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d) L’épreuve de force

Dans la mesure du possible, les services essayent de négocier avec la mère leur demande d’ordonnance de placement provisoire. La mesure, pourquoi elle est demandée et qu’est-ce qui va se passer est expliquée, mais bien sûr elle engendre des conflits et peut ne pas être du tout acceptée.

Quelquefois, la demande de placement provisoire est imposée à la famille, quitte pour le service à « jouer le rôle du méchant » et celle-ci est mise à distance :

Oui, bon les placements, ce qui est, ce qu’on veut éviter, dans la mesure du possible, c’est les placements décidés arbitrairement, sur des bons arguments, et arbitrairement par l’équipe et refusé par les parents, non acceptées par les parents parce que là c’est des situations conflictuelles quoi qu’on ait rarement un fusil, et surtout çà aggrave la situation familiale qui est vécue comme une sanction, comme ils en ont connues auparavant, hum on est vécu comme des équivalents de flics, et de justice, enfin

[Question : et les parents ils acceptent ce genre de décision ?]

Non, la plupart du temps c’est très conflictuel et on leur dit maintenant c’est le juge, voilà pourquoi on a décidé çà, çà peut aussi être un dialogue où on se comprend. […/…]. Ils peuvent aussi venir de façon violente et l’emporter. C’est, çà m’est arrivé une fois dans toutes ces années, enfin c’est rarissime et c’est le juge, le juge pour enfants va, après cette OPP d’urgence, va instruire le dossier, recevoir les parents, faire faire une enquête par la brigade des mineurs ou par le SSE, se faire une opinion. Enfin et on dit aux parents, écoutez, maintenant ce n’est plus nous qui décidons, on n’a même plus le droit de transférer d’urgence votre enfant ailleurs, de signer la sortie, maintenant, négociez avec le juge.

Médecin, entretien n° 1.

Cette épreuve de force peut se manifester à n’importe quelle étape de la procédure, dès l’hôpital, quand l’équipe manifeste son intention de faire un signalement, comme au cours de la procédure judiciaire.

Dans un dossier judiciaire, une AEMO a été prononcée puisque les deux parents étaient présents, mais tous deux toxicomanes. Le niveau de danger encouru par les enfants augmentait rapidement. La même famille avait fait l’objet de deux nouveaux signalements après la saisie du juge et la mesure en milieu ouvert, les parents étant partis dans l’errance. Finalement, le juge prononce une ordonnance de placement provisoire, mais qui n’est pas exécutable car la mère a disparu avec les enfants. L’enquête de police n’aboutit pas, la mère ne loge plus dans son hôtel précédent, la chambre qu’elle a laissée est décrite comme un taudis par les policiers qui y ont accédé. La police signale quelque temps après qu’elle a été interpellée à la gare St Lazare faisant la mendicité avec son dernier bébé110. Le juge rend alors une

ordonnance aux fins de recherche et de conduite. La mère est interpellée et les enfants immédiatement conduits à l’Aide sociale à l’enfance.

2) La violence du placement 

Ce premier tour d’horizon autour de cette problématique resterait incomplet en ignorant que le sujet abordé n’est pas facile émotionnellement, et que l’on ne traite pas de ces « souffrances autour du berceau »111 de manière neutre et bienveillante.

La plupart des rapports récents sur la question de la protection de l’enfance abordent cette question, ou du moins ne l’éludent pas, renvoyant en miroir la souffrance des familles et celles de professionnels : le placement de l’enfant est une épreuve subie et partagée. Voici les propos du rapport Roméo : « Advienne la séparation de l’enfant

avec sa famille et le champ de la protection de l’enfance peut se transformer en cercle vicieux de la maltraitance : la maltraitance familiale subie par l’enfant se doublant parfois, à l’intérieur même du dispositif cette fois, d’une négligence voire d’une maltraitance institutionnelle subie ou agie, en tout cas vécue par les enfants, les parents et les professionnels eux-mêmes, tous victimes d’une violence autant réelle que symbolique » (Romeo Claude, 2001), p. 13.

