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a) Les foyers mère-enfant ou les centres maternels

L’idée de centre maternel n’est pas neuve puisque de telles structures existent dès la fin du XIXème siècle, même si elles ne prennent réellement corps qu’au lendemain de la première guerre mondiale. Il s’agit de permettre aux femmes enceintes isolées ou sans ressources de mener leur grossesse à terme puis d’accoucher et d’allaiter l’enfant dans des conditions décentes et anonymes. Le décret de 1939 leur donnera une existence légale « Pour chaque département, le Préfet désigne après avis conforme

du Conseil général, les établissements publics dits « maisons maternelles » qui devront accueillir sans formalités les personnes enceintes d’au moins sept mois et les mères avec leur nouveau-né ». Dans des descriptions très récentes des aides à la

famille, on trouve encore cette notion de centre maternel ouvert à toutes les femmes qui le demanderaient. La réalité et les pratiques sont beaucoup plus complexes, par suite d’une évolution de ces centres vers une prise en charge éducative des femmes qui les sollicitent. Il n’est pas dans notre propos d’en reprendre ici l’évolution103, mais

de définir ce qui aujourd’hui les rend pour la plupart inaccessibles aux femmes toxicomanes isolées et sans ressources, en dépit d’un texte visant a priori toutes les mères.

Les objectifs des centres maternels ont été redéfinis dans le cadre de la circulaire du 24 janvier 1984 relative aux parents isolés, avec des objectifs ambitieux, y compris celui de répondre à l’urgence sociale par des structures assurant une continuité du service, sur le modèle des urgences médicales. A l’évidence, les départements sont très loin d’avoir rempli des objectifs aussi vastes. Quand l’accueil des femmes enceintes et des mères de jeunes enfants est réalisé par l’ASE, les conditions en sont quelquefois inadaptées, comme le relève le rapport de l’IGAS sur quatre départements, par exemple dans des foyers de l’enfance (Jacquey-Vazquez Bénédicte

et al., 2000).

Actuellement, ces établissements sélectionnent très fortement leur clientèle, sur la base d’entretiens de motivation, pour privilégier des femmes ayant des projets d’insertion, la plupart des centres ayant un règlement obligeant les jeunes mères à travailler ou à suivre une formation dès les deux mois de l’enfant (Donati Pascale et

al., 1999). Globalement, la situation décrite par tous nos interlocuteurs est celle de

centres refusant tous les cas sociaux, les pathologies comme les « simples » problèmes de logement. Les centres maternels ne se positionnent plus comme des structures de simple hébergement, mais comme des structures éducatives :

Les centres maternels en général, eux ils acceptent pas, s’il y a des problèmes de logement, mais ils accueillent s’il y a des difficultés relationnelles entre la mère et l’enfant.

Hum

Donc là, ils essayent bien de faire la différence. Pour eux, c’est pas, ils se décrivent pas comme des centres d’hébergement, qui accueillent des ruptures d’hébergement, ils accueillent des personnes, des femmes qui ont des difficultés, euh relationnelles. Donc là, ils savent bien différencier et ils y tiennent […/…] [D’accord, donc ils n’ont pas du tout une mission d’hébergement, donc je dirais des femmes enceintes par exemple ?]

Non, c’est vraiment quand il y a une difficulté relationnelle entre la mère et l’enfant

Assistante sociale polyvalente, entretien n° 42.

Pour éviter de procéder à un signalement et éventuellement un placement, tous s’accordent sur le fait qu’il faut pouvoir proposer une structure suffisamment « encadrante » pour que le risque de danger pour l’enfant puisse disparaître. De telles structures doivent permettent de préserver le lien mère-enfant, tout en offrant des garanties pour la sécurité du nouveau-né. En principe, de tels foyers existent, mais pas forcément sur le département des Hauts-de-Seine :

Mais le problème, nous, avec les mamans, c’est que les centres maternels classiques ben on en trouve pas. Çà, c’est notre gros problème, le centre maternel pour mère toxicomane çà n’existe pas. Et les centres maternels classiques avant prenaient des mamans et ils ont eu tellement de problèmes avec ces mamans-là qui sont assez dans la violence, qui sont agressives, qui cassent tout et maintenant ils ont décidé pour avoir la paix de ne plus en prendre. Donc ce qui est dommage car on a quand même des mamans qui sont tout à fait euh, qui sont substituées donc elles prennent pas de produit, elles ont une substitution, depuis des années, qui se maintiennent bien et qui mériteraient d’avoir leur place dans un centre maternel. Parce que le centre maternel c’est quand même jusqu’aux trois ans de l’enfant, il y a tout un travail qui est fait avec les éducateurs, pour l’insertion professionnelle, la formation ou autre et c’est, nous on a l’exemple d’un maman qui mériterait d’avoir cet accompagnement.

On remarquera dans ce propos que, si le signalement judiciaire est considéré comme une sanction pour la mère toxicomane, les alternatives doivent « se mériter » et devraient venir « récompenser » la femme qui s’engage dans un protocole de substitution et par là même se soumet au contrôle social.

De même, pour les femmes qui accèdent à ces structures, les conditions ne doivent pas y être trop bonnes, dans l’esprit des professionnels, du fait de la faute supposée : « Aujourd’hui encore, les professionnels estiment que l’ancienne représentation de la

maternité célibataire est encore prégnante : l’hébergement des jeunes femmes reste inconsciemment punition d’un acte réprouvé, la mère célibataire est mal vue, l’établissement garde un côté « carcéral », l’idée étant que les conditions de vie offertes sont bien suffisantes pour ces femmes » (Donati Pascale et al., 1999, p. 83).

