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e) La mauvaise alimentation et le détournement des ressources

Les mères toxicomanes, outre l’oubli de l’enfant, présentent parfois des comportements déformés par rapport à la prise de nourriture, il existerait également un risque qu’elles ne soient pas à même d’identifier les besoins du nourrisson et que celui-ci soit en danger de dénutrition ou de déshydratation. Les professionnels de maternité et de PMI, attentives au bien-être du nourrisson, mettent généralement en avant ce danger : « Tout petit, c’est vrai que çà peut être le risque qu’on lui donne pas

suffisamment à boire » (sage-femme).

Cet aspect peut sembler très concret et facile à identifier pour ces professionnels, l’enfant ne grossit pas de manière satisfaisante, il est difficile à nourrir, voire présente plus tardivement des signes manifestes lorsqu’il est en présence de sa mère. C’est ce que nous a rapporté Zohra, au sujet de sa troisième fille :

Et donc j’ai commencé à être suivie, S. est née avec de gros problèmes de santé, pas N., hein ! pas la deuxième, la troisième. Elle est née avec de gros problèmes et alors là

[Question : quel genre de problèmes ?]

Régurgitations, elle grossissait pas, elle était pas bien à la maison, un peu de l’anorexie, et euh, donc beaucoup de suivi avec les pédopsy qui l’ont filmée, et ils se sont rendu compte que les problèmes, le problème venait de moi, puisqu’en milieu hospitalier elle grossissait régulièrement et avec moi pas du tout, et on m’a dit, mais ce serait bien que vous entriez un mois à l’hôpital, vous êtes déprimée. Zohra, entretien n° 33.

78 - Ce qui signifie qu’il avait assisté à des scènes d’injection de drogue, qui nécessite l’utilisation de

citron pour la dilution. Habituellement, les mères toxicomanes affirment toujours ne jamais se droguer en présence des enfants. Ici, le propos était de montrer à quel point l’enfant était mûr pour son âge et tentait de la protéger.

79 - Les Nouvelles d’Alsace, 14 octobre 1999 : « Nourrisson drogué ».

80 - Voir par exemple les récits de vie recueillis sur le devenir des enfants placés en Seine-Saint-Denis

De plus, comme le rapportent les études cliniques, en particulier américaines, l’enfant de mère toxicomane est irritable, difficile à consoler et a du mal à s’alimenter. Il est alors à craindre que, soit, il ne se nourrisse pas assez, soit, au contraire, la mère réponde à tous ses pleurs par un surcroît de nourriture, ce qui provoquera des troubles intestinaux et un cercle vicieux de gavage inadéquat. Pour d’autres interlocuteurs en effet, c’est l’excès de nourriture qui est à craindre comme seule réponse aux sollicitations du bébé. C’est l’opinion de cet intervenant en toxicomanie :

Hein, effectivement, ce sont peut –être des mamans qui ne vont pas payer leur loyer, qui vont faire des dettes, mais on n’a jamais observé des mamans qui ne nourrissaient pas leurs enfants, au contraire, elles auraient plutôt tendance à les gaver, et à acheter des jouets et à… mais bon c’est vrai qu’elles peuvent être en difficulté en tout cas au niveau des, j’allais dire du, comme tous parents mais à un degré moindre hein, au niveau des consignes éducatives de base, quoi.

Educateur, CSST, entretien n° 26.

On peut également associer cette question de la nourriture à la possibilité qu’une femme toxicomane détourne les ressources disponibles pour l’achat de la drogue, au détriment des enfants. Cette notion est retrouvée dans la littérature : « La

mobilisation des ressources financières pour l’achat de drogues peut engendrer des risques de négligence, car elle laisse peu de liquidités pour l’achat de nourriture et de vêtements destinés aux enfants » (Guyon Louise et al., 1998). Aucun de nos

interlocuteurs n’a abordé directement ce point, est-ce par crainte d’un jugement de valeur de leur part ? Seul, un intervenant en toxicomanie a, là aussi, réfuté catégoriquement cet argument :

Alors la particularité des mamans toxicomanes, c’est effectivement, ce sont donc des gens qui ont recours à des toxiques, à l’héroïne ou à des médicaments pour effectivement, soit donner le temps, soit éviter de penser, ou soit gérer. Bon, c’est çà la particularité. Ce qu’on imagine souvent, ou ce qu’on peut peut-être fantasmer, je ne sais pas, ce seraient des mamans, ou des parents, qui, comment dire, détourneraient l’argent des allocs ou du salaire, parce qu’ils ont un besoin irrépressible et qu’ils se drogueraient, au détriment du bien-être de base des enfants, ce qui est pas du tout ce qu’on a observé, pas du tout, du tout.

Educateur, CSST, entretien n° 25.