Certains de nos interlocuteurs, ont explicitement exprimé leurs sentiments à ce propos, souvent une détresse face à ces situations difficiles. Le placement d’un enfant est vécu comme un échec de leur travail, même s’ils sont sûrs de faire au mieux. La plainte la plus récurrente était le non retour sur les situations dont ils se sont occupés, ne leur permettant pas réellement d’appréhender la suite ou simplement d’avoir des nouvelles, après un investissement souvent effectif, parfois long.

Nous avons pu observer une tendance des équipes à prendre fait et cause pour la mère ou pour l’enfant, selon que leur fonction les conduit à prendre en charge l’un ou l’autre. Mais dans tous les cas, leur implication peut les entraîner dans un investissement affectif non maîtrisé. Voici comment l’expliquait une psychiatre, en montrant que le conflit était assez inévitable entre les différents protagonistes :

Nous avons pour principe que le conflit puisse vivre et s’exprimer comme tel. Que la question que j’ai, ou que je n’ai pas d’ailleurs est que les pouponnières ce sont des abris pour les petits enfants, donc tout ce qui peut faire mal aux petits enfants est hostile à la pouponnière. Çà, c’est commun à l’obstétricien qui déteste que les femmes toxicomanes accouchent de petites crevettes qui pèsent 1kg200 et qui

110 - Sur une information à la PMI d’une autre jeune mère, qui la connaissait et l’avait reconnue dans

les couloirs du métro.

sont en manque. Pour un obstétricien, c’est insupportable, d’aider à mettre au monde un petit enfant qui souffre, donc il en veut à la maman. Parce que sinon il aurait décidé de faire un autre métier ! Hein ! C’est-à-dire que je crois qu’il y a des moments où les choix professionnels des gens, on va appeler çà les vocations, sont attaquées par ce que les gens vivent. Alors je dis pas que c’est bien d’en vouloir à la maman,

C’est,

Çà ne peut pas en être autrement. C’est une attaque personnelle ! Moi, je suis une puéricultrice et je vois une maman raide défoncée et le bébé qui est à moitié par terre comme çà et je m’énerve, parce que j’ai décidé d’être puéricultrice. Quand j’ai décidé d’être psychiatre et de m’occuper de toxicomanes je suis morte de rire, parce que je ne suis pas puéricultrice, j’ai décidé d’être psychiatre et je la trouve follement drôle cette nana, d’accord ! En revanche je vais en vouloir à l’obstétricien qui est méchant avec la petite dame que j’aime tellement et que je suis depuis dix ans, et qui a fait tellement d’efforts déjà.

[Ben oui !]

Ben oui, et je pense qu’il faut comprendre pourquoi a un moment donné l’autre est attaqué, repérer qu’il a été attaqué et lui donner un peu de temps pour se reprendre.

Hum

Parce qu’il y a quelque chose de fondamental en nous, et c’est pas la même chose pour la pouponnière, hein, qui va être entamé, et c’est là, ce respect de l’autre professionnel, qui n’a pas les mêmes choix que moi. Moi j’ai décidé de parler avec des fous, c’est pour çà que je suis psychiatre, mais les autres ils en ont peur… C’est pas le même métier et donc on est pas sur les mêmes voies.

Psychiatre, entretien n° 34.

Les femmes rencontrées, comme les professionnels, ont au fil des entretiens exprimé leurs difficultés face à cette mesure qui, même lorsqu’elle n’implique pas une séparation définitive, est difficile à vivre.

A- Le vécu du placement par les mères 

Le placement, quant bien même serait-il négocié ou préparé, constitue pour les mères une épreuve et surtout une atteinte très forte à leur estime de soi (souvent déjà défaillante, nous l’avons évoqué). En effet, outre la séparation d’avec l’enfant, vécue par certaines comme un deuil, puisqu’elles ont des difficultés à se projeter dans l’avenir, c’est leur capacité à être mère qui est ébranlée. Et souvent, pour surmonter cet échec, la seule ressource qu’elles auront sera de refaire un autre enfant, dans une tentative de réparation de la douleur imposée.

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