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a) Les mères inconnues et les accouchements sous

Quand une femme se présente pour accoucher dans un hôpital, généralement en urgence, elle est prise en charge, même si elle n’a aucune pièce d’identité ou carte de sécurité sociale. De fait, les textes permettant l’accouchement secret, impliquent de facto que toute femme peut bénéficier d’une discrétion lors de son accouchement.

[Question : Mais l’identité de la mère, elle est vérifiée ?]

Non, et puis même, elle a donné une identité, est-ce que c’est la sienne, hein ? Elle a pas de papiers cette dame. Elle a rien, elle arrive comme çà.

Assistante sociale, entretien n° 3.

Selon les personnels rencontrés, des femmes donneraient de fausses indications sur leur identité lors de la déclaration de naissance, plutôt que de demander un accouchement sous X. Dans l’un des dossiers judiciaires consultés, lors de l’accouchement, la femme a donné un faux numéro de sécurité sociale et une adresse également erronée puisque le courrier est revenu au tribunal portant la mention « voie inconnue dans cette commune ». On peut dès lors émettre des doutes y compris sur l’identité qui a été fournie et qui est celle mentionnée sur l’acte de naissance. Comme il s’agissait d’une femme arrivée à la dernière minute à l’hôpital pour l’accouchement, il n’a pu lui être conseillé d’engager une procédure sous X et elle n’a pas rencontré les personnes susceptibles d’accompagner cette démarche. En effet, l’article 341-1du Code civil (inséré par la loi nº 93-22 du 8 janvier 1993 art. 27, Journal Officiel du 9 janvier 1993) prévoit que : « Lors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ». Dans ce cas, ce sont les services de l’Aide sociale à l’enfance qui supportent le coût de l’accouchement. Les cas d’accouchement sous X, c’est-à-dire où la mère a expressément demandé que son identité n’apparaisse pas dans le dossier de la maternité sont plus rares et en constante diminution (moins de 600 cas par an en

France actuellement). D’une certaine manière, le cas de ces enfants est beaucoup plus simple puisqu’ils deviennent pupilles de l’Etat et que les services de l’ASE leur recherchent immédiatement81 une famille d’adoption. Ils font ensuite l’objet d’une

adoption plénière « qui interdit ultérieurement toute action en recherche de

maternité, leur filiation juridique étant constituée par la filiation adoptive »

(Dekeuwer-Defossez Françoise, 1999).

L’une des assistantes sociales rencontrées se posait beaucoup de questions à ce sujet, estimant que finalement dans les cas où les mères disparaissent ainsi, c’était plutôt une chance pour l’enfant qu’il y ait eu un abandon clairement exprimé par un accouchement sous X. Elle s’interrogeait ainsi sur l’intérêt qu’il y aurait à proposer cette procédure à ces femmes très désinsérées et qui ont peu de chances d’élever leur enfant, tout en reconnaissant que la situation des femmes et également celle des enfants serait sans doute difficile par la suite :

Mais ceci dit, moi le X me gêne, le X me gêne par rapport au désarroi de ces enfants plus tard. On voit bien tous ces gens arrivés à l’âge adulte qui se battent pour essayer d’avoir le moindre indice sur leur mère. C’est dur aussi, alors je sais pas comment il faut procéder à l’accouchement sous X mais… quoique là dans les situations comme çà, une femme accoucherait sous X, peut être que l’enfant pourrait voir le dossier quand même. […]

L’accouchement sous X il a quand même été fait pour protéger la mère. Aujourd’hui on dit il faut peut être aussi protéger l’enfant. Alors comment on fait ?

Assistante sociale, maternité, entretien n°3.

Mais selon les assistantes sociales rencontrées, les femmes toxicomanes se situeraient plutôt rarement dans cette perspective d’abandon, elles déclarent le plus souvent vouloir élever leur enfant, même si c’est de l’ordre du rêve. De fait, elles ne demandent pas un accouchement anonyme.

Zohra, rencontrée en centre de soins, a choisi cette solution face à sa quatrième grossesse. L’incarcération du père de son troisième enfant l’a laissée avec très peu de ressources. Elle replonge dans la drogue et se prostitue. Elle ne peut envisager un enfant supplémentaire. Alors qu’elle s’est sentie affreusement seule pour ces accouchements précédents, étant coupée de tout lien avec sa mère, elle garde un très bon souvenir de cet accouchement :

Et je me suis retrouvée enceinte une quatrième fois et là j’ai envisagé un accouchement sous X.

Hum

J’étais enceinte de six mois ½, 7 mois et j’avais de grosses, grosses douleurs, j’ai fait appel à une voisine pour qu’elle appelle un médecin, j’avais pas le téléphone à la maison, et elle m’a dit « écoute mon mari va te conduire à l’hôpital, on ne peut pas te laisser comme çà » et ils m’ont emmenée à la maternité et j’ai joué le rôle de la future maman, qui voulait un petit garçon. Pareil, une grossesse qui n’avait pas été suivie jusque là. Je voulais un petit garçon. J’étais en manque, je crois que c’est ce qui a déclenché cet accouchement. Et on m’a dit, « madame on va vous accoucher ». Et on m’accouche, et on prépare les deux petits bracelets en me demandant le prénom que je voulais donner si c’est une fille ou un garçon. Et là je leur ai dit, écoutez je veux faire un accouchement sous X. Euh, j’ai été très, très entourée, je crois que je, j’ai eu plein, plein d’amour, plein d’affection, plein de, je sais pas çà a été euh. J’en garde un très bon souvenir, moi, de cet accouchement.

