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b) La perturbation des services

La femme toxicomane est souvent vécue comme extrêmement perturbatrice des services de maternité, qui, dans ces conditions, seraient peu susceptibles de la tolérer. En réalité, l’image de la femme désagréable, qui casse tout, qui s’énerve, etc. est celle de la toxicomane en état de manque. De fait, la femme qui parvient à se procurer de la drogue pendant son séjour en maternité et qui donc est effectivement droguée, laisse une image plus positive car elle semble se comporter « normalement ».

Dans une thèse de médecine consacrée à la substitution par méthadone pendant la grossesse, est retranscrite une interview d’un médecin de Marmottan expliquant ce cercle vicieux : «Il y a un décalage entre la période du sevrage et l’état habituel. De

façon caricaturale, le syndrome de manque ressemble à une crise de colique néphrétique associée à une déprime assez profonde, mais c’est un état temporaire qui dure quelques jours. Malheureusement, la femme sera jugée sur cette période, comme potentiellement dangereuse avec toutes les conséquences que cela peut avoir » (Le Blond-Vaudour Gwenaële, 1997).

Ce décalage explique le « miracle » de la substitution, puisqu’elle permet de supprimer le manque et par conséquent les dérapages qui lui sont liés. La question du manque se pose toujours de manière aiguë mais elle concerne alors le bébé, qui doit être entouré de soins particuliers.

Le besoin de prendre le produit a plusieurs implications pour la femme au moment de son séjour à la maternité. Souvent par anticipation du manque à venir, la femme aura tendance à augmenter la dose prise avant l’arrivée en maternité, surtout parce qu’elle est angoissée et souvent peu tolérante à la douleur63, ce qui présente un risque

pour l’enfant.

63 - Son état « habituel » est d’être sous anesthésie de la drogue. Dans le doute sur les produits qu’elle a

pu prendre, pendant longtemps les anesthésistes ne prenaient pas le risque d’une anesthésie ni même d’une péridurale, donc ne soulageaient pas leur douleur. Deux conséquences en découlaient, des accouchements dans des conditions dramatiques (hurlements, etc.) qui perturbaient les services et une incitation pour les femmes à prendre une très forte dose d’un cocktail de tout ce qu’elles avaient de disponible avant de se présenter à la maternité, par anticipation.

Dans les cas extrêmes, la femme peut se faire approvisionner en drogue à la maternité, voire mettre en scène sa consommation. Voici le cas de Sophie, raconté par la psychiatre du centre de soins qui la suit aujourd’hui.

Donc arrivée, euh, enfin vraiment, moi j’ai des images, j’ai construit des images vraiment très théâtrales, Sophie s’est shootée à l’héroïne pendant l’accouchement, en salle de travail, donc, mettant en scène donc, çà, devant le personnel soignant ! Hum

Que [médecin] rapportait que le personnel, les soignants avaient tellement peur d’elle, que même les femmes qui lui portaient ses repas, posaient le plateau-repas devant la porte de la chambre, c’est-à-dire n’entraient plus dans la chambre… Et elle était vraiment décrite et vécue comme un animal sauvage…

Psychiatre, CSST, entretien n° 37.

Cette situation s’est présentée il y a seulement trois ou quatre ans et non dans un passé plus lointain, certains interlocuteurs tendant à laisser supposer que ce genre de problèmes n’arrive plus. La substitution n’est pas la panacée et des femmes toxicomanes continuent d’arriver aux urgences de la maternité « en catastrophe », souvent après le début du travail et sans qu’aucun suivi n’ait pu être mis en place. Un centre hospitalier dans Paris a été particulièrement décrit comme à même de toujours connaître de telles situations, du fait de son « recrutement » particulier parmi les prostituées.

La femme en manque risque également de faire des fugues, pendant son séjour à la maternité, afin de se procurer le produit. Ce comportement est le plus mal vécu par les équipes qui l’associent à un abandon de l’enfant, ce qui peut effectivement se produire (cf. infra).

La dernière alternative pour la mère est de se faire approvisionner à la maternité, donc de continuer sa consommation, de façon à donner l’apparence d’un comportement normal : elle ne fugue pas et n’est pas en manque. Interrogée sur la poursuite de sa consommation à la maternité, Christine nous répondra très gentiment « oh oui », pour indiquer ensuite que des « amis, si on peut appeler çà

ainsi » passaient pour lui fournir son produit.

Dans l’enquête de M. T. Fedi (1994, p. 42), un obstétricien indique de la même manière, au sujet des femmes toxicomanes, que « C’est difficile parce qu’elles sont paumées, elles sont en manque, parce qu’il y a des dealers qui passent et que c’est le foutoir dans le service ». Des exemples de ce type ont bien évidemment marqué la mémoire de tous les services, comme nous l’a aussi souligné une sage-femme :

Parce que la prise en charge de ces femmes-là pour l’équipe est extrêmement difficile hein, il y a la femme, bon qui est pas toujours facile, et puis surtout il y a l’entourage, donc là on s’est retrouvés de temps en temps confrontés avec des menaces de dealers, on a eu une chambre barbouillée de mercurochrome, enfin bon, non, non on a… Il y a des fois où on dit terminé, on n’en veut plus, hein !

Sage-femme, CHU, entretien n° 11.

Les cas qui sont ainsi cités paraissent toujours extrêmes ou anecdotiques, mais ils sont au cœur du vécu de ces professionnels et ont pour conséquence d’entretenir des images négatives vis-à-vis de ces femmes. De même, lorsqu’un accident se produit, la mort d’un enfant, son abandon sur la voie publique ou sa maltraitance, l’équipe va être choquée pour une longue période, « tant qu’elle n’aura pas été réparée » nous a dit une psychiatre et les femmes suivantes vont, en quelque sorte, faire les frais des

traumatismes et angoisses du personnel (cf. infra en quatrième partie, la souffrance

des équipes).

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