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C HAPITRE I L A DETERMINATION DU DROIT DE GAGE GENERAL DES CREANCIERS

L ES EXCEPTIONS AU DROIT DE GAGE GENERAL DES CREANCIERS

A. L’insaisissabilité résultant de la volonté d’un tiers

2. La clause d’inaliénabilité insérée dans un contrat

120. La clause d’inaliénabilité peut être insérée, par un tiers, dans une donation ou un

testament fait au profit de l’entrepreneur individuel. Cette clause rend insaisissables les biens transférés (a). Toutefois, cette insaisissabilité n’est pas absolue (b).

a. L’étendue de la clause d’inaliénabilité

121. Les biens reçus par l’entrepreneur individuel à la suite d’une donation ou d’un testament peuvent être affectés d’une clause qui les rend inaliénables, voire insaisissables. En effet, l'article 900- 1 du Code civil permet à un testateur ou un donateur d’insérer une clause d’inaliénabilité afin de rendre indisponible les biens dont il a la libre disposition. Les clauses d'inaliénabilité sont des stipulations par lesquelles un disposant interdit au gratifié d'aliéner les biens donnés ou légués. Elles peuvent être absolues273 ou ne viser que certains actes pouvant être accompli par l’entrepreneur

individuel sur les biens donnés ou légués274.

Ainsi, par l'effet de la clause d’inaliénabilité, les biens sont indisponibles entre les mains du gratifié et ils échappent à toute saisie de la part de ses créanciers tant que la clause est en vigueur275.

Toutefois, la Cour de cassation a admis l'inscription d'une hypothèque276 judiciaire dans la mesure

où la sûreté « ne tient pas en échec une clause d'inaliénabilité en ce sens qu'elle ne permet pas la saisie tant que cette clause est en vigueur »277.

122. La même faculté est offerte aux parties qui souscrivent un acte à titre onéreux comme par exemple une vente avec constitution de rente viagère278. Cette solution a pu être discutée mais, dans

un arrêt du 31 octobre 2007, la Cour de cassation a très clairement réaffirmé la possibilité d'insérer de telles clauses dans les actes à titre onéreux279.

273 La clause d’inaliénabilité peut viser tout acte de disposition, que ce soit à titre onéreux ou à titre gratuit.

274 En effet, la prohibition peut n'être que relatif, le donateur ou le testateur vise à travers la clause l’interdiction de disposer uniquement au profit certaines personnes. La clause d’inaliénabilité peut également viser l’une des manières d’aliéner ou l’encadrer en la « subordonnant à son consentement ou à son absence d'opposition ».

275V. Cass. 1re civ., 15 juin 1994, no 92-12.139, Bull. civ. I, no 211, Defrénois 1995, no 35967, p. 51, note X. Savatier ;

D. 1994, jur., p. 342, note A. Leborgne ; JCP G 1995, I, no 3876, obs. Le Guidec ; RTD civ. 1995, p. 666, obs. J. patarin

et p. 919 obs. F. Zénati ; Cass. 1re civ. 8 fév. 2000, Bull. civ. I, no 43, RTD civ. 2000, p. 383 obs. J. Patarin et p. 812 obs.

J. Hauser.

276 Pour une hypothèque légale : Cass. 1re civ., 25 juin 1980, no 79-12.149, Bull. civ. I, no 198, D. 1981, I.R., p. 90, obs.

D. Martin, Defrénois 1981, p. 468, obs. G. Champenois, RTD civ. 1981, p. 671, obs. J. patarin.

277 Cass. 1re civ., 9 oct. 1985, no 84-13.306, Bull. civ. I, no 198, RTD civ. 1986, p. 622, obs. J. Patarin.

278 V. sur l'ensemble de la question : R. Marty, De l'indisponibilité conventionnelle des biens, LPA 21-22 nov. 2000 279 Cass. 1er civ., 31 oct. 2007, Bull. civ. I, no 337, D. 2008, p. 963, note A.-L. Thomat-Raynaud, RTD civ. 2008, p. 126

123. La clause d’inaliénabilité insérée dans une donation ou dans un testament se distingue ainsi

de la clause de retour qui est prévue par l’article 1048 du Code civil. Cet article prévoit qu’ « une libéralité peut être grevée d'une charge comportant l'obligation pour le donataire ou le légataire de conserver les biens ou les droits qui en sont l'objet et de les transmettre, à son décès, à un second gratifié, désigné dans l'acte »280. La clause de retour fait peser sur le premier gratifié (le grevé) une

obligation de conservation des biens afin de les transmettre à son décès au second gratifié (l'appelé). Ce qui a conduit certains à se demander si les biens ou droits compris dans une libéralité graduelle sont saisissables de la part des créanciers du grevé. Une partie de la doctrine estime que « l'inaliénabilité des biens transmis résulte de l'obligation de conservation imposée au premier gratifié. En conséquence et, par accessoire, ils sont aussi insaisissables »281.

