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a) L’évaluation médico-sociale

Quand la femme fait suivre sa grossesse dans le service qui procède à l’accouchement100, l’évaluation commence dès la période anténatale. En cas de doute,

l’équipe de maternité peut faire intervenir une sage-femme de la PMI à domicile. Sur notre terrain de recherche, le plus souvent, en médecine de ville, la femme enceinte est signalée au service de maternité par l’intermédiaire du réseau, de façon à

99 - En référence aux travaux émanant de l’Aide sociale à l’enfance (de l'Espinay Geneviève et Papalardi

Chantal, 1998).

100 - Selon l’enquête périnatale de 1998, seules 44 % des femmes qui accouchent en France ont été

entièrement suivies pendant leur grossesse par l’équipe qui procède à l’accouchement. Certains CHU ne font pas de suivi de grossesse directement mais reçoivent une transmission de la protection maternelle. Cette proportion est en baisse dans l’enquête de 2003 et la réforme actuelle prévoit que les femmes ne soient plus suivies par les maternités, d’où une baisse prévisible (Vilain Annick et al., 2005b).

ce que l’équipe qui fera l’accouchement puisse la rencontrer en début et en fin de grossesse. Ainsi, pour l’équipe obstétricale, une évaluation précoce est essentielle :

Donc c’est vrai que pour nous c’est plus facile de travailler pendant la grossesse, euh, qu’avoir, on demande donc aux travailleurs du réseau qui travaillent avec la maternité, on demande qu’on puisse connaître ces femmes en anténatal, parce que souvent en plus comme il y a un service de néonatologie, quand il y a un syndrome de sevrage, le bébé est transféré en néonat, donc quand la femme par exemple arrive d’une maternité telle que [deux hôpitaux], on ne connaît absolument pas les femmes et c’est beaucoup plus dur pour nous de travailler avec elles. […/…]

[Question : Si vous supposez un problème, vous pouvez faire un signalement en anténatal ?]

Alors en anténatal, c’est un signalement à la sage-femme de PMI en disant est-ce que tu peux passer voir, en même temps, elle fait une consultation à la femme, et puis elle voit un peu, elle rentre en fait dans le domicile, nous, on a pas cet élément là, parce qu’on peut nous raconter n’importe quoi aussi !

Cadre sage-femme, entretien n°10.

La visite à domicile, pour la femme enceinte comme celle qui est prévue après l’accouchement, est un enjeu capital. Si l’accès au domicile est refusé, cela sera interprété comme un signal d’alarme, conduisant à un signalement dès lors que d’autres indices s’y ajoutent, nous le verrons ensuite.

La difficulté de l’évaluation est en effet importante pour des services de maternité, dans lesquels la femme ne passe que quelques jours, si elle n’a pas été suivie auparavant. L’indécision entraîne la poursuite de l’hospitalisation afin de se donner le temps nécessaire à cette observation. Dans certains services de maternité, la durée d’hospitalisation des femmes toxicomanes est d’office portée à deux semaines, voire davantage, de façon à ne pas risquer de ne pas déceler un syndrome de sevrage tardif chez le nouveau-né (cf. supra). Si le nouveau-né est transféré en néonatologie, cette durée peut atteindre trois semaines à un mois, ce qui permet à l’équipe de bien observer la relation entre la mère et l’enfant.

Le modèle de l’observation clinique est appliqué à la relation mère-enfant qui est évaluée par les services. La difficulté de l’exercice transparaît très nettement dans l’imprécision de nos interlocuteurs quant à ce que recouvre exactement une relation mère-enfant déficiente. Quand l’enfant est hospitalisé en néonatologie, quelle qu’en soit la raison, la durée de l’observation est prolongée et permet d’affiner l’étude. Le personnel du service note sur un cahier, pour chacun des enfants, toutes les visites des parents et la façon dont elles se déroulent (angoisse, agressivité, etc.).

Il peut, on peut n’avoir rien remarqué avant et il se trouve que cette observation toute simple, hum, en cours de l’hospitalisation met en évidence des troubles de la relation, des parents agressifs, des mères mal à l’aise, tout un tas de signaux de mauvaise relation mère-enfant et parents-équipe et... enfin, c’est pas parce que les gens vous engueulent qu’on va demander le placement…

…Là je prenais l’exemple du problème pour lequel on a repéré des facteurs de risque pendant la grossesse… souvent on a déjà eu des réunions de concertation, des réunions de synthèse pendant la grossesse, on observe ce qui se passe après la naissance, on constate que rien ne s’est amélioré sur le plan des conditions de logement, de vie, etc. et que la relation avec l’enfant est très mauvaise ou que la mère est pas là du tout ou qu’elle a disparu, bon.

Pour certains auteurs, cette évaluation peut constituer une forme de piège pour les mères. On hospitalise le nouveau-né plus que nécessaire par une forme de sanction et on déduit de l’absence de la mère ou de son malaise, le danger qu’elle fait courir à l’enfant. L’évaluation de la relation mère-enfant est décrite par les personnels de pédiatrie comme essentielle avant la sortie, de façon à ce que l’enfant ne risque pas de se trouver en danger. Les intervenants en toxicomanie, du moins ceux que nous avons rencontrés, sont beaucoup plus réticents à l’égard de ces pratiques.

