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a) Le recueil des données

La méthode choisie a visé à obtenir la meilleure diversification possible des professionnels susceptibles de participer au repérage et au signalement des mères consommant des substances illicites. De ce fait, il ne s’agissait pas de constituer une monographie sur un champ ou un acteur en particulier, la protection de l’enfance, les services de maternité, les centres de soins spécialisés aux toxicomanes, etc. mais de toujours privilégier la pluralité des approches et la diversification des interlocuteurs. Nos interlocuteurs n’ont pas été choisis à proprement parler. A partir de deux personnes ressources, un professeur de pédiatrie et un médecin de PMI, nous avons réalisé des entretiens exploratoires, leur permettant de situer leurs différents partenaires privilégiés dans le contexte d’une situation de signalement d’une femme toxicomane. Nous avons ensuite contacté la totalité des institutions ou personnes citées. Il en a été de même pour chacun des acteurs rencontrés ensuite, jusqu’à saturation de l’information, c’est-à-dire lorsque aucune nouvelle personne ou institution n’était désignée comme un partenaire ou une ressource (à titre personnel ou comme représentant d’une institution). Ce système de « boule de neige » a ainsi permis de découvrir des acteurs, en particulier associatifs, dont l’implication dans cette problématique n’aurait pu être soupçonnée par la constitution d’un échantillon extérieur. De ce fait, toutes les personnes interrogées connaissent au moins une des personnes interviewées avant elles. Ce réseau est résumé sur le graphique n°1. Le travail de terrain a été mené de mai 2003 à novembre 2004. Les liens entre les personnes qui apparaissent ici (flèches) correspondent à l’ordre dans lequel ont été effectués nos entretiens et non pas au fait que les personnes se connaissent personnellement : tout à la fois, il manquerait des flèches (d’autres personnes ont pu ensuite nous citer un interlocuteur déjà identifié), mais également il y en aurait en trop, car un médecin peut citer l’Aide sociale à l’enfance de manière générale, sans connaître le nom d’une seule personne en particulier. Un tableau en annexe reprend les caractéristiques des personnes rencontrées dans l’ordre chronologique. Les numéros des entretiens sont indiqués sur la figure 6. Un seul entretien avec deux personnes n’a pas été enregistré, un entretien a concerné trois personnes. Une assistante sociale et un médecin ont été enregistrés deux fois.

Les entretiens ont été menés avec des professionnels très divers, juges, médecins, assistantes sociales, psychologues, puéricultrices etc. Le choix s’est donc porté sur des entretiens non directifs sous forme de récits de pratiques plutôt que sur l’élaboration de grilles distinctes selon les catégories de professionnels. Les rencontres débutaient toujours par une première présentation de mes travaux précédents (sur grossesse et substitution) et de l’émergence de mon intérêt pour la question du placement des enfants. Je formulai ensuite la consigne de la manière suivante : « Je cherche à

comprendre les spécificités des signalements des mères toxicomanes et les raisons du placement de leurs enfants. Pouvez-vous m’en parler d’après votre expérience ? ». De ce fait, les professionnels étaient amenés à orienter leurs propos

dans deux directions : comment ils concevaient la question des mères toxicomanes et quelle était sa spécificité par rapport à d’autres situations à risque et à « raconter » des cas auxquels ils avaient été confrontés pour illustrer leurs propos. Certains d’ailleurs ont totalement construit leur réponse en sortant d’emblée quelques dossiers et en argumentant à partir d’exemples de prises en charge.

Cette méthode s’est révélée efficace, y compris pour rencontrer quelques mères toxicomanes ayant fait l’objet de mesures de signalement ou de placement de leurs enfants, qui ont accepté de nous rencontrer sur notre sollicitation ou après que la personne nous les ayant citées ait accepté de faire le lien (le plus souvent une assistante sociale).

—Les professionnels

La plupart du temps, nous nous sommes limités à un ou deux professionnels par organisme cité, quand la personne de référence faisait état d’un lien avec une institution. Par exemple, lorsqu’une assistante sociale nous indiquait avoir des liens privilégiés avec une association d’accueil temporaire des enfants, nous avons en général rencontré le directeur de cette association et éventuellement une puéricultrice ou une assistante sociale qui y travaille et qui est directement en contact avec la « clientèle ». Par contre, pour certaines institutions importantes, comme l’Aide sociale à l’enfance, plusieurs entretiens ont été réalisés avec des cadres et des travailleurs sociaux, afin de diversifier les points de vue. Cette méthode nous a amené à réaliser 35 entretiens avec des professionnels. Certains ont été rencontrés à plusieurs reprises ce qui a quelquefois donné lieu à d’autres entretiens enregistrés (2), d’autres fois à des conversations plus informelles, dont la teneur a été consignée dans un journal de bord. De même, certaines observations ont été possibles dans des lieux recevant du public.

