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b) Les mères qui disparaissent

Certaines femmes accouchent puis quittent l’hôpital quelques jours, voire quelques heures après, et disparaissent en laissant l’enfant, indépendamment du fait qu’elles l’aient reconnu ou non. Notons qu’il n’y a plus de délit d’abandon d’enfant dans le droit pénal français, sauf si c’est dans un lieu solitaire. C’est donc la non assistance à l’enfant qui est punie plutôt que le fait de ne pas le garder, puisqu’au contraire depuis plusieurs siècles le refus par la mère de garder l’enfant est un droit en quelque sorte et la société lui aménage la possibilité de le faire. Citons par exemple les tours jusqu’au milieu du XIXème siècle dont étaient dotés les hôpitaux ou les églises, etc. même sans remonter à l’époque romaine et à l’exposition d’enfant. Dans le cas qui nous intéresse, la mère laisse l’enfant dans un service hospitalier, donc par définition, dans un lieu où il est en sécurité.

Oui, c’est souvent par, c’est quelque fois parce que cela se passe mal, sur le plan conflictuel parce que la mère a complètement disparu, çà nous arrive quelque fois encore, peu souvent, mais çà arrive. Je me souviens d’une, il y a un an ou deux ans, et qui était une toxicomane ayant accouché à [autre hôpital], qui prenait du crack, des benzodiazépines, prostituée, qui, en état très, très délabré, qui, euh, l’enfant était transféré ici le lendemain de sa naissance pour un syndrome de sevrage, on a été trois quatre jours sans la voir, un jour elle est venue, il y a eu des moments assez émouvants d’ailleurs, elle l’a pris dans ses bras, lui a donné un biberon, on s’est dit çà va peut être marcher et puis elle est repartie puis elle est jamais revenue, plus jamais du tout de nouvelles, bon dans ces cas-là au bout d’un temps, après essayé d’avoir des adresses, bon on finit par faire un signalement au juge parce qu’il n’y a plus de parents du tout…

Médecin, entretien n° 1.

Cet abandon peut n’être que temporaire, mais l’institution hospitalière ne peut garder un enfant en bonne santé sans sa mère, à la fois car ce sont des journées d’hospitalisation non prises en charge par la sécurité sociale et parce qu’il n’y est tout simplement pas à sa place. Même si c’est une évidence que l’enfant ne peut pas rester à l’hôpital, la nécessité de le justifier est manifeste chez nos interlocuteurs :

Et puis le bébé va bien on peut pas le garder en néonat, c’est pas quand même un lieu sympathique la néonat, c’est un hôpital, donc l’enfant sera mieux en pouponnière où il y aura une paternante83, où il pourra quand même évoluer un petit peu mieux ailleurs que dans un contexte de soins…

Assistante sociale, entretien n° 3.

83 - Ce terme n’existe pas dans le dictionnaire, ni même dans le langage professionnel apparemment.

Sans doute veut-elle dire « maternante », nom éventuellement donné dans les pouponnières aux personnes (auxiliaire de puéricultures) qui s’occupent de l’enfant, les anciennes « berçeuses ».

Dans ce cas, le transfert vers une pouponnière s’impose. L’hôpital pourrait choisir de saisir directement l’ASE, mais apparemment compte tenu des relations entre les deux services, sur ce département tout au moins, la préférence est donnée à un signalement judiciaire au parquet avec demande d’ordonnance de placement provisoire. Cette OPP est délivrée très rapidement, dans les quelques heures qui suivent.

D’abord, cette situation là, la maman a accouché à [hôpital], le bébé a été transféré ici en néonatologie parce qu’il y a eu, bon comme la plupart des cas il y a toujours un syndrome de sevrage, donc le bébé est traité, bon ben la maman a quitté [hôpital] et n’est jamais venue là. Donc c’est un bébé qui est venu seul, qui est là depuis le 11 mai, donc on est le 5 juin et la maman n’est jamais venue et elle m’a jamais contactée, elle a téléphoné une fois pour dire je viens demain et on l’a jamais vue. […/…]

J’ai attendu un maximum et j’ai fait un signalement, en demandant le placement de l’enfant en pouponnière. Parce qu’on a pas le choix.

[Question : Parce que ce sera un enfant qui sera adoptable ?]

Voilà, donc, on essaye toujours, on essaye toujours de laisser une chance à la maman, même dans un cas comme çà où on sait bien que la maman ne pourra pas s’occuper de son enfant, mais on essaie de laisser une porte ouverte, donc en disant à la maman qu’elle pourra toujours aller à la pouponnière puis à la famille d’accueil et qu’elle pourra toujours rester en lien avec son enfant, mais voilà, là c’est un cas où, faute de présence…

Assistante sociale, entretien n° 3.

Dans certains services, une unité administrative a été créée, qui permet de garder les bébés en nursery à la maternité, par exemple pour les accouchements sous X ou pour les abandons, jusqu’à ce qu’une place leur soit trouvée par l’ASE.

Quand les mères n’ont pas reconnu l’enfant mais n’ont pas indiqué qu’elles n’en voulaient pas, le parquet fait faire des recherches dans l’intérêt des familles puis une commission d’adoption est organisée au bout d’un an. Cette procédure conduit à un constat judiciaire d’abandon, ouvrant la voie à l’adoption (article 350 du code civil). La famille proche de l’un des parents peut demander à ce que l’enfant lui soit confié. Cette possibilité ne lui est pas automatiquement accordée, une enquête sociale est ordonnée par le juge pour évaluer le bien-fondé de cette demande et l’intérêt de l’enfant. Un exemple en sera examiné dans la quatrième partie.

Les statistiques françaises publiées n’indiquent aucune donnée sur ces abandons d’enfants, dans le cadre hospitalier. Aux Etats-Unis par contre, des données existent sur deux types d’enfants laissés à l’hôpital : ceux qui sont abandonnés par leur mère (abandoned infants) et ceux laissés en « pension » par les services de protection de l’enfance dans l’attente d’une décision de placement (désignés sous le terme de « boarder babies »)84. Ces derniers correspondent à ceux que l’Aide sociale à

l’enfance a indiqué être des enfants « consignés » à l’hôpital.

D’après des données recueillies dans le cadre d’une recherche sur la toxicomanie pendant la grossesse, le cas des « boarder babies » est évoqué comme une conséquence directe de la pénalisation qui touche les femmes qui consomment des drogues. Le nombre de ces bébés est estimé à 13 400 en 1998 dans l’ensemble des Etats américains, dont une majorité d’enfants noirs. Des progrès notables ont été faits

84 - La traduction la plus proche ici est en effet « bébé pensionnaire ». Cela correspondrait en France à

des bébés sous ordonnance de placement provisoire, en attente de jugement de placement et de décision d’orientation par l’Aide sociale.

depuis 1991, leur durée moyenne de séjour à l’hôpital ayant diminué de 22 à 9 jours. Parmi ces enfants, 79 % ont été testés positifs aux drogues illicites (Lester Barry et al., 2004). Pour ce qui concerne les enfants abandonnés, ces mêmes auteurs indiquent qu’en 1998, 17 400 ont été comptabilisés par les différents hôpitaux, dont la moitié d’origine africaine, le plus souvent prématurés ou de faible poids et dont les trois quarts étaient positifs aux drogues. Leur durée moyenne de séjour à l’hôpital est plus longue, autour de 34 jours et les deux tiers d’entre eux feront l’objet d’un placement (Lester Barry et al., 2004).

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