• Aucun résultat trouvé

f) Le partenaire toxicomane, alcoolique et/ou violent

La femme toxicomane n’est pas toujours isolée, elle a bien souvent un partenaire également dépendant des drogues. La littérature médicale consacre quelques analyses à ce couple (Losito Nathalie et Gibier Lionel, 1999).

Une étude canadienne sur les femmes toxicomanes enceintes ou avec des enfants mineurs montre que lorsqu’elles tentent de rechercher de l’aide, c’est le plus souvent en dépit de leur partenaire, plus qu’avec son encouragement. De plus, leur récit concernant leurs conditions de vie familiales suggère que le mode de vie induit par un partenaire également dépendant contribue au déni de la consommation de ces femmes et qu’elles ont peur d’être abandonnées ou de subir des représailles de leur compagnon si elles entrent en traitement (Poole Nancy et Isaac Barbara, 2001).

Sandra qui bénéficie de conditions matérielles et d’une position sociale la différenciant nettement des autres femmes rencontrées, exprime bien ce décalage qui finit par s’instaurer entre les niveaux de consommation dans le couple :

Puis j’avais très envie d’avoir cet enfant et puis avec l’homme que j’aimais et tout, et en fait je me suis fait super couillonner (rires) parce que pendant ma grossesse, je l’ai mal vécu par rapport à l’héroïne parce que c’était ma grande rivale, euh, parce que D. [son conjoint] continuait, il s’est jamais autant défoncé que quand j’étais enceinte. Et moi, en fait, en le voyant faire, j’en avais terriblement envie, je n’en avais pas le droit parce que j’avais C. dans le ventre, j’allais pas… enfin pour moi c’était absolument contre-nature de me défoncer…[…] Et donc il a fallu que je supporte çà, je l’ai vraiment très, très mal vécu parce que D. me disait « ah mais

si jamais tu oses avoir envie de te défoncer, mais tu devrais avoir honte » alors

que lui, il était complètement raide, complètement raide sous mes yeux. Sandra, interviewée par Sandrine Aubisson, janvier 2002.

La difficulté dans le projet de réinsertion élaboré pour la mère et l’enfant est souvent de trouver une place au père, de façon générale, mais plus encore s’il est lui-même

toxicomane. Ainsi toutes les solutions d’accueil mère-enfant excluent les pères98.

Donc pour que la mère puisse rester avec l’enfant, en alternative au placement de celui-ci, elle doit renoncer à sa vie de couple. De plus, bien souvent, le couple s’est construit sur la relation à la drogue :

Si le père est aussi quelqu’un qui est toxicomane, il est pas forcément dans la même, euh dans la même demande de soin, au même moment. Parce que souvent il ne l’est pas d’ailleurs et en plus comme sa compagne s’éloigne un peu de lui, il a plutôt tendance à poursuivre de plus belle et donc, euh, il y a vraiment un décalage qui se crée dans le couple. […/…]

C’est quelqu’un qui peut les désunir finalement, dans la réunion qu’ils avaient avec la drogue. Et qu’en plus cette femme elle se met à se soigner, à plus vouloir de drogue pour son bébé. Y avait un équilibre…

[Question : parce que le bébé, lui, il peut remplacer la drogue pour la maman ?] Oui justement, mais pour le papa, il perd sa femme et il perd, il perd cette espèce de communion qu’ils avaient à travers la drogue. Donc çà, c’est souvent insupportable. Et les projets qu’on arrive à faire sont souvent des projets à l’encontre des hommes.

[Question : par exemple ?]

Et bien par exemple, euh, je me souviens de situations où nous on se demandait si on arriverait à mettre en place un projet parce que l’homme lui tout ce qu’il voulait c’était récupérer la maman, le bébé et la drogue. Et la maman elle, ce qu’elle demandait c’était de récupérer son bébé et de sortir de la drogue. Mais il y a une telle pression de la part du père et qui, qui ressasse tous les moments de plaisir qu’ils ont eus à travers la drogue, que finalement, la lutte est difficile quoi. Médecin, entretien n° 4.

