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f) Les familles d’accueil et les communautés thérapeutiques

Une dernière alternative possible, mais apparemment encore plus rare, sera de mobiliser une famille d’accueil, sur les réseaux toxicomanie ou psychiatrie. Dans ce cas, il s’agit non pas de séparer l’enfant de sa mère, mais de les accueillir conjointement dans une famille. Cette solution, qui paraît en quelque sorte « miraculeuse », pour certains intervenants, à de nombreuses limites dont la première est la rareté des familles d’accueil prêtes à prendre en charge une personne toxicomane déjà, et de surcroît chargée de famille, d’autant plus s’il y a plusieurs enfants.

Si les familles d’accueil en toxicomanie existent depuis la loi de 1970, leur développement est resté très résiduel, pour ne pas dire invisible au long des trente dernières années. Au niveau national, vingt réseaux sont actifs employant 215 familles d’accueil pour un total de 348 personnes accueillies. La moyenne est de seulement deux enfants accueillis par réseau (Duburcq Anne et al., 2001).

En dernier lieu, les communautés thérapeutiques doivent être évoquées brièvement. Elles ne sont pas officiellement une solution disponible dans le paysage français. Il est ainsi caractéristique qu’aucune circulaire ou aucun des plans de lutte contre la toxicomanie qui présentent l’offre de soins ne mentionnent cette alternative pendant plus de trente ans. Elle existe néanmoins sous la forme des centres du « Patriarche », qui fonctionnent en partie sur des fonds publics. Les communautés thérapeutiques, comme la méthadone, ont longtemps été refusées par les intervenants en toxicomanie français, au nom d’une éthique libertaire (Bergeron Henri, 1999).

Une enquête européenne sur quelques 300 femmes toxicomanes réparties dans cinq pays montre que la moitié d’entre elles est accueillie dans des centres résidentiels. L’accueil dans ces centres permet, entre autres, à ces femmes, de développer une meilleure image de soi, en particulier quant à leur capacité de prendre en charge un enfant (Stocco Paolo et al., 2002). Néanmoins, nous avons déjà relevé par ailleurs les difficultés de la vie collective pour les femmes toxicomanes.

Les mesures évoquées dans cette partie sont donc peu spécifiques, à l’exception des associations très spécialisées dans l’observation des liens mère-enfant. Elles constituent à la fois une aide pour la mère, souvent isolée, et une garantie pour les travailleurs sociaux ayant en charge le dossier, ainsi rassurés par une présence autour de la dyade.

Comme pour les mesures éducatives en milieu ouvert, la question qui peut se poser est de savoir si malgré tout, ces actions ne sont pas un peu inconsistantes pour certaines d’entre elles, y compris du fait des stratégies d’évitement des femmes, ou si au contraire elles ne constituent pas un maillage trop dense autour de certaines. Ainsi, le travail en réseau qui nous a été décrit, amène certaines femmes à être étayées, pour ne pas dire encadrées, par une multitude d’intervenants, dont les rôles ne sont pas toujours clairement définis.

3) Comment signaler ? 

Le travail que l’on observe aujourd’hui, de prise en charge globale des femmes enceintes toxicomanes résulte d’une évolution qui s’est opérée sur une dizaine d’années. Dans chaque équipe soignante, des pionniers ont affronté les réticences liées à cette stigmatisation des femmes toxicomanes, conscients de la gravité des dégâts engendrés par les pratiques antérieures. Interrogée sur les pratiques de son équipe, une cadre sage-femme se situe d’emblée dans cette évolution :

Oui, ben là je dirais qu’il y a presque autant de façons que d’équipes médicales. Il y a des endroits où finalement elles sont acceptées, je dirais pas prises en charge dans le bon sens du terme parce que, c’est pas simple, il a fallu quand même faire un vrai travail quand je vois ici le chemin parcouru depuis dix ans maintenant quand au départ, on était deux sages femmes à le demander, une formation pour la prise en charge des toxicomanes, non mais j’ai cru qu’on demandait, on nous a dit non mais çà va pas, les toxicomanes, mais qu’est-ce que c’est que çà, ils n’ont qu’à pas se shooter etc. on a autre chose à faire que de s’occuper des toxicomanes. Après on nous a dit, non mais çà va pas, çà va se savoir elles vont toutes rappliquer. Bon, on en a entendu ! […/…]

