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L’insaisissabilité des biens affectés d’une clause d’accroissement

C HAPITRE I L A DETERMINATION DU DROIT DE GAGE GENERAL DES CREANCIERS

L ES EXCEPTIONS AU DROIT DE GAGE GENERAL DES CREANCIERS

B. L’insaisissabilité résultant de la volonté de l’entrepreneur individuel

2. L’insaisissabilité des biens affectés d’une clause d’accroissement

135. Les biens acquis avec clause d’accroissement sont insaisissables. Cette insaisissabilité est due

à la particularité de cette clause qui ne permet le transfert de la propriété du bien qu’au survivant des acquéreurs. Ainsi, à l’analyse de la clause d’accroissement insérée dans un contrat (a) nous en déduisons toute son efficacité (b).

a. L’analyse de la clause d’accroissement

136. La clause d’accroissement insérée dans un contrat de vente, au moment de sa conclusion, permet de transmettre la « propriété exclusive d’un bien au survivant des acquéreurs »323. A cet effet,

le bien acquis ira au dernier survivant des acquéreurs qui sera réputé être le seul propriétaire du bien depuis son acquisition, en vertu de l’effet rétroactif de la clause. En effet, la jurisprudence considère que tant que la condition suspensive de décès ne s’est pas réalisée, les acquéreurs ne sont pas considérés comme disposant d’une propriété indivise sur le bien324. La cour de cassation estime, en

effet, que « la clause d’accroissement écartait toute indivision, puisqu’il n’y aura jamais eu qu’un seul titulaire du droit de propriété ». Seule la réalisation de la condition suspensive de survie pourra déterminer le titulaire du droit de propriété du bien acquis avec la clause de tontine. Toutefois, la jurisprudence précise que « tant que cette condition ne s’est pas réalisée, les parties ont des droits concurrents qui emportent le droit pour chacune d’entre elles de jouir indivisément du bien, droit dont l’exercice peut être organisé par le juge »325.

320 Il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement ces moyens de preuve, civ. 1re, 18 mars 1997, n° 94-

21396.

321 Sur le fondement de l’action paulienne de l’art. 1667, C. civ.

322 Cass. com., 11 déc. 2012, n° 11-27437, Act. proc. coll., 3-2013, n° 30, note N. Borga, act. Proc. coll. ; v. aussi, P.

Rubellin, L'assureur doit verser au débiteur la valeur de rachat de l'assurance-vie, LEDEN, 15 janv. 2013, p. 4 et s.

323 V. à ce propos pour une analyse de la clause de tontine, A.-L. Thomat-Raynaud, L’unité du patrimoine : essai critique, op. cit., p. 235. V. aussi, D. Grillet-Ponton, L’organisation de l’insolvabilité en droit patrimonial de la famille, op. cit., p. 339 et s.

324 A l’origine, la doctrine considérait que les coacquéreurs étaient des propriétaires indivis jusqu’au décès de l’un d’eux, moment où le survivant devient le propriétaire exclusif du bien.

137. Ainsi, le bien acquis avec clause d’accroissement ou de tontine n’est pas un bien acquis en indivision, la jurisprudence admettant seulement l’indivision dans la jouissance dudit bien. Mais, une partie de la doctrine a contesté cette position de la jurisprudence. Certains auteurs ont estimé qu’ «on ne peut pas expliquer la situation des coacquéreurs pendante conditione par l’effet de la réalisation de la condition »326. Pour ceux-ci, les acquéreurs ont été dans une situation de concours de droits de

propriété avant la réalisation de la condition et que la propriété soit dévolue à l’un d’eux327. Selon

leur opinion, la jurisprudence tente de « régir une situation actuelle par des effets futurs fussent-ils certains et rétroactifs » alors que la coexistence de droits sur un bien doit être analysée que dans le domaine de l’indivision. D’autres auteurs, en revanche ont démontré l’absence d’indivision entre les coacquéreurs en estimant qu’ « il n’y a pas d’indivision entre les parties à un rapport de propriété conditionnelle, mais articulation d’une propriété sous condition suspensive avec une propriété sous condition résolutoire »328. Cependant, l’absence de précision sur le titulaire de la propriété sous