Les professionnels interrogés ont le plus souvent illustré leur propos par des récits de « cas » qu’ils avaient été amenés à traiter ou dont ils avaient eu connaissance. Ils illustraient ainsi leur approche transversale des personnes concernées, par un découpage en séquences de travail ou de suivi, quelquefois courtes comme en maternité où le séjour peut ne durer que trois ou quatre jours, parfois longues sur une dizaine d’années.

—Les femmes

Pour dépasser cette forme de « saucissonnage » des cas individuels présentés, il nous a semblé indispensable de les confronter à des récits de vie de femmes qui ont vécu ces situations et qui donnent par leur récit biographique une dimension longitudinale à ces différentes séquences. Elles seules ont vécu l’emboîtement de ces séquences et peuvent les resituer dans une vue d’ensemble. Bien souvent, les professionnels nous ont fait part de leur sentiment que ces femmes ne racontaient pas la même histoire aux différents partenaires, ce dont ils avaient l’occasion de se rendre compte justement lors des réunions pluridisciplinaires nécessaires au signalement. D’ailleurs, les toxicomanes en règle générale ont la réputation de « raconter n’importe quoi » ou du moins de n’avoir pas une parole fiable et de changer d’histoire à chaque rencontre, selon leur intérêt. Certaines femmes seraient ainsi susceptibles de construire autant de récits qu’elles rencontrent d’intervenants, quelques unes pour des raisons de santé mentale38.

38 - Martine que j’ai rencontrée à de nombreuses reprises ne me reconnaissait jamais, pensant

que j’étais avocate et me racontait immédiatement une histoire très compliquée repartant de son enfance pour conclure sur le fait qu’il fallait que je lui donne un conseil. Les variantes construites au fur et à mesure de nos rencontres étaient impressionnantes mais inutilisables dans le cadre de notre recherche.

De plus, le récit que j’ai pu recueillir est sans doute encore différent tenant à ma position spécifique de chercheur, identifiée comme non soignante à défaut de toujours bien comprendre l’objet de mon travail. Certaines de ces femmes ont manifesté un réel plaisir d’être écoutées par quelqu’un qui n’a pas un but social comme l’assistante sociale ou thérapeutique comme un médecin. Une était plus réservée, ayant accepté l’entretien pour faire plaisir au personnel et gardant une distance beaucoup plus importante.

S’agissant de femmes toxicomanes ou qui avaient été désignées comme telles39 au

moment de la mesure visant leurs enfants, il nous semblait préférable de les approcher par l’intermédiaire des maternités plutôt que par celui des centres de soins spécialisés, compte tenu du biais que le recrutement de ces centres induit, bien que comme l’a montré Robert Castel (1994), les toxicomanes rencontrés hors institution à un moment donné de leur trajectoire ont dans l’immense majorité connu ces mêmes institutions (sanitaires ou judiciaires) à un autre moment de leur parcours. Malheureusement, il est très rare que les assistantes sociales des maternités gardent le contact avec les femmes après leur sortie et seules deux femmes ont pu être rencontrées de cette façon. Toutes deux ont immédiatement accepté de participer à ce travail car elles avaient noué des relations très étroites avec l’assistante sociale et avaient pleinement confiance en elle. L’une d’entre elles m’a reçue à son domicile, ce qui à la fois la sécurisait et lui semblait plus pratique car elle avait un nourrisson. Pour la seconde, l’entretien s’est déroulé dans le cadre d’une hospitalisation de jour ; en effet, elle avait à passer de très longues heures à l’hôpital pour ses soins et ses consultations regroupés sur une journée et l’entretien a été réalisé dans sa chambre. Un premier centre de soins a été contacté pour servir d’intermédiaire auprès de quatre femmes qui ont accepté des entretiens, mais n’ont pu malheureusement être finalement rencontrées. La première qui avait accepté le principe d’un rendez-vous à son domicile était absente. De nombreux contacts téléphoniques ultérieurs de relance n’ont pas permis de joindre les autres.

