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c) Le suivi par la PM

Le suivi par la PMI ne peut concevoir que pour des femmes ayant un domicile fixe. A l’extrême limite, il peut être mis en place chez une grand-mère ou dans un foyer où résiderait la mère. Mais la première condition est que la mère ait une adresse relativement stable. De même, si la mère est hébergée en famille d’accueil, elle pourra être suivie par la PMI du domicile de cette famille.

Nous avons vu que, quelquefois, pour un service de maternité, la condition préalable à la sortie de la mère sans signalement judiciaire est qu’elle accepte un suivi d’une puéricultrice à domicile, qui peut constituer une forme d’intrusion dans sa vie privée. Bien que des travaux datant d’une dizaine d’années aient montré que le suivi mis en place était peu effectif (Durning Paul et al., 1993), il semblerait que la pratique du travail en réseau ait permis de renforcer ce type d’accompagnement.

Les puéricultrices rencontrées nous ont affirmé que dans le cas d’une femme toxicomane ou dans une situation préoccupante, le suivi allait être effectif et très rapproché, la puéricultrice se rendant à domicile au moins une fois par semaine au cours des premiers mois. Par ailleurs, d’autres points de rencontre sont proposés à la mère, comme les visites au médecin de PMI ou des groupes d’activités mère-enfant. Un véritable travail est mis en place autour de la mère pour tenter de stabiliser la situation sans avoir à recourir à des mesures de signalement.

Les mères toxicomanes étant souvent bien conscientes des enjeux, car elles courent un risque accru de signalement judiciaire, vont accepter ce type de mesure, d’autant plus que cela leur est présenté comme faisant partie d’une transaction globale :

Complètement, alors tout à fait, on a pas le droit [de leur imposer une visite à domicile], alors on peut expliquer. Alors bien entendu, dans le cadre je dirais des jeunes femmes toxicomanes, qui sont déjà dans une démarche de soin, etc. on leur dit que c’est TRES important, euh, pour la suite des événements et pour le bébé, qu’elles acceptent çà et généralement c’est bien accepté. Parce que çà c’est la condition, pour que, bien évidemment, j’imagine qu’un certain nombre a du disparaître dans la

nature, parce que si elles partent à Marseille ou je sais pas où chez leur sœur, là çà va devenir compliqué. Mais sinon elles l’acceptent je dirais pas trop, trop mal, pas trop, trop mal. Et puis je dirais qu’elles sont, à la limite, euh, un peu paumées et qu’elles sont assez demandeuses là aussi de conseils, d’aide et de soins.

Cadre sage-femme, entretien n° 16.

Certaines femmes ressentent néanmoins cette mesure, qui leur est proposée comme une aide, comme un contrôle à leur encontre, un « flicage » pour reprendre leur expression. Les professionnels en sont bien conscients.

Les puéricultrices à domicile tiennent un dossier de suivi pour chaque situation105, en

notant à chaque visite, l’évolution du bébé, mais également l’état général de la mère, l’ambiance familiale, etc. Un médecin de PMI nous a lu quelques dossiers afin de nous en montrer la teneur. Voici ce qu’a rédigé la puéricultrice, au sujet d’un bébé né le 27 février et sorti le 3 mars de maternité, entrecoupé des réflexions du médecin :

Visite à domicile le 4 mars : Madame et bébé sont absentes depuis le matin. A 18 h elles ne sont pas encore rentrées. Le bébé a subi une journée dehors.

Alors vous voyez çà commençait, hein. En mars, il devait pas faire très chaud.

Le 7 mars : madame laisse faire tout et reste dans son fauteuil, n’a pas bougé du fauteuil tout le temps de la visite. Je fais un soin de l’ombilic, le cordon tombe. Madame a les mains qui tremblent beaucoup et laisse à sa mère le soin de répondre aux questions et de rhabiller N. L’attitude et l’aspect général de Madame sont vraiment assez impressionnants. Madame est très fluette et fragile, sur tous les plans. N. a 8 jours, bébé petite mais très éveillée déjà, regard très adressé,

C’est bien fait, cette puer [puéricultrice] elle est très fine, moi j’en ai une en ce moment qui m’arrache les cheveux…

Visite à domicile le 8 mars : Madame semble plus éveillée, prépare le bain et l’exécute devant moi, N. se laisse faire, prend les choses avec plaisir, bien détendue. Madame se débrouille très bien et communique normalement. Les soins du visage sont OK, le bain donné avec Madame. Portage à soutenir, tendance à ne pas soutenir la tête de son enfant.

