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e) Le placement « clandestin »

Outre ces formes légales de placements, judiciaire par l’intermédiaire d’un juge, ou administratif par l’ASE, une autre forme peut être identifiée, hors de tout contrôle

extérieur. Ainsi, de gré à gré, ou sous la contrainte des événements, mais quelques fois par des conflits extrêmes, un accueil de fait est organisé chez un autre membre de la famille que la mère. Ce placement peut également exister lorsque la mère a laissé l’enfant dans sa famille ou celle du père, et a disparu, sans que rien ne vienne légalement organiser cette situation. Ce type de placement se situe dans les ressources des solidarités familiales.

La garde des enfants fait partie des services les plus courants rendus par les grands- parents, même dans les nouvelles générations de grands-parents occupés professionnellement73 et leur garde « complète » n’est pas rare. La grand-mère se

substitue alors « naturellement » à la mère défaillante. Nous reviendrons ultérieurement sur la difficulté engendrée par certaines situations confuses où éventuellement plus personne n’occupe sa place légitime dans la famille (la grand- mère devenant la mère, les oncles deviennent des grands frères, etc.).

La résolution du Conseil de l’Europe sur le placement des enfants tout à la fois encourage le recours à la famille, souvent considérée comme « La meilleure forme de

placement temporaire » mais y met des conditions de contrôle et d’encadrement :

« prévoir une stricte surveillance des placements familiaux et les soumettre,

notamment s’ils sont organisés à titre privé, à une procédure de notification et d’encadrement ». De même, elle précise que le placement familial non réglé par une

institution doit être découragé, voire supprimé. Ainsi dans certaines affaires où le juge est saisi plus tardivement, le constat d’un placement de gré à gré ou de fait dans la famille élargie peut être établi. Généralement, une enquête sociale permet d’examiner la situation qui n’est pas toujours propice au bon développement de l’enfant :

Donc, voilà, donc au départ elle est hébergée à l’hôtel pour un problème de toxicomanie. Alors en réalité elle a confié sa fille à ses parents, voilà. Mais alors ce qui se passe, c’est que je m’aperçois que, en réalité, cette solution n’est pas satisfaisante pour l’enfant. Alors je m’explique, j’ai une décision, je peux vous dicter quelques, donc je marque que « le père est soumis à la toxicomanie de sa fille Y., que cette mineure est actuellement gardée donc de manière informelle par ses grands- parents maternels. Que ces derniers qui entretiennent d’ores et déjà avec leur fille des relations problématiques sont eux-mêmes confrontés à de graves difficultés de couple devant aboutir prochainement à une séparation », donc c’est un peu le cirque, hein ! « Que cet accueil qui pouvait se concevoir à titre provisoire n’est pas compatible avec l’épanouissement de cette mineure ». Donc je la mets à l’Aide sociale à l’enfance. Et là, ce qui va se passer est assez intéressant, c’est que la demoiselle, elle, je crois qu’elle va faire une rechute, et euh, donc sa toxicomanie, le problème n’est pas réglé et ce qui va se passer, donc là on est, donc l’enfant pour l’instant est à [association] mais dans le cadre de l’Aide sociale à l’enfance.

Juge des Enfants, entretien n° 18.

Ainsi, les placements de gré à gré, peuvent s’inscrire dans « l’enfer des solidarités », en paralysant l’action du receveur de cette aide, comme le notent ces auteurs : « Les

excès de l’aide emprisonnent et assujettissent à la fois le pourvoyeur et le dépendant. La solidarité se complique d’une ambivalence d’autant plus forte que l’aide fournie est importante car la dépendance qu’elle suppose, ou engendre, est en contradiction

73 - Une enquête quantitative auprès de familles à trois générations montre ainsi « l’importance

étonnante de la garde des petits-enfants pratiquée par la nouvelle génération de grands-parents, celle des baby-boomers : 85 % des grands-mères et 75 % des grands-pères (dépassant en fréquence de garde les deux générations précédentes) fournissent ce service à leurs enfants de façon occasionnelle ou pendant les vacances. Une forte minorité s’y inscrit davantage en assurant une garde hebdomadaire (38 % des femmes et 26 % des hommes) » (Attias-Donfut Claudine et al., 2002) , p. 110.

avec l’exigence d’autonomie, qui prescrit aux adultes d’être capables « de se débrouiller seuls », norme prégnante dans les relations entre générations » (Attias-

Donfut Claudine et al., 2002), p. 116.

