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Quand on s’intéresse au lien entre la mère et l’enfant on se réfère aux théories de l’attachement et non pas simplement aux relations physiques (le lien peut exister même en cas de séparation).

Les observations d’orphelins élevés en institution effectuées par Robert Spitz (1945) vont servir de point de départ à différents travaux comme ceux de Donald Winnicott, Anna Freud et John Bowlby sur l’importance de l’environnement pour le développement du nourrisson, au-delà des conditions d’hygiène et des soins physiques adéquats. John Bowlby va ainsi montrer « la nécessité pour un enfant de

recevoir de la tendresse et de pouvoir compter sur quelques personnes privilégiées »

(Miljkovitch Raphaële, 2004).

Bien que ces travaux datent de la fin des années cinquante, leur mise en application dans les établissements de l’Aide sociale à l’enfance sera extrêmement lente, malgré les dénonciations répétées de certains observateurs comme Pierre Verdier (1997). Ainsi, jusqu’aux années quatre-vingt, les enfants étaient changés périodiquement de nourrices (assistantes maternelles aujourd’hui) afin qu’ils ne s’attachent pas à la famille d’accueil.

Pour la plupart des intervenants en maternité rencontrés, ces mères toxicomanes ne sont pas « abandonniques » (terme utilisé dans les entretiens) ou « abandonnantes » (dans la littérature). Elles expriment leur désir d’enfant mais n’ont pas les moyens quelque part de l’assumer. En conséquence, les professionnels interrogés considèrent qu’il ne s’agit pas d’abandon :

Donc là après nous on doit travailler, pour des enfants petits comme çà, un projet d’adoption. Hein, pour ces enfants petits qui sont abandonnés, mais bon pour moi, ce n’est pas de l’abandon, ce n’est pas un accouchement dans le secret, ce n’est pas de la même nature, c’est pas un choix volontaire de la mère quoi. C’est la problématique qui fait que son enfant, ben euh, a un statut de pupille et un projet vers l’adoption, c’est pas un choix, c’est pas un choix de la maman. Et c’est vrai que ces enfants-là, même le projet d’adoption c’est pas évident à mettre en place pour ces enfants-là, parce que tout le travail des travailleurs sociaux c’est d’accompagner l’enfant, ben à faire le deuil de cette maman, alors que c’est pas forcément ce qui a été désiré par la mère au moment de la grossesse et au moment de l’accouchement, c’est la toxicomanie qui… qui fait qu’après…

Cadre socio-éducatif ASE, entretien n° 15.

Cette absence de lien, effective ou supposée, constitue une grande difficulté pour des équipes formées justement à tout faire pour favoriser la relation entre la mère et l’enfant. Ainsi les dispositions légales prescrivent de maintenir coûte que coûte l’enfant au sein de sa famille, dans une relation avec ses parents. C’est un droit de l’enfant. La question que se posent les équipes est de savoir comment travailler ce lien avec une maman qui se dérobe ou disparaît sans cesse. Le temps discontinu des mères toxicomanes, sur lequel nous reviendrons, ne paraît pas compatible avec cette construction du lien :

Oui, oui, des situations très compliquées. Et on peut pas travailler le lien, c’est çà qui, qui met à mal aussi les équipes, parce que notre mission par rapport à l’Aide sociale à l’enfance, c’est de travailler le lien mère enfant, pour imaginer que les parents puissent un jour, et là on peut pas travailler ce lien-là et en même temps on est empêché de mettre un projet en place pour l’enfant parce qu’on sait pas comment la mère peut… s’approprier cet enfant. C’est çà qui est compliqué pour les équipes je pense, par rapport à cette problématique spécifique.

Cadre socio-éducatif ASE, entretien n° 15.

Le lien dont il s’agit, est dans l’esprit de cette professionnelle, très différent du simple contact. Ainsi une mère toxicomane qui va téléphoner timidement au service, mais pas à la pouponnière, pour savoir ce qu’est devenu l’enfant, n’est pas considérée comme dans le lien mais bien dans l’abandon. Elle ne pourra pas ainsi interrompre les délais de l’article 350 du code civil (permettant de constater judiciairement l’abandon, cf. première partie), qui stipulent que ce contact doit être bien plus qu’une simple manifestation auprès du service.

Ben c’est difficile pour l’enfant. Pour l’aider à être enfant de ce parent fugace, mais qui est dans l’attachement, c’est compliqué, parce qu’ils sont toujours dans l’espoir d’une rencontre qui va durer et qui s’inscrit pas. Mais le lien est fort, hein, l’enfant il est très, très imprégné des consignes de son parent, donc il est souvent dans l’illusion, un peu comme le parent, hein toxicomane, il est dans l’illusion, il nous ferait bien croire que tout va aller, tout le temps, mais il est pas fiable du fait de sa consommation, hein je veux dire, ils sont là dedans et puis après c’est terminé, mais bon quand il est là, on tient çà, et çà c’est important. Moi j’ai appris, hein, parce que c’était pas facile au démarrage, des parents hein, on pouvait les traiter de menteurs hein, non c’était pas çà qui se passait, c’était bien d’autres choses et puis bien souvent c’était lié au cocktail je veux dire, alcool et médicaments et drogues.