Médecin PMI, entretien n° 8.

La puéricultrice verra ensuite la mère et l’enfant une fois par semaine ; des visites à la PMI sont intercalées afin de peser l’enfant. Le 19 mars, une synthèse est faite à l’hôpital. Les visites sont espacées à partir du 9 avril, tous les quinze jours, puis ensuite une fois par mois. Entre-temps, la mère s’est vue proposée de se rendre à des séances de jeux collectifs avec d’autres mères, à la PMI et s’y rend une fois par semaine.

Quelquefois, la situation peut avoir été sous-évaluée et le suivi mis en place par la PMI peut se révéler insuffisant malgré la volonté de l’équipe du service de prendre en charge cette mère toxicomane :

Certaines fois la PMI a un travail très affectif avec les familles et les familles toxico. Enfin, j’ai l’exemple d’une, c’est toujours la même, ils l’ont beaucoup portée, beaucoup encadrée au moment de la naissance du bébé, là, la dernière. Et ce qui fait qu’au bout d’un moment ils n’en pouvaient plus parce qu’ils étaient complètement bouffés par cette mère, qui venait, qui réclamait des couches, le lait, qui venait deux fois par semaine dans le service, euh, elle voulait tout. Et eux ils s’étaient vraiment engagés, la pauvre femme, le pauvre bébé et tout çà et donc, au bout d’un moment ils étaient complètement essoufflés et ils pouvaient plus…

Puéricultrice association, entretien n° 5.

105 Il s’agit d’une expression utilisée dans la plupart des entretiens par nos interlocuteurs à la

D’autres cas de situations mal évaluées nous ont été décrits, souvent l’issue en est finalement un signalement judiciaire et l’incompréhension du juge sur sa saisie tardive.

L’intervention des puéricultrices à domicile constitue un temps d’observation de la situation de la mère ou du contexte familial et peut être poursuivie tout en recourant à un signalement judiciaire quand la situation semble trop problématique pour être laissée en l’état. La recherche d’autres partenaires est privilégiée de façon à « contenir » la mère :

Exactement, tout à fait, j’ai une maman toxicomane que je suis actuellement qui elle est dans le truc compulsif de médicaments en tous genres, calmants, tout ce qu’elle peut, Valium, tout ce qu’elle peut…

[Question : Donc elle est très mal ?]

Oui, elle est très mal. Elle est en dépression. Elle a des ressources, bon elle a été suivie en psychiatrie, elle a été hospitalisée à [autre ville], une jeune femme qui a beaucoup de ressources, mais qui est complètement calfeutrée. Et alors là, on vient de la recevoir pour lui dire qu’on avait fait un signalement au juge et que c’était pour la, pour la protéger. Heureusement là on a un relais des grands-parents et donc elle se rend compte qu’elle peut pas s’occuper de son bébé et les grands-parents sont là. [Question : C'est-à-dire qu’ils vont accepter le placement chez les grands-parents ?] C'est-à-dire, elle est sans domicile fixe, avec un ami sans domicile fixe. Elle retournait chez ses parents de temps en temps et quand elle a accouché, alors elle retournait chez les grands-parents, alors elle logeait chez eux et les grands-parents ont accepté la mère et l’enfant. Donc il y a pas de placement chez les grands-parents puisque depuis le début la situation était possible.

Puéricultrice PMI à domicile, entretien n° 20.

Ce récit montre bien que le « seuil de tolérance » vis-à-vis des situations maternelles est très variable d’un service à l’autre. Dans le cas ci-dessus, il est envisagé de manière assez sereine de suivre une mère et son bébé, présentant à la fois une consommation de produits, une absence de domicile, des problèmes psychiatriques et une pathologie du lien, sans recourir au signalement, alors même que la plupart des équipes nous ont cité chacun de ces critères comme une raison suffisante pour envisager un placement.