Dans de telles conditions générales, que dire des femmes célibataires, isolées, sans ressources et de surcroît toxicomanes, ou avec des problèmes de santé mentale ? Précisément, le centre maternel n’est pas toujours reconnu comme une alternative valable par de nombreux professionnels, parce qu’il ne paraît pas adapté à l’accueil d’une mère toxicomane. Les raisons en sont apparemment multiples, tenant tout à la fois à la mission de ces établissements et au psychisme de la femme dépendante, qui l’empêche d’en respecter les règlements ou contraintes.

Ben, les centres maternels, mais c’est vrai que les centres maternels, quand il y a une problématique de toxicomanie, c’est extrêmement compliqué quand même, hein, c’est pas… c’est pas facilité d’emblée l’admission d’une mère toxicomane en centre maternel, c’est vrai que le centre maternel, l’objet c’est quand il y a une difficulté relationnelle entre la mère et l’enfant. La toxicomanie, c’est pas source de difficultés relationnelles. […/…] Ils sont très, très réticents à l’accueil de mères toxicomanes çà c’est évident, parce qu’en plus ce n’est pas un accueil individuel, c’est un accueil collectif. Qu’est-ce que çà va impliquer pour les autres mamans cet accueil d’une mère toxicomane, hein, dans le centre maternel. Et moi j’ai rarement vu d’admission de mères toxicomanes en centre maternel. Peut être, il y a des centres qui existent après, qui sont spécialisés dans l’accueil des mères toxicomanes mais je sais pas, moi j’ai pas connaissance sur la région Ile-de- France de tels lieux d’accueil.

Cadre socio-éducatif ASE, entretien n° 15.

Ainsi le règlement intérieur de ces centres prévoit le plus souvent que toutes les consommations de substances psychoactives (sauf le tabac) sont prohibées, la règle de l’abstinence étant la plus courante dans les établissements dépendants du secteur sanitaire et social. De même, il est bien évident que les actes de petite délinquance comme les vols ne peuvent y être tolérés.

Pour une femme dépendante, dans une toxicomanie encore active, il est clair que l’arrêt tant de la consommation de drogues que d’éventuelles façons frauduleuses de se procurer de l’argent, restent deux objectifs difficilement accessibles. De plus, en cas de problèmes, elles sont bien évidemment beaucoup plus souvent soupçonnées que d’autres, comme nous l’a mentionné Christine relatant son expérience d’un tel centre « Il y a eu des vols, et je comprenais que j’étais parmi quelques uns, mais

d’autres non, mais je me suis fait renvoyer ».

Or, le risque que les situations de tolérance des consommations entraîne des dérapages est loin d’être théorique, les personnels y ont été confrontés, ce qu’évoque cette auxiliaire de puériculture pour justifier que les centres maternels n’aiment pas prendre des femmes toxicomanes :

Est-ce qu’ils n’ont pas peur aussi, de faire rentrer de la drogue dans un établissement ?

[Question : La propagation ?]

Ben nous on a eu un gros problème, avec du cannabis, çà fumait partout dans les étages, il y avait du trafic, donc des mecs qui venaient, euh, en plus dans le quartier il y avait un réseau, donc çà devenait presque, le centre maternel, là où on pouvait se fournir dans le [numéro de l’arrondissement], donc ben euh. Est-ce qu’il y a pas cette crainte là aussi avec la drogue ?

Auxiliaire de puériculture, entretien n° 44.

Or, le renvoi de la mère d’une telle structure implique souvent le placement de l’enfant. Celui-ci est alors confié à l’Aide sociale à l’enfance, tandis que la mère est abandonnée à son sort. Dans de telles conditions, la suite la plus habituelle, l’histoire de Christine l’illustre, est la disparition de cette mère, qui retombe à une vie de rue et replonge dans une consommation de drogue. De fait, afin d’éviter d’en arriver à de telles situations, les centres maternels développent diverses stratégies, y compris de déplacer les cas difficiles :

Ah mais il y en a qui se font virer oui, quand elles se battent, enfin il y a des avertissements

[Question : Virées, donc çà veut dire l’enfant placé ?]

Virées, non, çà peut être dans un autre centre maternel, ils font des échanges vous savez, comme les prisonniers, on a vu çà nous, c’est un peu, on en rigolait mais c’est un peu. Bon ben alors là il y a un échange on prend madame qui vient de je sais pas où et… A un moment il y a un gros conflit entre des femmes et on en enlève une parce que c’est elle qui a sorti son couteau la première bon ben on la vire donc. Non, si elle est virée çà peut être aussi en hôtel social et en, après il y a tout qui se met en place, la puéricultrice de secteur, enfin j’espère quoi. Mais ils virent pas comme çà quand même, il y a un premier avertissement, mais c’est des cas extrêmes. Elles se sont battues à coups de couteau, ou alors insultes à un professionnel, ou elles essayent de taper sur le professionnel.

hum

C’est ce qui nous arrive de temps en temps à la crèche… Auxiliaire de puériculture, entretien n° 44.

Ce décalage entre la demande institutionnelle, liée aux exigences de la vie collective, et les possibilités immédiates de ces mères toxicomanes, explique que leur présence est plus avérée dans les lieux d’accueil de très court terme, comme les foyers d’urgence ou les Boutiques104, que dans des centres de moyen ou long séjour.

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