Mais d’autres auteurs ont considéré cette solution trop radicale en estimant que les droits du grevé « sont juridiquement ceux d'un propriétaire ordinaire, car l'ouverture des droits de l'appelé, étant subordonnée à sa survie, n‘est qu'éventuelle : quoique le grevé soit tenu de conserver et de transmettre, ses actes même d'aliénation, sont inattaquables, et les biens peuvent être saisis par ses créanciers »282. Cependant, par l’effet de la clause de retour, la propriété du grevé sur les biens

transmis reste très limitée. Certains auteurs ne manquent pas de souligner, à cet effet, que « les tiers refuseront de traiter avec lui dans la crainte que leurs droits ne soient anéantis par l'ouverture des droits de l'appelé »283. Dans ces conditions, la saisie par les créanciers du grevé d'un bien ou droit

objet d'une libéralité graduelle reste possible mais ne présente guère d'intérêt284.

Contrairement aux clauses de retour, les clauses d’inaliénabilité prévues par l’article 900-1 du Code civil constituent de véritables freins à la liberté de circulation des biens. C’est la raison pour laquelle, la loi et la jurisprudence ont attaché à leur validité certaines conditions qui constituent en même temps des limites.

b. Les limites de la clause d’inaliénabilité

124. Aux termes de l’article 900-1 du Code civil, « les clauses d’inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt légitime et

280 La clause de retour est introduite dans le Code civil par la loi no 2006-728 du 23 juin 2006.

281 Hoonakker Ph., Procédures civiles d'exécution op. cit., n°. 75 p. 35.

282 Grimaldi M., Les libéralités graduelles et les libéralités résiduelles, JCP N, 2006, 1387 no 5.

283 Ibid.

284 En ce sens, M. Donnier et J.-B. Donnier, Voies d’exécution et procédure de distribution, 8e éd., Litec, 2008, no 259 à

sérieux ». Selon la jurisprudence française, il faut que l’inaliénabilité soit en vigueur au moment de la saisie285 et qu’elle ne concerne que les biens dont le gratifiant avait la libre disposition286.

Ces clauses « ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime. Même dans ce cas, le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l'intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s'il advient qu'un intérêt plus important l'exige »287. Tant que cette clause est en vigueur, ni les créanciers ne peuvent saisir le bien288, ni le

propriétaire ne peut l’aliéner. Cependant, le créancier peut chercher à remettre directement en cause la validité de ces clauses.

L'article 900-1, alinéa 1er, du Code civil subordonne la validité des clauses d'inaliénabilité à leur

caractère temporaire, sans préciser de durée maximale. Il appartient à la jurisprudence de déterminer au par cas le respect de cette exigence temporelle289. A cet effet, elle a admis la validité d'une clause

d'inaliénabilité prévue pour une durée de quarante ans290 et a rejeté toutes les clauses dont la durée

était supérieure à l'espérance de vie du gratifié291. Toutefois, la jurisprudence a eu, sans rechercher si

la durée était supérieure ou inférieure à l’espérance de vie du gratifié, à valider des clauses ayant fixé la durée de l'inaliénabilité sur la durée de vie du donateur292.

125. La seconde condition imposée par l'article 900-1, alinéa 1er, du Code civil pour reconnaître la

validité d'une clause d'inaliénabilité est qu'elle soit « justifiée par un intérêt sérieux et légitime ». La loi ne distinguant pas, l'intérêt peut être aussi bien moral293 que matériel294, celui du disposant, du

285 Civ. fév. 2000, D. 2000, I.R. 74. 286 Ibid.

287 Art. 900, al. 1, C. civ.

288 Civ. 1re, 15 juin 1994, Bull. civ. I, n° 211; RTD civ. 2000. 383, obs. J. patarin.

289 Au regard de la jurisprudence sur cette question, le caractère temporaire résulte de l’existence de l’affectation par le disposant d’un terme certain à la période d'inaliénabilité et que sa durée ne soit pas supérieure à la durée de vie dont le gratifié peut normalement bénéficier. Par exemple, est valable une clause interdisant toute aliénation jusqu'à la majorité du gratifié. Sera également licite une clause prévoyant une longue période d'inaliénabilité, si ce temps peut raisonnablement paraître inférieur à l'espérance de vie du gratifié.