Malgré tout, ce suivi à domicile de situations difficiles constitue un défi pour les personnels de la PMI qui vivent avec la crainte permanente de ne pas identifier comme il convient un danger effectif pour le bébé, qui engagerait leur responsabilité professionnelle.

Les situations les plus inconfortables c’est quand on subodore, je dirais, quand on se dit ben peut être bien que, dans quel état ils sont, est-ce que l’enfant, est-ce que ce week-end… ils vont pas prendre trop, est-ce qu’ils continuent leur suivi, est-ce que… et çà, c’est l’état des parents qui est tellement fluctuant, alors une fois on les voit en bon état, on reprend espoir, on se dit c’est bien, on va pouvoir travailler ensemble, çà va aller mieux et puis crac… c’est difficile pour eux.

Puéricultrice PMI à domicile, entretien n° 20.

Cette puéricultrice fait part ici de ses angoisses, mais en même temps ne s’implique pas totalement dans ce propos, car on aurait plutôt attendu une conclusion du type « c’est dur pour moi », alors qu’elle essaye non seulement de faire « avec » mais encore de se mettre à la place des parents. Elle montre ici une empathie vis-à-vis de ces parents en souffrance, alors même que son métier et sa formation la prédisposent plutôt à considérer en premier lieu la sécurité de l’enfant.

Peu des femmes rencontrées nous ont parlé de ce suivi PMI, alors que, de fait, le plus souvent, elles en avaient fait l’objet. Carole, a néanmoins évoqué cette question, en reconnaissant qu’elle a toujours réussi à « se défiler » en mettant la puéricultrice en tort sur l’exactitude de ses rendez-vous :

Tu y es allée spontanément, où c’est à l’hôpital qu’ils t’ont dit d’y aller ? Non, oui, c’est à l’hôpital, hein ! parce qu’ils avaient peur !

[Ils avaient peur ?]

Oui, par rapport à ma fille. Donc en premier, il y a eu une hospitalisation à domicile, parce que comme elle était prémat, il fallait un lait spécial, donc on m’apportait çà une fois par semaine, on la pesait tout çà, tous les jours, moi j’ai encore la peseuse à la maison parce que j’ai oublié de la rendre

[Hum, eh, bon, et puis après, il y a eu une puer de la PMI ?]

Voilà, et puis d’ailleurs là on se voit pas et c’est dommage parce qu’elle était adorable

[Et elle venait beaucoup ?]

Ouais, elle a un fils à peu près de mon âge… Non, on s’est vues qu’une fois et puis on s’est kiffé et tout,

[Ah bon !]

Ouais on a échangé des mots et tatati et tatata et puis les autres jours, elle est arrivée en retard, alors moi je suis ponctuelle,

[Hum]

Bon là j’étais en retard parce que je suis malade, mais normalement je suis hyper ponctuelle

[Mum]

Je supporte pas les retards, gros problèmes psychologiques ! (rires) donc là, quinze minutes, je me suis tirée, et puis après à midi je suis rentrée, elle m’avait laissé un petit mot. Ben je lis, c’est pas grave, je repasse demain matin, dix heures. OK, dix heures, je l’attends, parce qu’il faut qu’elle soit ponctuelle ! Une demi-heure, là je dis, j’attends pas plus (elle tape dans ses mains), je suis repartie. Donc en fait (rires), on s’est pas vues…

Carole, entretien n°39.

Carole, on le voit, retourne la responsabilité sur la puéricultrice du fait qu’elles ne se soient vues qu’une seule fois. Son assistante sociale quant à elle, nous affirmera qu’elle est incapable de respecter un rendez-vous, qu’elle se trompe de jour, etc. Néanmoins, cet évitement ne portera pas à conséquence parce que par ailleurs elle se rend à la consultation de la PMI régulièrement et que le médecin a pu ainsi constater que le bébé grossissait normalement.

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