Vous avez vu qu’à l’hôpital X, comme dans de nombreux hôpitaux, quelquefois au départ, on entend des phrases du style « il faut reconstruire la relation mère- enfant ». Donc, ils font des visites, pour la reconstruction mère-enfant, c’est, c’est, je trouve çà terrifiant, terrifiant de voir des professionnels se mettre à manipuler, on a l’impression de généticiens faisant des manipulations génétiques, la relation mère-enfant. C’est-à-dire que, autant celle-ci peut s’entendre, s’écouter, s’observer déjà je suis un peu plus réticent, voire franchement réticent, mais alors de penser qu’on peut comme çà, la manipuler, la créer, il faut qu’elle se reconstruise, et puis qui plus est la méthode pour la reconstruire c’est effectivement de séparer la mère et l’enfant, mais on les sépare et puis on organise les visites, hein, c’est comme çà qu’on fait, hein. C’est-à-dire qu’on place et puis après çà devient régulier.

Psychanalyste, CSST, entretien n° 25.

A la sortie de la maternité, l’observation peut être poursuivie à domicile par la puéricultrice lors des visites de protection infantile. Certaines d’entre elles formulent des observations très fines sur la relation entre la mère et le bébé, ou la mère et les contraintes extérieures, permettant une surveillance discrète mais quelques fois rapprochée. Les puéricultrices à domicile font néanmoins état des difficultés de cette mission, dans la mesure où la situation est par définition déjà problématique et qu’il faut qu’elles restent vigilantes, mais sans avoir réellement de grande marge de manœuvre :

Mais c’est çà qui est difficile parce que on est inquiets à la base et pour tirer la sonnette d’alarme il faut vraiment des choses très concrètes. C’est pas, on peut pas tirer une sonnette d’alarme en disant ben oui, il y a pas un bon portage101, je sens pas de lien entre cette maman et cet enfant, bon il faut vraiment des faits concrets pour faire un signalement. Ben par exemple si l’enfant il est tout seul, çà ce sont des choses très concrètes sur lesquelles on peut s’appuyer pour un signalement par contre quand les choses vont tant bien que mal avec du soutien, on est accueilli, la maman accepte la méthadone, on essaye de maintenir.

Puéricultrice PMI à domicile, entretien n° 20.

De fait, cette puéricultrice ne pense pas qu’elle puisse réellement s’appuyer sur le fait qu’elle pourrait faire un signalement en cas de problème, où alors il faudrait qu’il y ait vraiment une urgence et son seul recours serait la brigade des mineurs. Dans tous les autres cas, elle pense plutôt qu’elle ne pourrait que « tendre le dos » :

Les signalements sont possibles à la maternité, la maternité à des éléments, souvent quand les parents sont, la maman est rentrée à domicile, on est moins, on fait des visites d’une heure, une heure et demi, mais on est pas là tout le temps, on est pas là le week-end. C’est souvent notre inquiétude parce que des parents qui sont pas trop en bon état, il y a des signaux qui nous indiquent que bon, çà va pas trop, on peut pas faire un signalement le jour même, ou çà va durer pas mal de temps avant que ce soit pris en charge et on se dit ben le lundi

101 - Deux éléments importants dans l’observation des puéricultrices sont la façon dont la mère tient

comment on va les retrouver hein, des moments parfois un peu difficiles en se disant pourvu que çà se passe bien.

Puéricultrice PMI à domicile, entretien n° 20.

On observe un réel sentiment d’angoisse et d’impuissance face à des situations mal maîtrisées, ou finalement la puéricultrice est seule sur le terrain. Elle n’a d’autre recours que de faire un rapport au médecin de PMI, donc souvent après une certaine mise à distance de ses peurs. Cette question de la formation des personnels est évoquée par quelques auteurs dans la littérature scientifique, remarquant que ce sont les professions socio-médicales ayant les études de plus courte durée et le moins d’accès aux formations qui sont finalement en contact direct sur le terrain avec ces parents à problèmes.

Quand une place est disponible ou que la situation paraît plus problématique, l’évaluation peut également être demandée à une structure qui fera l’observation en milieu fermé. C’est le cas des unités mère-bébé, nous les avons décrites en première partie, où un séjour de quelques mois est proposé à la mère sur la demande d’une équipe :

Voilà, au moment du séjour en maternité, il y a eu des situations qui font que l’équipe est en alerte, soit en observant la maman, soit parce qu’il y a des antécédents, soit le secteur avait déjà établi un suivi parce que c’était une maman qui était malade mentale et il y avait déjà un travail qui était fait avec cette maman avant. Donc on nous demande d’analyser la relation mère-enfant, un étayage en vue de, du suivi enfin, ultérieur, soit on est amené à, à trouver, enfin à accompagner la maman pour qu’elle puisse rester avec son enfant, sinon on peut très bien séparer l’enfant de la maman.

Cadre sage-femme, entretien n° 22.

La deuxième période d’évaluation se situe après le signalement, quand le parquet n’a pas pris une ordonnance de placement provisoire, car le danger ne lui semble pas immédiat et que le juge préfère recueillir des renseignements complémentaires.

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