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La présomption de propriété des biens détenus par l’entrepreneur individuel

C HAPITRE I L A DETERMINATION DU DROIT DE GAGE GENERAL DES CREANCIERS

L ES CONDITIONS DE MIS E EN ŒUVRE DU DROIT DE GAGE DES CREANCIERS

A. La propriété exclusive des biens saisissables à l’entrepreneur individuel

1. La présomption de propriété des biens détenus par l’entrepreneur individuel

Les créanciers de l’entrepreneur individuel peuvent exercer leur droit de saisie entre les mains de l’entrepreneur individuel (a) ou entre les mains d’un tiers lorsque le ou les biens objets de la saisie sont détenus par une tierce personne (b).

a. La saisie entre les mains de l’entrepreneur individuel

66. Le patrimoine de l’entrepreneur individuel répond de l’engagement souscrit par celui-ci à

l’égard de ses créanciers. Ainsi, tous les biens contenus dans le patrimoine de l’entrepreneur individuel constituent, en principe, le gage général de ses créanciers. Lorsque qu’il n’exécute pas ses obligations, les créanciers peuvent saisir tous ses biens. Cependant, pour que la saisie puisse prospérer, les biens doivent appartenir à l’entrepreneur individuel. En effet, « l’indépendance juridique des personnes empêche normalement d’engager les biens d’autrui par ses propres dettes »145. Dès lors, les créanciers de l’entrepreneur individuel ne peuvent pas saisir les biens de tiers

à sa disposition ou les biens personnels de son conjoint, sauf en cas de solidarité entre les deux

époux146. Ainsi, le droit de poursuite des créanciers ne peut porter que sur les biens appartiennant à

l’entrepreneur individuel.

67. La propriété doit être comprise dans un sens large. Elle englobe tout titre juridique en vertu duquel l’entrepreneur individuel est en droit de s’approprier un bien déterminé147. Ce titre juridique

permet à l’entrepreneur individuel d’exercer une plénitude de droits sur les biens contenus dans son patrimoine. Il dispose à cet effet de l'usus, du fructus et de l'abusus qui lui assurent une pleine propriété sur ses biens. La jurisprudence rappelle ainsi régulièrement la règle de la primauté du titre qui a le grand mérite d’être simple et incontestable148. Ainsi, ne font donc véritablement partie du patrimoine

de l’entrepreneur individuel que les biens qui sont juridiquement siens, sur lesquels il exerce une emprise, soit directement, soit par personne interposée. Ces biens, puisqu’étant la propriété exclusive de l’entrepreneur individuel, peuvent être saisis par les créanciers.

68. La même analyse pourrait servir de base pour soutenir les arguments sur la saisie des biens utilisés en usufruit. Mais, l'usufruitier n’est pas propriétaire de la chose utilisée. Il ne peut légitimement considérer comme étant les siens que les fruits produits par la chose, à la condition de ne pas en altérer la substance. L’entrepreneur individuel, à cet effet, est quasi-propriétaire, il ne peut exercer ses droits que sur les fruits de la chose. L'article 578 du code civil définit, en effet, l'usufruit comme étant « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui- même, mais à la charge d'en conserver la substance ». Ainsi, les fruits produits par la chose deviennent définitivement la propriété de l’entrepreneur individuel et, à ce titre, ils entrent dans son patrimoine. A ce moment, les saisies pourront s’exercer sur ces biens qui entrent dans le patrimoine de leur débiteur.

69. Ainsi, d’un point de vue juridique, seuls sont compris dans le patrimoine de l’entrepreneur individuel, les biens qu'il a le droit de considérer comme siens. Ceci conduit à exclure tous les biens qu'il ne fait que posséder provisoirement. Inversement, les saisies peuvent également porter sur les biens lui appartenant et qui seraient entre les mains d’un tiers.

146 V. art. 1413, C. civ.

147 La Cour de cassation précise à cet effet qu’ « un bien appartient à celui qui l’a acquis sans égard à son financement », Cass. 1re civ., 19 mars 2008, no 07-12.300, Bull. civ. I, no 89, Defrénois 2008, art. 38795, note R. Libchaber, RLDC

2008/53, no 3167, obs. V. Perruchot-Triboulet.