Dans la situation décrite par ce juge, la garde de l’enfant est revendiquée par la grand-mère mais en servant ses intérêts par rapport aux conflits dans le couple et en lui permettant de conforter son emprise sur sa fille. Le juge va donc placer l’enfant à l’extérieur de la famille et ainsi permettre à sa mère de prendre son autonomie, ce qui lui permettra de se libérer également de la drogue (cf. infra). Ces placements privés ne sont d’ailleurs bien souvent connus que lors d’une difficulté. Par exemple, si la mère ne parvient plus à voir l’enfant et qu’elle saisit la Justice (voir en quatrième partie) ou si l’école refuse que la grand-mère scolarise l’enfant alors qu’elle n’en a pas la garde. C’est ce que reconnaît avec humour ce juge des enfants :

Vous savez c’est un grand..., mais bon çà marche un peu pour tous les placements. Je sais pas si c’est un mythe, moi je dirais le mythe du lieu neutre, vous voyez, on a pu entendre çà, placer un enfant c’est mieux, il est en institution, de le placer dans des services parce que euh, la famille, peut encore créer des complications, les services allant jusqu’à dire aux parents pour vous ce sera plus facile de le récupérer, ce mot magnifique, s’il est placé en institution, s’il est confié à l’Aide sociale à l’enfance, que si il est dans votre famille et bien ils vous le rendront jamais, vous arriverez jamais. Voilà il y a tout çà, bon ben tout çà, bon çà, çà dépasse le cadre de votre intervention, mais c’est intéressant, mais c’est sur le placement et tout ce mythe qu’il peut y avoir et puis quel est le meilleur placement. Alors c’est vrai qu’on a tous un peu nos projections, moi je pense qu’il faut pas avoir d’a priori, qu’il faut tout examiner au départ, c’est vrai aussi, mais remarquez, nous on voit que les dossiers qui tournent mal, (rires), on voit pas les autres !

Juge des enfants, entretien n° 28.

Ces conflits familiaux sont quelquefois réglés par la Justice, quand l’une des parties (en général la mère évincée) n’en est pas, ou plus, satisfaite. Ce point sera détaillé à propos des conditions du placement dans la quatrième partie.

Une situation extrême inverse est décrite pour les Etats-Unis. De plus en plus de jeunes parents se déchargent totalement de leurs enfants sur les grands-parents, inversant le problème et « profitant » à l’extrême de l’aide familiale, en refusant de prendre leur autonomie. De fait, que ce soit lié à la drogue, au sida, aux maternités précoces ou à d’autres formes de marginalité, les jeunes adultes se déchargent complètement sur leurs parents. Cette situation est encore peu décrite pour la France, mais comme le notent Claudine Attias-Donfut et al. (2002) : « Le récent film de

Guédiguian, La ville est tranquille, met en scène une situation extrême de cet ordre. La jeune grand-mère travaille la nuit dans une poissonnerie du port de Marseille et prend soin pendant la journée du bébé de sa fille, une adolescente toxicomane qui se prostitue pour payer sa drogue. Le déroulement de l’intrigue suit l’escalade des besoins et l’engrenage des dépendances… » p. 117.

Ces placements de fait dans la famille élargie participent d’un devoir, issu de normes familiales (Attias-Donfut Claudine et al., 2002) qui s’imposent aux grands-parents, oncles et tantes, indépendamment des relations familiales par ailleurs entretenues avec les parents. Ainsi, dans les situations décrites par les femmes rencontrées, souvent la toxicomanie et le mode de vie qui en découle ont été l’objet de conflits familiaux importants, entraînant le rejet de l’élément perturbateur. Néanmoins, dans

de nombreux cas, malgré ces différends, le devoir imposera que les enfants ne soient pas élevés en dehors du cercle familial.

Aux Etats-Unis, l’ampleur du phénomène est particulière (7 % des foyers se composent des grands-parents et d’un mineur) du fait de l’accroissement des divorces, mais aussi des grossesses chez les adolescentes, de la propagation du sida et de l’augmentation du nombre de femmes incarcérées (Raves Victoria et Burnette Denise, 2001). La propagation de l’usage de drogues, en particulier du crack chez les femmes en âge de procréer, a entraîné une sollicitation accrue des grands-mères : « L’abus de ces substances dangereuses joue un rôle dans plus de 80 % des cas où les

foyers sont entretenus par les grands-parents » (ibid, p. 210).

B- Les mesures en milieu ouvert 

La loi stipule que dans la mesure du possible l’enfant doit être maintenu dans son milieu d’origine (article 375 du Code civil). La garde de l’enfant par sa mère est alors étayée ou accompagnée par un suivi, qui assure en même temps la poursuite de l’évaluation de la situation et plus particulièrement du lien mère-enfant. C’est donc à la fois une aide pour la mère et une surveillance, rassurante pour les professionnels. Les actions de soutien en milieu ouvert sont également développées dans la communauté française de Belgique (AMO) ou en Allemagne sous la forme d’un plan d’aide (ATD QUART MONDE, 2003).

En France, elles restent relativement sous-utilisées, ce que relève la plupart des rapports nationaux. Dans le cas précis de la toxicomanie, il semble que jusqu’à ces dernières années, ce ne soit pas des mesures auxquelles les professionnels pensent spontanément lorsqu’il s’agit d’une femme toxicomane. En effet, la proposition d’une aide en milieu ouvert suppose à la fois que la femme ait un domicile stable et qu’une équipe spécialisée (CSST) la prenne déjà en charge.

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