Cadre socio-éducatif ASE, entretien n° 19.

En fait, on voit bien qu’il y a confusion entre le lien et la présence, le fait d’avoir des relations. Cette professionnelle tout à la fois considère qu’il y a un lien, que l’attachement existe entre l’enfant et le parent épisodique, donc que ce qui fait défaut ce sont des relations stables, régulières, prévisibles pour l’enfant.

En termes de création du lien entre la mère et l’enfant, les prescriptions internationales, comme nationales (Haut comité de la santé publique, 1994) soulignent la place de l’allaitement maternel. Pourtant les réticences des professionnels en ce domaine restent très fortes, s’agissant des femmes toxicomanes. Cette crainte s’étaye sur la peur de la contagion, de l’empoisonnement. Le lait maternel serait ainsi souillé et impropre aux besoins du nourrisson. La littérature scientifique internationale retient néanmoins une absence de danger, voire quelques études préconisent l’allaitement maternel comme technique de sevrage en douceur du syndrome du bébé64. Les exclusions médicales actuelles de l’allaitement

concernent exclusivement le VIH, car il y a aujourd’hui un consensus dans la littérature médicale pour l’allaitement en cas de VHC.

Pourtant, même en cas de traitement de substitution, les services ne semblent pas privilégier l’allaitement maternel. Dans la cohorte de femmes substituées de 1998, on a observé 22 % de femmes qui ont allaité, soit moitié moins qu’en population générale (Lejeune Claude et al., 2003).

Dans les études les plus récentes, l’apport des sciences humaines et en particulier de la psychologie est de souligner l’importance de l’interaction avec l’enfant dès sa naissance (Cardi Coline, 2004). L’examen de dossiers judiciaires montre que cette interaction est traduite par les travailleurs sociaux en terme de « répondre aux besoins de l’enfant », en se limitant aux soins et à tout ce qui a trait au corps. Dans cette perspective, le discours est anachronique, de même que les réponses proposées comme « l’apprentissage du ménage et de la préparation du biberon » (Cardi Coline, 2001, p. 80).

2) Les mesures et leur perception 

Les placements sont les mesures éducatives les plus difficiles pour les professionnels comme pour les mères des enfants placés. Chaque type de placement a ainsi été évoqué, mais également le milieu ouvert, administratif ou judiciaire et de façon beaucoup plus rare les tutelles.

A- Les placements 

De l’avis de tous les professionnels, les placements sont en nette régression, ce qui serait à la fois un bien puisque le placement est la décision la plus difficile à vivre pour les familles mais également un problème, dans la mesure où, pour certains intervenants, les situations de danger réel seraient aujourd’hui sous-estimées.

Les juges ne placent plus, là. Il faut vraiment que l’enfant soit martyrisé, euh et encore, hein ! Depuis que Ségolène Royal nous a envoyé des notes disant qu’on plaçait trop les enfants, euh, elle a fait un mal fou, déjà qu’on en plaçait pas beaucoup ; çà avait diminué de 50 % les placements d’enfants depuis 10 ans mais là maintenant on en place plus du tout, on a un réel problème d’enfants en danger qui sont gardés avec leurs parents, hein !

Médecin PMI, entretien n° 8.

Ainsi ce médecin, tout en démontrant qu’il n’est pas favorable aux placements, y compris pour les mères psychotiques, se plaint de ce que les signalements qu’il estime justifiés ne soient suivis d’aucun effet judiciaire. Cette vision est néanmoins difficilement conciliable avec les chiffres relevés au niveau national, sauf en ce qui concerne la baisse générale des placements.

Les textes de loi prévoient que le juge a le choix entre confier l’enfant à l’Aide sociale à l’enfance (placement institutionnel) ou le confier directement à une institution de son choix (placement direct) ou à un tiers digne de confiance (le plus souvent dans la famille élargie ou auprès d’une association). Pour le conseil général, nous avions vu qu’existe également un placement administratif, c’est-à-dire non judiciaire, à la demande des familles ou du moins avec leur accord. Enfin, dans la pratique existent également des placements clandestins, c’est-à-dire de fait, sans intervention ni de l’administration, ni du juge. De ce fait, ces cinq types de placement, leurs avantages, inconvénients, effets et la manière dont ils sont appréhendés par les différents protagonistes vont maintenant être envisagés.

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