Pour ce médecin, nombre de solutions alternatives au signalement ne peuvent fonctionner que dans la mesure où le père est absent, autrement la situation est trop difficile à gérer. Pourtant, l’isolement de la mère, donc l’absence de vie en couple, constitue, nous l’avons vu, un indicateur de risque pour les équipes. Le fonctionnement des structures susceptibles de prendre en charge la mère et l’enfant est donc, en quelque sorte, incompatible sur ce point avec les critères retenus par les services médico-sociaux.

Lorsqu’un signalement est envisagé, et plus encore pour le juge des enfants un placement, la composition globale de la famille est examinée pour trouver éventuellement des ressources intra-familiales ou un soutien pour cette mère. Le fait pour les services sociaux d’identifier un couple problématique, où le père lui aussi présente un danger pour l’enfant, parce qu’il est toxicomane, alcoolique ou violent, peut paralyser la démarche de confiance vis-à-vis de la mère et empêcher que soit prise une mesure d’accompagnement moins lourde.

Dans au moins un récit par une femme rencontrée, la dangerosité de son compagnon va se cumuler à la toxicomanie de la mère et entraîner un signalement. Voici un extrait de l’histoire de Nora, qui paraît anecdotique, mais qui montre bien comment un tel comportement peut affoler les services de maternité :

Alors une semaine après mon accouchement, il me dit, sors toi du lit, j’ai besoin de dormir. Alors [sage-femme] et l’infirmière un matin elles sont venues, elles ont vu Fabrice dans mon lit, elles sont devenues folles. Elles ont dit à F. de sortir, F., il voulait pas sortir de mon lit. Elles ont appelé la sécurité. Là, il est sorti et là elles

98 Cela est vrai dans beaucoup de situations autres que la toxicomanie. Le plan périnatalité 2004-2007

prévoit ainsi la création de foyers parentaux, permettant que les pères ne soient pas exclus comme en centre maternel.

lui ont dit, attendez c’est pas vous qui avez accouché ! Moi j’avais mal, tu vois, ils m’avaient coupée, j’avais mal. Ils m’avaient acheté une bouée, l’hôpital m’avait acheté une bouée pour que je m’assois et le matin, vers quatre cinq heures du matin fallait que je me lève de mon lit pour Fabrice, tu vois. Et si tu veux…

[Question : Mais il n’avait pas de domicile ?]

Non, il habitait chez sa mère et si tu veux comme sa mère elle tapinait l’après- midi, donc il fallait qu’il parte.

Nora, entretien n° 35.

Les propositions qui sont faites à cette jeune femme impliquent toutes la séparation d’avec son compagnon pour garder son enfant. La difficulté d’une telle situation est évidente.

Quand les services ne prennent pas suffisamment en compte le compagnon de la mère, des situations de réelle dangerosité peuvent ne pas être identifiées à leur juste mesure et déboucher sur des drames. C’était le cas dans l’affaire du petit Jason, qui a défrayé la chronique en 1996. La mère toxicomane, sous l’effet de somnifères et des menaces, n’a pas su s’opposer aux violences de son conjoint sur son enfant, qui l’a frappé à mort (Aubisson Sandrine, 2002a).

Pourtant, les témoignages des professionnels montrent aussi que certains pères, mêmes toxicomanes ou alcooliques vont réussir à prendre une place, souvent en relais de la défaillance de la mère. On peut également en déduire que la fusion entre la mère et l’enfant est en soi un obstacle à ce que le père prenne sa place et que l’absence de la mère soit une occasion pour inverser les rôles. Par ailleurs, la volonté d’introduire du père ou du tiers99, dans la relation entre la mère et l’enfant, fait que

les professionnels tentent aujourd’hui de faire une place à ces pères.

C- Le temps de l’évaluation 

La question de l’évaluation du risque est centrale puisque c’est l’observation et l’appréciation de la situation qui vont conduire au signalement. Le premier pas dans cette direction est d’identifier les femmes concernées et de se donner le temps d’évaluer le risque éventuel.

Outline

Documents relatifs