Parce que là non plus c’est pas évident il a fallu rassurer, alors il y a des infirmières effectivement qu’on sent bien dans l’accompagnement dans la compassion, d’autres qui ont un petit peu plus de mal, qui disent ouais franchement moi m’occuper d’une patiente malade çà va, mais toxicomane, c’est parce qu’elle l’a bien voulu. Ben oui, parce que quand elles sont débordées, crevées et fatiguées, elles se disent, franchement bon.

Cadre sage-femme, entretien n° 16.

Dans ce récit, relatant l’histoire de la prise en charge dans un grand CHU de la région parisienne, se retrouvent tous les éléments déjà évoqués. Par deux fois, il est question de la responsabilité voire de la culpabilité de la femme toxicomane, « elle n’a qu’à pas se droguer », c’est elle qui se met dans une telle situation, ne suscitant pas la compassion. Si l’évolution sur ce point est perceptible, que les représentations sont un peu moins tranchées aujourd’hui, cette cadre sage-femme ne peut s’empêcher de reconnaître que ce sont des réactions retrouvées chez les infirmières. Elle éprouve néanmoins le besoin de les excuser, en précisant qu’elles ont de telles réactions, quand elles sont débordées ou fatiguées, ce qui sous-entend qu’à d’autres moments, les choses sont peut-être un peu plus faciles.

L’autre argument développé, encore totalement d’actualité, est que si un service de maternité se spécialise en quelque sorte sur ces questions, cela provoquera un afflux de ces femmes toxicomanes, ce qui engendrera des difficultés supplémentaires. Nous avons vu que, de facto, les femmes toxicomanes échangent entre elles des adresses de

lieux tolérants à leur égard, et qu’il est évident que les services « spécialisés » prendront en charge même celles qui n’habitent pas dans leur secteur.

Enfin, la différence fondamentale avec la période précédente, il y a une dizaine d’années, situation qualifiée d’atroce par notre interlocutrice, est que ces femmes vont moins souvent disparaître en abandonnant le bébé. Cette disparition, nous l’avons évoqué, est sans doute l’une des caractéristiques des femmes toxicomanes que les équipes de maternité se sentent le moins à même de supporter.

A- De la pyramide au réseau : orienter plutôt que garder 

La structuration des réseaux106 périnatalité107 et ARES92108, la formation des

personnels et la collaboration étroite avec la PMI ont permis l’émergence d’autres solutions comme alternative à des mesures plus lourdes :

On garde quand même quelque chose d’autoritaire malgré tout, même si on demande plus au juge de faire preuve d’autorité, moi j’ai l’impression que, çà glisse un petit peu, avant quand on avait une mère toxicomane, on signalait au juge et le juge disait vous faites ci ci et çà, vous faites quoi, maintenant nous on glisse un peu parce qu’on fait des propositions parce qu’on a des choses à proposer voilà à cette population, c'est-à-dire que quand on dit la travailleuse familiale, la visite de la puéricultrice du secteur, on a la chance ici de bien travailler avec le secteur, PMI hein, bon ben y a eu le réseau aussi périnat qui a été mis en place, le réseau ARES et tout çà aide, le réseau en partenariat aide, donc c’est vrai que on impose des choses avant les sorties de ces mères toxicomanes ou substituées, ben on va dire déjà substituées.

Assistante sociale, entretien n° 3.

On retrouve ici l’idée que le recours au juge peut souvent être fait a contrario, c’est-à- dire en l’absence d’une autre solution. De plus, l’évolution du travail, comme la mise en place des différents réseaux et les partenariats qu’ils nécessitent, à partir de l’expérience du sida, ont permis de rechercher d’autres ressources, d’autres voies à ce signalement judiciaire trop long à mettre en place.

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