290 V. T. civ. Seine, 22 mars 1881, Defrénois 1881, art. 200, p. 192. 291 V. CA paris, 2e ch. B, 22 févr. 2001, D. 2001, I.R., p. 1146

292 Cass. 1re civ., 8 janv. 1975, no 73-11.648, Bull. civ. I, no 8, Defrénois 1975, art. 30907, p. 524, note A.. Ponsard ; JCP

G 1976, II, no 18420, note H. Thuillier.

293 L'intérêt moral a, par exemple, été reconnu à propos de la volonté de conserver les biens dans la famille, Cass.

1re civ., 20 nov. 1985, no 84-13.940, Bull. civ. I, no 313, Defrénois 1986, art. 33700, p. 472, no 40, note G. Champenois ;

RTD civ., 1986, p. 620, obs. J. patarin.

gratifié ou d'un tiers, et s'apprécie au jour où la libéralité est consentie295. A ce titre, la jurisprudence

a admis que constituait un intérêt moral la volonté de conserver le gratifié comme débiteur d'un droit d'utilisation de la chose transmise, que ce soit un droit d'usufruit ou un droit d'usage et d'habitation296. En outre, l'intérêt matériel est également considéré comme légitime et sérieux s'il

réside dans la volonté de garantir l'exécution d'une charge à caractère patrimonial qui grève la libéralité ou le paiement d'une rente viagère.

126. Ainsi, la validité des clauses d’inaliénabilité passe par le respect de ces deux conditions. Cependant, l’article 900-1 du Code civil ne prévoit pas de sanction en cas de non-respect de ces conditions. La sanction doit être la nullité puisqu’en droit commun la violation des conditions de validité est sanctionnée par la nullité. Cette nullité doit également être absolue dans la mesure où les conditions posées par l’article 900-1 du Code civil visaient à apporter des limites aux atteintes à la libre disposition des biens. Ainsi, la nullité est absolue car ces règles visent la protection de l’intérêt général. Dès lors, toute personne ayant un intérêt, y compris les créanciers de l’entrepreneur individuel gratifié, peut contester la validité des clauses d’inaliénabilité297. D’ailleurs, la jurisprudence

précise qu’il appartient au débiteur qui se prévaut de la validité des clauses d’insaisissabilité d’en apporter la preuve298. Toutefois, le renversement de la charge de la preuve ne profite pas au gratifié

qui a accepté la libéralité. S’il conteste la validité des clauses d’inaliénabilité doit en apporter la preuve299.

127. La doctrine s’est également demandé si le créancier pouvait obtenir une autorisation judiciaire d'aliéner en agissant à la place de son débiteur par le biais d'une action oblique ? La question a été très débattue mais la Cour de cassation, après hésitation300, a fini par refuser cette voie

au créancier en jugeant que l'action ouverte par l'article 900-1, alinéa 1er, in fine du Code civil était

subordonnée à des considérations personnelles d'ordre moral et familial inhérentes à la donation et

295 Cass. 1re civ., 8 déc. 1998, no 96-15.110, Bull. civ. I, no 351, Dr. fam., 1999, comm. 31, obs. B. Beignier ; RTD

civ., 2000, p. 148, obs. J. Patarin.

296 Cass. 1re civ., 10 juill. 1990, no 87-16.773, Bull. civ. I, no 192, JCP N 1991, II, p. 197, note Ph. Salvage ;

Defrénois 1991, art. 34978, p. 272, note F. Lucet ; RTD civ., 1991, p. 141, obs. F. Zénati ; RTD civ., 1991, p. 580, obs. J. Patarin.

297 Cass. 1re civ., 10 juill. 1990, no 87-16.773, Bull. civ. I, no 192, Defrénois 1991, art. 34978, note F. Lucet; RTD

civ. 1991, p. 141, obs. F. Zénati ; RTD civ. 1991, p. 580, obs. J. Patarin.

298 Cass. 1re civ., 15 juin 1994, no 92-12.139, Bull. civ. I, no 211, D. 1995, jur., p. 342, note A. Leborgne; D. 1995, som.,

p. 40, obs. M. Grimaldi ; Defrénois 1995, art. 35967, p. 51, note X. Savatier ; RTD civ. 1995, p. 666, obs. J. Patarin ; RTD civ. 1995, p. 919, obs. F. Zénati.

299 L’art. 900-8, C. civ. précise précisé que le disposant ne pouvait priver le gratifié du droit de contester la validité de la clause d'inaliénabilité sur la base de l'article 900-1 du Code civil car c’est une disposition d’ordre public.

300 Sur l’évolution de la jurisprudence de la C. cass., v. J. Casey, obs. sous Cass. 1re civ., 25 mai 2004, no 02-12.268,

qu'elle faisait donc partie des actions exclusivement attachées à la personne du débiteur visées à l'article 1166 du Code civil301. Il en est de même lorsque le débiteur est soumis à une procédure de

liquidation judiciaire.

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