condition suspensive et celui de la propriété sous condition résolutoire rend cette analyse superficielle329. Ainsi, face à ces incertitudes, des auteurs ont estimé tout simplement que le décès de

l’un des coacquéreurs entraine l’extinction de son droit de propriété, ce qui laisse au survivant un droit de propriété exclusive. Cette analyse a le mérite d’être plus conforme avec la solution de la Cour de cassation lorsqu’elle affirme la clause d’accroissement confère « à chaque contractant la chance de devenir seul propriétaire du bien acquis contre le risque correspondant de ne le devenir jamais ; une telle convention constitue non une libéralité mais un contrat aléatoire à titre onéreux »330.

b. L’efficacité de la clause d’accroissement

138. La clause d’accroissement ou de tontine ne sert pas uniquement comme un moyen de transmission du bien acquis au survivant des acquéreurs, mais elle constitue aussi un « instrument performant de gestion patrimoniale »331. Le bien acquis avec une clause d’accroissement échappe à la

poursuite des créanciers des acquéreurs332. Ainsi, lorsque l’entrepreneur individuel acquiert avec son

326 V. F. Zénati, Copropriété et droits réels, RTD civ., 1995, p. 151.

327 A cet effet, la doctrine considérait qu’au moment du décès de l’un des acquéreurs, le survivant devenait propriétaire exclusif par l’accroissement de sa part du fait de l’extinction de l’autre. Mais, la jurisprudence a rejeté cette analyse, la C. cass. a estimé que l’accroissement de la part du survivant s’analysait comme une mutation et non comme une augmentation, v. cass. civ., 15 déc. 1852, D. 1852.1.336.

328 V. à cet effet, M. Dagot, L’acquisition faite au profit du survivant des acquéreurs, JCP, 1972, I, 2442, n° 8.

329 F. Zénati, Copropriété et droits réels, op. cit. p. 154.

330 Cass. Req. 24 janv. 1928, Defrénois, 1928, art. 21686 ; v. aussi, cass. 1re, civ., 14 déc. 2004, Bull. civ. I, n° 313.

331 V. P. Delmas Saint-Hilaire, Variations sur le pacte tontinier, Dr. et pat., 1998, p. 52 et s.

conjoint ou son partenaire un bien en y insérant une clause de tontine ou d’accroissement, ce bien échappe au droit de gage général de ses créanciers qui ne pourront le saisir. La jurisprudence a décidé que « le droit de gage général des créanciers ne pouvant s’exercer que sur les biens dont le débiteur est propriétaire, doit être annulé le commandement aux fins de saisie immobilière délivré à l’un des acquéreurs d’un bien qui, en raison d’une clause de tontine, n’est pas titulaire d’un droit privatif de propriété sur ce bien tant que la condition suspensive de survie n’est pas réalisée »333.

Comme nous l’avons rappelé, tant que la condition suspensive ne s’est pas réalisée, aucun des acquéreurs ne dispose d’un droit de propriété sur la bien, puisqu’un seul des acquéreurs est réputé être le titulaire du droit de propriété depuis l’acquisition du bien.

Certains auteurs ont estimé que l’insaisissabilité du bien acquis avec clause d’accroissement était liée avec la manière dont le bien avait été acquis334. Une autre partie de la doctrine pense que cette

insaisissabilité résulte indirectement du mécanisme juridique de la clause de tontine, en ce sens qu’elle ne porte pas directement atteinte au droit de gage général des créanciers335. Le créancier de

tous les acquéreurs peut saisir le bien à l’instar du créancier des indivisaires sur les biens indivis, contrairement au créancier d’un acquéreur qui verra son action rejetée336.