148 Cass. 1re civ., 19 mars 2014, no 13-14.989, D. actu. 10 avr. 2014, obs. Cayol A., JCP G 2014, no 15, 467, no 5, obs. H.

b. La saisie entre les mains d’un tiers

70. Les biens de l’entrepreneur individuel qui sont détenus par les tiers sont également saisissables

par les créanciers149. En effet, l’article L. 112-1 du CPCE dispose que les « saisies peuvent porter sur

tous les biens appartenant au débiteur alors même qu'ils seraient détenus par des tiers ». Reprise à l’identique par l’article 50 de l’AUVE150, cette disposition est confortée, en droit OHADA, par

l’article 28 de l’AUVE qui permet aux créanciers justifiant d’une créance certaine, liquide et exigible de poursuivre l’exécution forcée de leur débiteur. Aux termes de ce dernier article, « tout créancier peut, quelle que soit la nature de sa créance, (…) contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard ou pratiquer une mesure conservatoire pour assurer la sauvegarde de ses droits ».

71. Le tiers saisi en question n’est pas un tiers « penitus extranei », il entretient des rapports avec

l’entrepreneur individuel et, est directement concerné par la procédure d’exécution. Il détient des biens appartenant à l’entrepreneur individuel. C’est entre les mains de ce tiers que les créanciers poursuivants pratiquent une saisie-attribution, une saisie-vente, une saisie-appréhension, une saisie- revendication ou une saisie-conservatoire. La loi précise que peuvent aussi avoir la qualité de tiers- saisi, les sociétés ou personnes morales auxquelles appartiennent des coffres forts dans lesquels sont placés des biens du débiteur151. À l’égard de ces derniers, la loi impose les obligations qui découlent

du principe général énoncé par l’article L. 123-1 du CPCE et qui sont précisées par les dispositions légales et réglementaires, spécifiques aux différentes mesures d’exécution mises en œuvre par les créanciers.

72. À cet effet, les tiers détenteurs de biens de l’entrepreneur individuel doivent apporter leurs

concours à la procédure d’exécution. L’article 107 alinéa 1 de l’AUVE dispose que « l'huissier ou l'agent d'exécution invite le tiers à déclarer les biens qu'il détient pour le compte du débiteur et, parmi ces derniers, ceux qui auraient fait l'objet d'une saisie antérieure »152. L’article 211-3 du CPCE

149 « Sur présentation du commandement de payer conforme aux articles 92 à 94 ci-dessus signifié au débiteur, à

l'expiration d'un délai de huit jours après sa date, et sur présentation éventuelle de l'autorisation de la juridiction prévue par l'article précédent, l'huissier ou l'agent d'exécution peut saisir, entre les mains d'un tiers, les biens que celui-ci détient pour le compte du débiteur », v. art. 106 al. 1, AUVE.

150 Les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur alors même qu’ils seraient détenus par des tiers… », art. 50, AUVE.

151 L’art. 106 al. 2, AUVE dispose même que « le créancier peut, également, en respectant la même procédure, pratiquer une saisie sur soi-même lorsqu'il détient légitimement des biens appartenant à son débiteur ».

152 « Lorsque le tiers n'a pas assisté aux opérations de saisie, la copie du procès-verbal de saisie lui est signifiée en lui

impartissant un délai de huit jours pour qu'il porte à la connaissance de l'huissier ou de l'agent d'exécution l'existence d'une éventuelle saisie antérieure sur les mêmes biens et qu'il lui en communique le procès-verbal », art. 110 al. 2, AUVE. La présence du tiers aux opérations de saisie se matérialise par la signature et la remise de l’original du procès-verbal au tiers-saisi qui vaut signification, « une copie du procès-verbal est signifiée au débiteur, huit jours au plus tard après la saisie ».V. art. 110 al. 1 et art. 111, AUVE ; La sanction de nullité prévue par l’article 111 AUVE ne s’applique qu’au

prévoit la même obligation à l’égard du tiers saisi. Ainsi, « le tiers saisi est tenu de déclarer au créancier l'étendue de ses obligations à l'égard du débiteur ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et, s'il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures »153.

73. Les tiers qui ne respecteraient pas ces obligations encourent une responsabilité et leurs manquements sont sanctionnés, respectivement par les articles L. 123-1 et 107 du CPCE et de l’AUVE par une condamnation au paiement, soit de dommages-intérêts, soit des causes de la saisie. En effet, l’article L. 123-1 du CPCE dispose que « les tiers ne peuvent faire obstacle aux procédures engagées en vue de l'exécution ou de la conservation des créances. Ils y apportent leur concours lorsqu'ils en sont légalement requis. Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à ces obligations peut être contraint d'y satisfaire, au besoin à peine d'astreinte, sans préjudice de dommages-intérêts. Dans les mêmes conditions, le tiers entre les mains duquel est pratiquée une saisie peut aussi être condamné au paiement des causes de la saisie, sauf recours contre le débiteur ».

