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d) Le rôle de la pauvreté ou de la précarité

L’attention portée par les services sociaux aux femmes en situation sociale précaire est évidente dans toutes les études publiées. Une raison fort simple en est qu’elles constituent « naturellement » les populations cibles de l’action des travailleurs sociaux : chômeurs, familles nombreuses, mal logés, adultes handicapés, etc.

On sait aujourd’hui, quelques recherches commencent à le révéler, que la consommation des stupéfiants touche toutes les catégories de la population102, mais

que certaines sont « invisibles » parce qu’elles n’ont pas été repérées par les institutions. Ce sont les populations « cachées », celles qui ne fréquentent pas les centres de soins destinés aux toxicomanes, ni les urgences hospitalières, qui n’ont jamais été interpellées par les services policiers et qui n’ont pas de casier judiciaire. Ces personnes ont une bonne gestion de leur consommation de drogue, même si celle-ci est importante ou qu’il s’agit de drogues « dures » et donc ne font pas partie de la catégorie identifiée comme consommateurs problématiques.

Ce constat est, de la même façon, rapporté au Canada : « Il semble plutôt que l’attention des services médicaux et de protection de l’enfance se soit portée sur les femmes et les enfants vivant dans un contexte de pauvreté, ce qui a eu pour conséquence de rendre moins visibles les problèmes maternels d’abus de substances psychoactives chez les femmes de classes moyennes et plus favorisées » (Guyon Louise et al., 1998).

Pour les femmes toxicomanes enceintes ou avec enfants, cette remarque est également vraie. Si les femmes de milieu aisé se font repérer par les professionnels de la maternité lors des accouchements, en grande partie parce qu’elles sont « dénoncées » par le bébé, du fait de son syndrome de manque, l’attitude à leur égard va différer, ce qui les préservera du signalement. En effet, même un simple signalement de la maternité vers la PMI pourra être évité sous prétexte que la clientèle habituelle de la PMI est plutôt d’origine modeste, qu’il s’agit d’un service gratuit, prioritairement destiné aux femmes défavorisées et qu’une patiente aisée ne saurait faire suivre son enfant dans un tel lieu. De même que la mère est « invisible » au regard du travailleur social, l’enfant suivi par un pédiatre en ville, ne sera jamais aperçu de la PMI. D’autant plus que va intervenir la résilience qui va permettre que les séquelles les moins graves disparaissent purement et simplement pour les enfants favorisés, le cas le plus flagrant étant celui de l’alcool (cf. infra en quatrième partie). De fait, tous les dossiers judiciaires examinés se situent dans un contexte de pauvreté voire de précarité extrême. Les récits de vie auprès des femmes le révèlent également. Sandra, suivie actuellement par un centre de soins spécialisé, n’a jamais été identifiée comme « à problèmes » par les services sociaux au moment de son accouchement, car elle avait un emploi (de niveau cadre), un conjoint, un domicile et que le bébé n’a pas manifesté de signes de manque. Elle reconnaissait néanmoins ses difficultés « tu

sais la drogue passe avant tout, même avant le bébé ». Sandra avait été interviewée

deux ans auparavant par Sandrine Aubisson. Il ressort de ses propos qu’elle avait un appartement dont le loyer s’élevait à l’époque à 15 000 francs et aucun problème autre que son usage d’héroïne qu’elle avait réussi à arrêter pendant la durée de sa grossesse.

Nous avons particulièrement insisté sur ce point auprès des professionnels, une femme toxicomane d’une classe moyenne est-elle moins dangereuse pour son enfant ? La réponse est quasiment toujours positive, les arguments donnés étant que le chômage, l’isolement social, la famille distanciée, sont des facteurs aggravants lorsque l’on examine le contexte dans lequel vit la mère. De ce fait d’ailleurs, les femmes des classes moyennes ou aisées sont « invisibles » pour les travailleurs

102 Après une polarisation des recherches sur les toxicomanes de rue et la clientèle des centres de soins

spécialisés, l’usage de drogues dures dans des populations intégrées constitue un sujet de recherche en pleine émergence. C’est le cas dans le monde du travail et dans des sous-populations comme les étudiants.

sociaux en dehors du contexte de leur maternité, elles ne sont ni assistées, ni dépendantes de l’aide sociale.