139. L’insaisissabilité du bien acquis avec une clause de tontine par le créancier d’un des acquéreurs a conduit la doctrine à faire la distinction entre les clauses de tontine assorties d’une déclaration d’inaliénabilité et celles qui n’en sont pas assorties. Il est évident que les clauses assorties d’inaliénabilité rendent insaisissables le bien, et plus particulièrement la part des droits du tontinier. C’est lorsque la clause de tontine ne prévoit pas l’inaliénabilité que la doctrine est partagée sur la question. Les partisans de l’indivision estiment qu’en dehors de toute stipulation d’inaliénabilité, le bien reste insaisissable, en cas de convention d’indivision entre les acquéreurs. Pour les autres, même avec une d’indivision, le défaut d’une stipulation d’inaliénabilité doit justifier la saisissabilité de la part des droits du tontinier337.

Ainsi, à la différence des créanciers de l’indivision qui peuvent provoquer le partage du bien indivis, la seule possibilité pour les créanciers du coacquéreur d’un bien assortie d’une clause de tontine est d’établir la fraude de leur débiteur, auquel cas la clause leur serait inopposable338.

333 Cass. 1re, civ. 18 nov. 1997, n° 95-20.842, Bull. civ. I, n° 315, Dr. fam., 1998, n° 77, note Beignier.

334 V. C. Lopard, Un exemplaire inattendu d’insaisissabilité : la tontine, LPA, 3aout 1998, p. 11.

335 Ph. Simler, P. Delebecque, JCP, 1998, E, chron., p. 1638.

336 V. H. Mazeron, Un bien acquis en tontine peut-il être saisi par le créancier de l’un des acquéreurs ?, Defrénois, 1998, art. 36761.

337 V. H. Dumortier, Clause d’accroissement ou de tontine insérée dans une acquisition en commun », in J.- Cl. civil, App. art. 1964, 1996 ; v. aussi, A. Depont, Les application du pacte tontinier, Dr. et pat., janv. 1998, p. 52 et s.

Conclusion du Titre I:

140. En somme, le principe de l’unité du patrimoine auquel est soumis l’entrepreneur individuel, le rend vulnérable à l’égard de ses créanciers professionnels. Ceux-ci disposant d’un droit de gage général sur son patrimoine peuvent saisir ses biens personnels et même son patrimoine conjugal. Le droit de gage des créanciers s’analysant comme une garantie offerte aux créanciers sur le patrimoine de leur débiteur, ces derniers peuvent saisir indistinctement tout bien contenu dans le patrimoine de leur débiteur.

141. Toutefois, le droit de gage général des créanciers a été au fil du temps atténué par les nombreuses exceptions qui ont été apportées à ce principe. Certaines sont justifiées par des raisons d’ordre public tandis que d’autres prennent en considération la situation personnelle du débiteur. Ainsi, au regard de l’intérêt général, la loi interdit la saisie de certains biens de l’entrepreneur individuel. Cependant, l’insaisissabilité des biens peut découler de la volonté d’une personne qui peut être l’entrepreneur individuel lui-même. En effet, par le truchement de certains procédé, notamment le recours à l’assurance-vie ou l’insertion d’une clause d’accroissement dans l’acte d’acquisition d’un bien, il peut soustraire une partie de son patrimoine de la poursuite de ses créanciers. Mais, les exceptions apportées au droit des créanciers ne sont pas spécifiques à l’entrepreneur individuel, elles profitent à toute personne placée dans une situation de débitrice par rapport à ses créanciers.

Ainsi, la fragilité de l’entrepreneur individuel exposé aux risques de son activité professionnelle a conduit le législateur à aménager des mécanismes permettant à celui-ci de protéger son patrimoine personnel, voire conjugale. De même, l’entrepreneur individuel par le truchement de certaines mesures peut chercher à limiter les droits des créanciers sur son patrimoine personnel.

TITRE II.

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