J’ai demandé à la pédiatre qui s’est présentée et qui m’a dit qu’elle allait prendre en charge mon fils, non ma fille parce qu’on m’a dit que j’avais accouché d’une fille, euh de lui dire que je ne l’abandonnais pas mais que je lui laissais une chance dans la vie, et elle m’a dit, eh bien je vais vous le laisser et vous lui dites, vous lui dites ce que vous voulez. Ils l’ont amenée dans une couveuse, j’ai pu toucher mon enfant, j’ai pu caresser mon enfant, j’ai pu lui parler et je lui ai dit ce que j’avais à lui dire donc. Et puis je me suis réveillée au petit matin, j’avais laissé mes enfants chez moi, enfin avec mon ami qui était toxico, qui prenait beaucoup de cachets, donc qui était complètement amnésique au moment où je suis rentrée à la maison.

Et je suis rentrée à la maison, l’arbre de Noël était déjà mis à la maison, l’arbre de Noël et puis en face mes trois enfants qui regardaient la télé assis les uns à côté des autres et c’est à ce moment-là, que moi je, que j’ai eu le déclic, que je pouvais plus. C’était, il fallait que je sauve ce qui me restait et donc mes trois enfants. En avoir abandonné un, c’était très douloureux et j’avais trois mois pour prendre une décision, faire une cure, je voulais être clean, pour prendre une décision.

Zohra, entretien n° 33.

Le retournement de situation que nous expose Zohra doit être relevé. Pour cet accouchement, elle reconnaît ne pas être en mesure d’élever cet enfant et de fait arrive en ayant pris la décision de le donner en adoption. Dès lors, sa toxicomanie ou le fait qu’il s’agisse d’un quatrième enfant dans des conditions précaires, ne sont plus des facteurs suscitant la réprobation des personnels qui la prennent en charge. Au contraire, elle se comporte comme une « bonne mère » puisqu’elle reconnaît ses limites et accepte de donner une autre vie à cet enfant. La conséquence est qu’elle sera entourée comme elle ne l’a jamais été, ce qu’elle exprime dans « j’ai eu plein d’amour ».

Globalement, dans le cas de l’accouchement dans le secret, la situation est claire car la mère déclare donner l’enfant à l’adoption. Une seule exception est à relever, qu’une juge des enfants nous a exposée à partir d’un cas qu’elle avait eu à traiter : quand la femme accouchant sous X est mineure82, le juge des enfants doit être saisi et vérifier

auprès d’elle qu’elle a bien compris toutes les implications juridiques et pratiques de l’abandon de l’enfant.

Mais il avait fallu que je fasse une ordonnance de recherche et de conduite de la mineure, pour m’assurer qu’elle était bien, elle connaissait toutes les conséquences par rapport à la procédure d’abandon, et on l’a jamais retrouvée. Donc, mais après se pose la question, voyez je me dis toujours, oh là, là, est-ce qu’il vaut mieux ? Alors la famille, épouvantable, la fille bon, en errance, toxico, les grand-parents ils ont téléphoné une fois, alors là tous les enfants ont été placés, bon, c’est pas terrible ! (rires)

Bon, je me dis il vaut mieux que cet enfant soit adopté ! Donc j’ai dû faire quand même, parce que j’avais consulté le parquet, non, c’est un peu embêtant, on sent fondamentalement que l’enfant a tout intérêt à être adopté, compte tenu des origines et ceci dit, le droit, on est pris par le droit, le droit des gens, et on est obligé, comme elle est mineure, de s’assurer qu’elle est bien informée des conséquences de son départ. Donc j’ai appelé la police, brigade des mineurs, et j’ai dit écoutez elle devrait être à Paris à telle ou telle adresse et puis on l’a pas retrouvée. Je me suis dit heureusement pour cet enfant. Mais enfin, j’ai tout fait pour dire à la mère, parce que heureusement pour cet enfant c’est moi qui le pense, peut être que je me trompe, donc le droit est quand même un cadre de référence, hein, c’est critiquable quand je dis çà, mais moi je pense que des

82 - Cette modalité paraît bien théorique puisque par définition, la jeune femme peut accoucher sans

familles comme çà il vaut mieux être dans une famille d’accueil, une famille pas d’accueil, une famille d’adoption. C’est pas pareil.

Juge des enfants, entretien n° 38.

On voit bien que le magistrat est là en position intermédiaire, il doit protéger l’enfant, mais si la mère est mineure, il doit également la protéger, donc en fait, trouver la solution qui sera la moins préjudiciable à ces deux mineurs. De ce fait, la minorité protège la mère des conséquences de son départ.

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