Pourtant, dans certains dossiers examinés, cette question se pose en filigrane. En voici un premier exemple. La puéricultrice de PMI constate lors de ses visites à domicile chez une jeune femme toxicomane que l’enfant régurgite et discute de la question du lait avec la mère. Celle-ci déclare ne pas avoir suffisamment d’argent pour acheter le lait maternisé 2ème âge préconisé. Sur sollicitation de l’Aide sociale à

l’enfance, un crédit est débloqué pour financer l’achat du lait. La puéricultrice ne constate aucune amélioration, le lait n’ayant pas été acheté, l’argent fourni ayant été détourné. On peut s’interroger sur le fait que la PMI n’ait pas mis en place un secours en nature, c’est-à-dire des boites de lait achetées par la puéricultrice ? Zohra, lors d’un entretien avec Sandrine Aubisson a abordé cette question, car avec le recul, c’est une partie de sa vie qu’elle a du mal à assumer :

C’est assez difficile quoi, c’est… voilà je m’en suis servi pour manipuler, je m’en suis servi pour mentir, je m’en suis servi pour avoir ma drogue en disant « voilà, il faut m’aider pour mes enfants parce que je n’ai plus de lait », parce que, en fait c’est de l’argent qui me servait pour acheter ma dope et euh… et après tout çà, c’est quand même un sentiment d’humiliation, de honte qui vient et qui…

La solution adoptée par certains services de ne faire que des dons en nature n’est d’ailleurs pas le remède quand la femme est dans une toxicomanie très active. Dans un ouvrage consacré aux mères toxicomanes, l’une d’entre elles raconte comment elle allait chaque jour chercher des couches auprès de centres d’aide qu’elle revendait à ses voisins (« je fournissais tout le quartier ») de façon à disposer de liquidités (Murphy Sheigla et Rosenbaum Marsha, 1999).

La tutelle aux prestations familiales est ainsi une mesure administrative courante, prise par l’Aide sociale à l’enfance, ou du moins demandée au juge, pour avoir la certitude que les prestations seront bien utilisées au bénéfice des enfants.

Christine a connu des problèmes de budget d’une extrême gravité pendant l’année 2002. Son conjoint n’a que le RMI, elle-même sa seule allocation adulte handicapé, car avec une seule enfant à charge les allocations familiales sont inexistantes. Pourtant, son conjoint est alcoolique et non seulement dépense tout son argent pour l’achat d’alcool, mais également celui de sa partenaire. De plus, il joue au tiercé. Les dettes s’accumulent très vite, jusqu’à l’expulsion l’hiver suivant.

Sur ces trois exemples, il est difficile d’estimer la valeur de cet argument. Un indice supplémentaire sera donné par le recours à la prostitution, à laquelle les femmes ne recourent souvent que lorsque les ressources deviennent insuffisantes et qu’elles ne veulent pas courir le risque de se faire interpeller, du fait de la présence d’enfants.

B- Le rôle du placement 

Le placement, d’un point de vue juridique, fait partie des mesures d’assistance éducative, sous la forme d’un retrait de l’autorité parentale. Quel sens les professionnels donnent-ils à cette mesure ? De très nombreux ouvrages ont été publiés sur le placement, en particulier sur le placement familial, c’est-à-dire en famille d’accueil, différente de la famille biologique. Le sens exact de cette mesure n’est pas défini par la plupart de ces ouvrages, ce qui révèle sans doute que cela va de soi.

D’un point de vue historique, l’expression « placer » peut revêtir deux sens. On place les enfants en nourrice et les personnes se placent dans un métier. Dans la première acception du terme, on retrouve l’expression juridique actuelle, selon laquelle les enfants sont confiés par le juge à une institution ou à une tierce personne. Dans cette perspective, il semble évident qu’il y a un déplacement de l’enfant qui se retrouve ailleurs que dans sa famille d’origine.

Si le juge considère qu’il convient de séparer les enfants de leurs parents biologiques, cette première définition ne soulève aucun problème. Les choses se compliquent quand on désire tout à la fois séparer les parents des enfants et y voir une mesure éducative et surtout, comme l’indiquent les textes internationaux récents (convention des droits de l’enfant) et la jurisprudence de la Cour européenne, ne pas priver l’enfant du lien avec sa famille biologique.

En d’autres termes, il faut à la fois séparer physiquement et maintenir le lien, ce qui nécessite de redéfinir ce placement. C’est ce qui est fait dans un ouvrage récent sur la

séparation précoce. Caroline Mignot propose alors la définition suivante : « Réaliser

une séparation précoce n’est pas éloigner –c’est-à-dire mettre à distance- ce n’est pas séparer –c’est-à-dire empêcher d’être ensemble-, mais placer dans le sens de

redonner une place à chacun » (Debourg Alain (dir.), 2003).

Il s’agit maintenant non plus d’étudier quels sont les rôles assignés au placement de l’enfant au plan théorique ou légal, mais ce qui ressort de nos entretiens et comment les professionnels reconstruisent la mesure qu’ils ont eux-mêmes décidée.

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