• Aucun résultat trouvé

a) L’isolement de la mère et les placements antérieurs

La notion de soutien relationnel a été utilisée dès les années 70 dans les études épidémiologiques, avant d’être appliquée aux effets du divorce puis à la précarité (Martin Claude, 2001). Le constat des données épidémiologiques que les femmes en situation de famille monoparentale souffrent plus souvent de troubles psychologiques et recourent davantage aux services de santé mentale amène une interprétation de lien entre monoparentalité et difficultés psychologiques (sans que l’on sache dans quel sens fonctionnerait ce lien). Comme d’autre part, les études économiques sur la pauvreté des enfants indiquent que ce sont les femmes seules qui souffrent des plus mauvaises conditions matérielles, l’idée générale est que les femmes seules sont pauvres et ont des problèmes psychologiques.

Les femmes toxicomanes vivent moins souvent en couple, ou du moins, aux yeux des soignants, n’ont pas de conjoint sur lequel s’appuyer. Comme souvent, elles ont rompu avec leur famille, elles apparaissent donc isolées. Pour beaucoup de nos interlocuteurs, la non inscription de la mère dans un réseau familial ou amical, voire de voisinage, susceptible de lui apporter de l’aide, va être un élément essentiel pour évaluer qu’il y a danger à laisser l’enfant seul avec sa mère. Le premier aspect de l’isolement de cette mère va être qu’elle ne vive pas en couple.

Parce que bon moi je pense que la prise en charge de la femme toxicomane, euh, elle est, elle est très différente, non elle est pas différente, ce que je veux dire c’est qu’elle est la même pour moi, quelquefois qu’une autre patiente parce que ce qui est important c’est l’entourage. Si la femme toxicomane elle est entourée, il y a un entourage, on peut s’appuyer, on peut travailler des choses. Si la femme toxicomane elle est isolée, euh, bon. Et alors là moi j’en arrive au cœur de ce que vous me demandez, hein, l’évaluation de la situation elle est là, et c’est, elle est déter, hein je veux dire le non-isolement ou l’isolement et moi en tous les cas, c’est très personnel, déterminant par rapport à un signalement judiciaire, à une. ben voilà

Parce que deux choses, parce que moi ce que je regarde c’est la notion première de danger encouru par l’enfant, parce qu’on sait que la femme qui est toxico, euh, du jour au lendemain elle peut très bien tomber, euh, d’une heure à l’autre dans une rechute, etc. et là la question qui va se poser c’est qui va prendre l’enfant en charge, à ce moment-là même si c’est qu’une rechute qui va pas durer, mais qui va être là ?

Assistante sociale hospitalière. Entretien n° 7.

Pour un médecin psychiatre, cet isolement se traduit par une impossibilité à trouver un relais en cas de fatigue, de dépression et s’avére une différence essentielle dans la possibilité pour la mère de se faire aider :

Sans parler des facteurs sociaux, qui sont prépondérants. Moi, j’en ai marre de mon mouflet, je téléphone à ma sœur, je l’envoie chez ma mère

[J’ai une baby-sitter]

Je suis toxicomane, j’ai personne, donc je me le tape 24 h sur 24. Et que je sois fatiguée ou pas fatiguée, excédée ou pas excédée, c’est pareil, je n’ai personne, pas de voisine, pas de mère, pas de sœur, je n’ai rien. Ben oui, mais il pleut là où c’est mouillé, hein ! Donc on va demander le plus à ceux qui peuvent le moins aussi. Psychiatre CSST, entretien n° 34.

Cette notion d’isolement est retrouvée dans la littérature, comme un élément important différenciant les femmes qui ont perdu la garde de leur enfant au cours de la première année. Ainsi, une étude canadienne sur les facteurs qui influencent la décision de prendre en compte un signalement à la protection de la Jeunesse relève la notion de ressources existantes ou de « capacité du milieu » : « La notion de risque

ne renvoie pas uniquement à la gravité des faits eux-mêmes ou aux conséquences des faits sur l’enfant, mais également à l’attitude des personnes impliquées et à l’existence de ressources dans la communauté » (Jacob Marie et Laberge Danielle,

2001). Un deuxième aspect évoqué, dans cet isolement, est justement le placement d’enfants antérieurs. La femme est également isolée de ses enfants plus âgés, bien qu’il ne soit pas spécifiquement mentionné qu’ils puissent être également un relais, ce qui est pourtant le cas bien souvent pour les filles plus âgées, qui vont en partie « prendre en charge » les enfants les plus jeunes.

Les assistantes sociales montrent un malaise par rapport à cette question. A la fois, elles ressentent l’injustice qui serait faite à une femme de prendre une décision de placement uniquement parce qu’une telle décision a été prise pour l’enfant précédent. En même temps, y compris par solidarité professionnelle, elles jugent « qu’il n’y a

pas de fumée sans feu » et que sans doute, la première décision a été fondée sur des

faits objectifs, dont elles ne peuvent pas ne pas tenir compte. Autrement dit, leur responsabilité professionnelle serait d’autant plus engagée qu’elles auraient ainsi négligé un indice grave du risque encouru par cet enfant.

Bon çà c’est vrai que c’est déterminant, c’est déterminant. Mais alors moi çà je dirais c’est pas déterminant pour… c’est déterminant pour toutes les femmes, hein, leurs précédents enfants placés, pour nous, assistantes sociales basiques, c’est un critère de risque, bon j’enfonce une porte en disant cela, mais c’est vrai, hein, bon ben donc là on est vigilant, il y a eu une séparation mère-enfant, qu’est- ce qui s’est passé, comment çà s’est passé, comment elle se vit, etc.

Assistante sociale hospitalière, entretien n° 7.

Cette prise en compte des placements précédents pour une femme peut être une cause de conflits entre intervenants :

J’allais le dire sur le terme actuel, parce qu’il ne faut pas oublier qu’au niveau de la jurisprudence, par rapport à la décision du juge, le danger doit être certain et actuel, c’est-à-dire que le magistrat ne veut pas prendre une décision d’AEMO ou de placement seulement parce qu’il y a eu d’autres enfants placés, la situation de la famille a pu changer

Oui

Il faut absolument réévaluer les choses au moment de cette nouvelle naissance Hum

Quand le signalement est fait

Çà c’est aussi quand même un point, euh, difficile. Parce qu’en même temps, elles sont déjà dans un

Oui, parce qu’il y a tout le passé qui est là, avec des projections de la famille, des représentations, et c’est très difficile de se sortir de çà.

Chef de service socio-éducatif, entretien n° 43.

Tous s’accordent sur le fait que le premier relais dont devrait pouvoir profiter une femme récemment accouchée est évidemment celui du père de l’enfant. La défaillance de celui-ci, bien avant l’entourage familial élargi, est un critère essentiel dans cette évaluation.

Outline

Documents relatifs