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a) La méfiance et la peur du placement

La plupart des mères toxicomanes sont bien conscientes du risque de placement de leur enfant et ont beaucoup de mal à faire confiance aux services sociaux. La plupart des intervenants en conviennent :

Elles ont peur du placement, bien sûr, elles sont pas folles, hein ! On leur a dit partout qu’on allait leur enlever…

Puéricultrice PMI, entretien n°6.

Pour les femmes qui ont connu le placement, ou qui l’ont expérimenté dans leurs relations, la défiance vis-à-vis des services hospitaliers s’exprime un peu différemment ; elles ne peuvent pas ne pas faire suivre leur grossesse, ce qui serait perçu comme le premier acte de maltraitance, mais elles évitent de rencontrer les intervenants qui leur paraissent les plus « dangereux ».

L’assistante sociale, c’est le placement de l’enfant, il y a une certaine connotation hein, pour les femmes qui ont déjà vécu auparavant des placements d’enfants, l’assistante sociale c’est la loi, c’est la justice, c’est… C’est le premier maillon vers, hein, hein, la psychologue moins.

Cadre sage-femme, entretien n° 10.

La méfiance est généralement totale vis-à-vis des services perçus comme « captateurs d’enfants », en particulier l’Aide sociale à l’enfance et le service éducatif qui assure le suivi des mesures en milieu ouvert. Voici deux extraits de l’interview de Brigitte, qui montre bien cette angoisse permanente, nécessitant de se composer un rôle et de veiller à être « conforme » lors des entrevues avec l’éducatrice qui la suit :

Non, je la connais moins bien. Et puis, c’est plus, c’est plus réservé quoi. Avec [assistante sociale], je m’exprime clairement, tandis qu’avec cette dame-là je prends quand même des pincettes, je fais attention à ce que je dis quoi,

Oui, j’ai une méfiance vis-à-vis d’elle

- Pourquoi, parce qu’elle vous voit dans le cadre d’une mesure judiciaire ? Tout à fait madame,

- D’accord. Et comment vous percevez son rôle, elle est, vous la jugez plutôt comme quelqu’un qui vous surveille ?

Non, je la juge comme quelqu’un qui, comment on pourrait dire, qui surveille à ce que tout se déroule bien, pour les enfants.

- D’accord, elle vérifie que çà se passe bien pour les enfants ?

Voilà, qu’ils manquent de rien, qu’ils aient leurs petits soins quotidiens, leur équilibre,

- Et alors, qu’est-ce qui se passe, vous lui amenez les enfants, elle vient à domicile ?

Non, elle vient à domicile, elle vient me voir ou on va manger au Mc Do109, elle m’invite souvent au Mc Do, manger une glace, euh, et puis on discute comme çà, gentiment, quoi. Oui elle est très gentille en plus.

- D’accord. Mais quand même vous la percevez comme quelqu’un…

Ben je fais attention parce que euh, je sais que, si, il se passe quelque chose, ils seraient capables de me les retirer mes enfants, et puis alors là ben j’en mourrais. J’en mourrais.

- Vous pensez toujours çà ? Vous pensez toujours qu’on risque de vous les retirer ?

J’ai peur qu’on me les prenne …/…

J’ai cette réticence parce que c’est l’administration, c’est l’administration et ils sont fermes et stricts, et je peux pas leur exposer des problèmes psychiatriques aigus, quand je me mets à délirer, des choses comme çà, que je me retrouve hospitalisée, euh, j’ai toujours peur qu’on me les enlève, parce que dans ces cas- là, je peux plus m’en occuper.

Brigitte, entretien n° 10.

Le dialogue avec la mère, ou les parents, est indispensable pour les intervenants, et, en cas de besoin, ils n’hésitent pas à employer « la manière forte » quand cela est impossible. Ce dialogue se veut le plus clair possible, il n’est pas question d’approuver la toxicomanie, ni d’en minimiser les implications comme certaines mères tentent de le faire en banalisant totalement leur consommation.

On les entoure avec leur accord et la compréhension, on leur dit que voyez c’est forcément fragilisé. En fait, mon principe, c’est de dire que j’ai bien entendu qu’ils étaient toxicomanes, et que je considère que c’est un danger pour l’enfant enfin quand même et que, quand ils peuvent aller mal, là ils me montrent qu’ils vont bien, mais je sais très bien qu’ils vont aussi très mal quand ils se piquent, ils se piquent et que l’enfant est.. et je le dis.

[Question : Et çà ils l’entendent ?] Ils en sont conscients.

Puéricultrice consultation PMI, entretien n° 6.

Pourtant, aussi bien dans les récits des femmes que dans ceux de certains intervenants en toxicomanie, l’incompréhension et le poids des normes chez certains intervenants sont tels que le placement paraît, à chaque nouvelle naissance, inéluctable, et s’inscrit dans une sorte de spirale sans fin.

109 - Il est impossible de prévoir des rencontres régulières dans les services de l’ASE par manque de

place et d’activités pour les enfants. Les éducateurs proposent des rendez-vous dans des lieux publics, squares, zoos, etc. ou dans des fast-foods où ils peuvent laisser les enfants jouer, observer la mère et le comportement en public des enfants.

b) Le déni

Pour qu’il soit possible de travailler avec les parents, en obtenant leur accord sinon leur adhésion au projet, les intervenants considèrent qu’il est indispensable que ceux- ci reconnaissent leurs difficultés et le fait qu’ils mettent en danger leur enfant, mais c’est loin d’être toujours le cas.

Non, c’était des parents qui étaient suivis en assistance éducative, en milieu ouvert, et qui jouaient pas avec nous, qui étaient pas tout à fait franc jeu quoi, c’est-à-dire que bon on savait qu’ils étaient toxicomanes mais eux ils étaient un peu dans le déni, ils faisaient comme si tout allait bien, ils faisaient comme si… Juge des enfants, entretien n° 18.

Le déni peut également être formulé sous la forme d’une injustice dont serait frappée la femme, en particulier quand elle se compare à d’autres, qu’elle estime dans des situations plus graves que la sienne. Ce fut le cas de Sophie, rencontrée en centre de soins, qui n’était pas en état d’accepter un entretien, mais avec laquelle j’ai pu échanger quelques minutes dans le couloir (elle était très vindicative). Mes notes de terrain me permettent de reconstituer le dialogue, en grande partie avec les termes qu’elle a utilisés, que j’avais notés aussitôt après :

Oui, les autres c’est des vraies camées, on leur laisse leur enfant. Moi c’est des salauds. La prochaine fois je leur dirais rien, je vois pas le médecin, j’accouche seule chez moi et ils pourront pas me le prendre.

Sophie, notes de terrain

Sophie se compare à d’autres femmes suivies par le centre, telles qu’elle les perçoit. Les « vraies camées », ce sont celles qui prennent de la drogue. Elle, prend de la méthadone, mais consomme de manière non contrôlée de l’alcool (elle sent très fortement l’alcool lors de notre rencontre) et des médicaments. De plus, elle est en voie de clochardisation, elle est pieds nus au mois de mars, avec un très vieux manteau de fausse fourrure, non lavée, d’une maigreur extrême, les dents abîmées. Sa voix est pâteuse et, de fait, il est impensable d’envisager un enregistrement qu’elle refuse de toute façon avec colère, en disant que çà ne servirait à rien. Elle a une fille de trois ans, placée.

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