Finalement, les femmes ont été essentiellement rencontrées par l’intermédiaire d’un autre centre de soins spécialisés. Après plusieurs rencontres avec les médecins et une réunion avec l’équipe, le protocole suivant a été défini. Pendant une certaine durée, je serai présente une demi-journée ou une journée régulière, afin que les thérapeutes donnent des rendez-vous à des femmes concernées par cette problématique du placement ou des mesures en milieu ouvert et leur présentent la possibilité d’un entretien avec moi. En cas d’accord de la femme, je serai ainsi immédiatement disponible. L’idée était de minimiser le risque de multiples déplacements en vain. Je devais par ailleurs également interroger les membres de l’équipe. En pratique, je me suis rendue toutes les semaines le même jour dans ce centre de soins pendant quatre mois, ce qui a permis que les femmes présentes de manière régulière ce jour-là m’identifient (c’est souvent leur principal lieu de sociabilité, elles sont très curieuses et s’informent immédiatement de toute nouvelle présence « et toi tu es qui ?) et prennent l’habitude de me parler.

Au total, mes notes de terrain dans ce centre me permettent de disposer de 14 récits biographiques de femmes, organisés à partir d’éléments recueillis au fil des rencontres (de 2 à 6), complétés par 5 enregistrements, soit une vingtaine de femmes rencontrées. La retranscription des notes de terrain de façon ordonnée dans un

39 Désignées par l’un des acteurs institutionnels, car souvent ces femmes réfutent cet étiquetage,

tableau informatisé m’a permis de regrouper facilement tous les éléments se rapportant à une même personne. Dans la mesure du possible, pour chacune des femmes concernées, l’avis d’au moins un des intervenants ayant eu à la prendre en charge a été recueilli, afin de croiser les récits. Une relecture attentive du mémoire de DEA de Sandrine Aubisson (2002b) que j’ai codirigé m’a permis de déceler (sur des anecdotes ou des descriptions détaillées) que je connaissais deux des femmes qu’elle avait interviewées en 2001. J’ai rencontré à de multiples reprises Sandra dans la salle d’attente, mais son mode de passage au CSST, dans l’urgence, n’a pas permis de mener à bien un entretien enregistré. Pour Zohra, au contraire, non seulement je l’ai rencontrée plusieurs fois mais j’ai également pu l’interviewer longuement. Sandrine Aubisson ayant accepté de me confier ses retranscriptions, je dispose de deux enregistrements de Zohra, fin 2001 et en avril 2004 et d’un de Sandra début 2002. Tous les entretiens ont été entièrement retranscrits par nos soins40, y compris afin de

pouvoir y revenir au fil des mois et de l’avancement de la rédaction. Les extraits qui sont utilisés dans le corps du texte sont restitués tels quels, dans leur forme orale originelle, non édulcorée, non pour souligner les défauts de langage de nos interlocuteurs, mais pour tenter de rendre compte de la façon dont ils se sont exprimés et de l’ambiance de notre dialogue. Une difficulté surgit néanmoins lorsqu’il s’agit de préserver l’anonymat de nos interlocuteurs, compte tenu du contexte et de situations rares. Le changement des prénoms des femmes concernées était un préalable.

—Les dossiers

Huit dossiers judiciaires en cours ont pu être examinés. Des notes ont été prises sur le déroulement chronologique des événements et des mesures. Certains extraits de lettres, de rapports ont été dictés sur magnétophone afin de disposer des propos exacts des personnes sans recourir à la photocopie (délicate à demander sur des dossiers en cours). L’un des dossiers était très mince et ne s’étalait que sur quelques mois. Les autres permettaient un suivi de la situation sur des durées variant de trois à dix ans41. Les dossiers examinés ne sont pas terminés (troncature à droite). Le juge

nous a fait un commentaire de chacune des situations, sur la façon dont il les a interprétées et traitées. J’ai pu ensuite l’interroger sur des points de détail ou la raison de telle ou telle mesure.

D’autres dossiers ont également été examinés ou décrits par nos interlocuteurs, mais généralement en très petit nombre, lors d’une visite à un professionnel, comme un médecin de PMI qui nous a lu trois dossiers et nous a donné la photocopie d’un quatrième, une assistante sociale qui nous a lu le contenu de deux de ses dossiers. L’analyse de tous les éléments recueillis, entretiens, notes de terrain, extraits de dossiers a été menée de manière thématique, en cherchant à croiser les points de vue ou les exemples sur chaque thème abordé, sans séparer les lieux, les professionnels ou les histoires. L’approche est de ce fait davantage centrée sur les relations entre les acteurs que sur des approfondissements monographiques autour des institutions.

40 - Un tableau en annexe présente les entretiens dans leur ordre chronologique, avec les

principales caractéristiques des personnes interrogées, le lieu de l’enregistrement et la durée de celui-ci, le plus souvent inférieure à la durée totale de l’entrevue.

PARTIE II : LES REPRESENTATIONS DES

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