Procédures civiles d'exécution op. cit., n° 70, p. 33.

240 V. E. Putman, Les nouvelles dispositions sur la vente des parts de sociétés civiles et d'exercice libéral et leur

incidence en matière de saisie, LPA 20 avr. 1994, no 47 ; J.-J. Daigre, La saisie et la vente forcée des parts de SCP d'officiers publics ou ministériels sont-elles possibles ? A propos d'un jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 26 décembre 1990, Rev. huissiers 1992, p. 121.

241 Art. 14, al. 1, Décr. n° 67-868, 2 oct. 1967.

242 Art. 14, al. 1, Décr. n° 69-1274, 31 déc. 1969 ; Décr. n° 92-1448 du 30 déc. 1992. 243 Art. 14, al. 1, Décr. n° 69-1057, 20 nov. 1969.

identique vise les sociétés d'exercice libéral de notaires246, d'huissiers de justice247. Toutefois, cette

interdiction de nantir et de vendre aux enchères publiques a donné lieu à une jurisprudence ambiguë de la Cour de cassation. Dans un arrêt du 4 novembre 2003, la première chambre civile a considéré qu'une telle interdiction n'emportait pas, en principe, l'insaisissabilité des parts car une telle insaisissabilité ne pouvait résulter que de la loi. Néanmoins, elle a jugé que la saisie-vente de parts d'une société civile professionnelle de notaires entraine la cession forcée et, « l'exigence de l'agrément préalable du cessionnaire par le garde des Sceaux est incompatible avec une telle cession »248. Cette solution a été vivement critiquée par la majorité de la doctrine car elle permet de

saisir les parts de société dès lors que le débiteur n'est pas officier ministériel. Par contre, lorsqu'un agrément est exigé, la double proposition de la Cour de cassation est difficilement conciliable. A moins d'y voir une insaisissabilité de fait, il faut admettre que le créancier poursuivant a le droit de saisir les parts mais que la procédure ne peut aller jusqu'à l'adjudication. La saisie, notamment conservatoire, présenterait alors l'intérêt de rendre les parts indisponibles obligeant à terme le débiteur titulaire des parts à les vendre à l'amiable après avoir obtenu l'agrément249.

Un arrêt rendu le 21 juin 2007 par la Cour de cassation250 est venu consacrer cette proposition.

Dans cette affaire, une saisie conservatoire des droits d'associés a été pratiquée sur les parts sociales détenues par un notaire associé dans une société civile professionnelle. La deuxième chambre civile précise que les bénéfices distribuables attachés aux parts saisies sont des droits pécuniaires que la saisie conservatoire a rendu indisponibles en vertu des articles L. 521-1, R. 232-8 et R. 524-3 du CPCE. Dès lors, une saisie-attribution pratiquée postérieurement sur ces avoirs ne peut, pour le moins, produire son effet attributif. La précision concernant le sort des dividendes est utile, mais l'arrêt qui tranche un concours de saisies n'aborde pas la question préalable de la saisissabilité des parts. Toutefois, l’indisponibilité des parts résultant de la saisie conservatoire peut durer indéfiniment sans qu’aucun créancier du débiteur ne puisse saisir les dividendes attachés aux parts251.

Ces mesures d’insaisissabilité visant à protéger l’intérêt du commerce profitent à l’entrepreneur individuel, qui par le jeu de l’irrecevabilité ou de la nullité de ces saisies, voit une bonne partie de ses

245 Art; 13, al. 1, Décr. n° 92-680, 20 juill. 1992. 246 Art. 19, al; 2; Décr. n° 93-78, 13 janv. 1993. 247 Art. 19, al. 2, Décr. n° 92-1448, 30 déc. 1992.

248 Cass. 1re civ., 4 nov. 2003, n° 99-13.965, Bull. civ. I, n° 222, D. 2004, p. 521, note G. Taormina; Defrénois 2004,

art. 37946, n° 46, p. 727, obs. Ph. Théry ; Dr. et proc. 2004, jur., p. 104, note Ph. Hoonakker ; RTD com. 2004, p. 115, obs. M.-H. Monsèrié-Bon et L. Grosclaude ; RD banc. 2004, p. 35, note J.-M. Dellici.

249 V. en ce sens, E. Putman, Ph. Théry, op. cit., p. 730.

250 Cass. 2e civ., 21 juin 2007, n° 06-13.386, Bull. civ. II, n° 170 ; v. aussi, Cass. 2e civ., n° 09-69.867 du 21 oct. 2010.

biens échapper à la poursuite des créanciers. En effet, il est normal que l’intérêt du créancier s’efface devant l’intérêt général jugé supérieur. Mais, il arrive que l’insaisissabilité édictée soit justifiée par la protection de l’intérêt personnel de l’entrepreneur individuel

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