Cette responsabilisation du tiers saisi dans la procédure est également prévue par le droit de l’OHADA. En effet l’article 107 alinéa 2 de l’AUVE dispose que « en cas de refus de déclaration ou de déclaration inexacte ou mensongère, le tiers peut être condamné au paiement des causes de la saisie, sauf son recours contre le débiteur. Il peut, aussi, être condamné à des dommages-intérêts ». En droit français et en droit de l’OHADA, le législateur prévoit aussi la possibilité d’assortir d’une astreinte les obligations incombant au tiers-saisi mais cette mesure n’est destinée qu’à contraindre celui-ci à respecter ses obligations et ne constitue pas la mise en œuvre d’une responsabilité proprement dite du tiers défaillant.

74. Les biens saisis peuvent être confiés au tiers. Toutefois, ce dernier peut refuser la garde154.

Dans certaines situations, l’article 113, alinéa 1 de l’AUVE prévoit même avant toute saisie que les biens soient mis sous séquestre. En effet, « sous réserve du droit d'usage dont le tiers pourrait être titulaire sur les biens saisis, la juridiction compétente peut ordonner sur requête, à tout moment, procès-verbal de saisie vente et non au procès-verbal de recollement, CA Ouagadougou, ord. réf. n°29/00, 18-5-2000 : Kondé Salif c/ pascale Berta, www.OHADA.com, Ohadata J-02-54 ; obs. J. Issa-Sayegh.

153 L’art. R. 211-4, CPCE précise que « le tiers saisi est tenu de fournir sur-le-champ à l'huissier de justice les renseignements prévus à l'article L. 211-3 et de lui communiquer les pièces justificatives.

Il en est fait mention dans l'acte de saisie.

par dérogation au premier alinéa, lorsque la saisie est pratiquée entre les mains d'un comptable public, celui-ci dispose d'un délai de vingt-quatre heures pour fournir à l'huissier de justice les renseignements prévus à l'article L. 211-3 et lui communiquer les pièces justificatives.

Si l'acte de saisie est signifié par voie électronique, le tiers saisi est tenu de communiquer à l'huissier de justice les renseignements et pièces justificatives mentionnés au premier alinéa au plus tard le premier jour ouvré suivant la signification, par voie électronique, sous réserve des dispositions prévues à l'article 748-7 du code de procédure civile ».

154 « Le tiers peut refuser la garde des biens saisis. À tout moment, il peut demander à en être déchargé. L'huissier ou

même avant le début des opérations de saisie, et après avoir entendu les parties ou celles-ci dûment appelées, la remise d'un ou de plusieurs objets à un séquestre qu'il désigne »155.

75. Les créanciers doivent aussi respecter certaines règles dans la saisie des biens de l’entrepreneur individuel détenus par des tiers. En effet, l’article 105 de l’AUVE dispose que « lorsque la saisie porte sur des biens qui sont détenus par un tiers et dans les locaux d'habitation de ce dernier, elle doit être autorisée par la juridiction du lieu où sont situés les biens ». Ainsi, la saisie- vente effectuée sans l’autorisation de la juridiction du lieu où se situe les biens est nulle et de nul effet156.

76. Par ailleurs, le tiers saisi peut s’opposer à la saisie du bien en usant de son droit de rétention.

L’article 114 de l’AUVE dispose à cet effet que « si le tiers se prévaut d'un droit de rétention sur le bien saisi, il en informe l'huissier ou l'agent d'exécution par lettre recommandée avec avis de réception ou tout moyen laissant trace écrite à moins qu'il n'en ait fait la déclaration au moment de la saisie. Dans le délai d'un mois, le créancier saisissant peut contester ce droit de rétention devant la juridiction compétente du domicile ou du lieu où demeure le tiers. Le bien demeure indisponible durant l'instance. A défaut de contestation dans le délai d'un mois, la prétention du tiers est réputée fondée pour les besoins de la saisie ».

2. La contestation de la présomption de propriété des biens détenus par l’entrepreneur

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