Les femmes rencontrées sont plutôt en rupture au sens qu’en donne Serge Paugam (1991, p. 10) : « Ceux qui font l’expérience de la rupture connaissent un cumul de handicaps (éloignement du marché de l’emploi, problèmes de santé, absence de logement, perte des contacts avec la famille, etc.). Il s’agit de la phase ultime du processus, le produit d’une accumulation d’échecs qui conduit à une forte marginalisation. N’ayant plus aucun espoir de s’en sortir véritablement, ces personnes ont le sentiment qu’elles sont inutiles à la société. Elles ont perdu le sens de leur vie. Elles recherchent alors souvent dans l’ivresse la compensation à leurs malheurs ou défaites. Les travailleurs sociaux qui tentent de les réinsérer soulignent que le problème majeur qu’ils rencontrent est celui de l’alcool ou de la drogue ». Dans le cas qui nous intéresse, ce même cumul de handicaps est présent, l’ordre des séquences étant éventuellement inversé, la drogue précédant la perte de l’emploi et du logement, mais se trouvant souvent suivie par l’alcoolisme.

La dépendance de l’aide publique qui s’instaure ici, chez une femme jeune et susceptible de travailler peut être mal perçue tant par l’opinion publique que par les travailleurs sociaux. En effet, comme le montrent Luck et al. (2004), pour les Etats- Unis, 50 % des Américains pensent que les bénéficiaires des aides sociales pourraient s’en passer, donc que c’est l’aide qui empêche l’autonomie et conduit à la dépendance économique. Depuis les années 1960, le nombre des mères célibataires assistées a fortement augmenté du fait de la dégradation du marché du travail. Ces femmes non qualifiées n’auraient pas les moyens d’élever leurs enfants avec les seuls revenus de leur emploi (sous qualifiés, à temps partiel) et y renoncent. Celles qui consomment des drogues se ressentent de ce fait doublement dépendantes, du produit et de l’aide sociale et souvent menacées par les travailleurs sociaux de ne plus bénéficier de certaines formes d’assistance si elles ne renoncent pas à la drogue (Luck Philip A. et

al., 2004).

D- Rechercher des alternatives ou des relais 

L’évolution des vingt et surtout dix dernières années a entraîné les professionnels à ne plus envisager la séparation des enfants et de leurs parents comme étant la meilleure ou l’unique solution. La loi a aussi évolué dans ce sens par la reconnaissance des droits de l’enfant, nous l’avons vu en première partie.

Parce que les problématiques sociales évoluent aussi, beaucoup, énormément. Et il y a 20 ans on ne répondait pas de la même façon à une famille qui est en difficulté éducative que maintenant. Maintenant, on essaye de maintenir l’enfant le plus possible au domicile et de travailler les difficultés éducatives à partir du domicile. Parce que la séparation c’est pas une fin en soi, enfin, c’est pas une réponse.

Cadre socio-éducatif, entretien n° 15.

Quelles peuvent être ces alternatives au signalement puis au placement ? Elles vont en grande partie dépendre du type de difficultés rencontrées par la mère, alors que le placement était plus considéré dans la période précédente comme le remède universel à toutes les difficultés éducatives. Ainsi, certaines structures comme les centres mères-enfants ou les unités mère bébé (UMB, pour la psychiatrie) vont

pouvoir proposer une prise en charge conjointe de la mère et de son enfant. Quand ils sont maintenus au domicile familial, une hospitalisation à domicile, l’aide d’une travailleuse familiale ou un suivi de la PMI pourront apporter un soutien, afin d’éviter la séparation. Des mesures peu spécifiques peuvent compléter cet étayage, comme l’obtention d’une place en crèche ou le relais par des associations qui assurent des haltes garderies. Pour les difficultés matérielles, comme l’incapacité à gérer le budget familial, une tutelle pourra être proposée. Les alternatives décrites dans ce chapitre sont donc, pour la plupart, mises en œuvre avant le recours à des mesures d’assistance éducative proprement dites, que nous avons évoquées au chapitre précédent, comme l’action éducative en milieu ouvert ou le placement.

Cet « inventaire » des ressources citées par nos interlocuteurs montre ainsi que le constat négatif établi par la mission Naves-Cathala sur les alternatives demande à être nuancé. Le rapport relevait en effet deux écueils aux alternatives proposées aujourd’hui en France :

¾ Que le choix se fait davantage en fonction de l’offre existante que des besoins correctement évalués de l’enfant et de sa famille ;

¾ Qu’il y a peu de souplesse : le choix est souvent l’AEMO ou le placement, en dehors de tout autre montage.

Le premier point est incontestable, sans doute en l’absence d’un guide des ressources adapté à chacune des problématiques rencontrées sur le terrain (femmes toxicomanes, en situation irrégulière, sans domicile fixe, etc.), chacun de nos interlocuteurs ne connaît que quelques structures autour de lui et travaille à partir d’un carnet personnel plutôt qu’à partir des problèmes de la personne.

Néanmoins, dans le détail des prestations proposées, l’éventail relevé dans le cadre de cette recherche montre plutôt une forte diversification, voire le détournement de certaines prestations non spécifiques au profit des populations concernées, afin tout à la fois d’établir une vigilance et de ne pas stigmatiser la mère et l’enfant.

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