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Le placement et les droits de l’enfant

c) Les tests biologiques

E- Le placement et les droits de l’enfant

Historiquement, le placement des enfants concernait essentiellement les enfants abandonnés. Ce sera le cas jusqu’à la fin du XIXème siècle. A ce moment, le regard change sur les familles qui sont perçues comme pouvant être pathogènes pour les enfants, la cellule familiale est source de danger pour l’enfant et au nom de la protection des enfants, la puissance publique est fondée à intervenir au sein des familles (Rollet Catherine, 2001).

Après la seconde guerre mondiale, le nombre d’enfants abandonnés diminue au point que cette préoccupation soit oubliée. La loi va y substituer l’accouchement sous X et le libre consentement à l’adoption qui vont faire disparaître les abandons du paysage français. Le délit d’exposition d’enfant ou abandon dans un lieu solitaire cesse ainsi d’être utilisé dans les juridictions françaises. Moins d’une demi-douzaine de cas sont rapportés par la presse chaque année31, bien qu’ils

soient sans doute plus nombreux32. Les abandons d’enfants existent néanmoins

dans le cadre hospitalier, outre la procédure d’accouchement secret (sous X), comme nous allons le développer dans cette recherche, mais il n’y a pas de délit puisque l’enfant y est en sécurité.

D’autres pays proches, ne disposant pas d’une législation aussi favorable à l’abandon par la mère, ont réintroduit des structures ressemblant aux « tours33 »

anciens mais en adoptant un vocabulaire plus acceptable pour notre époque puisqu’elles ont été baptisées les « nids »34.

Face à une problématique familiale, entraînant sinon des risques de maltraitance, du moins des carences éducatives, la première solution historiquement retenue a été la séparation, le retrait de l’enfant de sa famille et son placement dans un établissement, hospice puis internat (Durning Pierre, 2000). Cette séparation visait essentiellement les familles populaires que les institutions charitables entendaient réformer, entre autres par le patronage. La résistance de ces familles entraînera des solutions plus radicales, visant à séparer l’enfant de son milieu d’origine : « Cette découverte de la résistance des classes laborieuses, le refus du

contrôle social qu’elles manifestent, engendrent un changement d’attitude des élites : plutôt que de chercher à réformer la famille ouvrière (c’est elle qui est principalement visée), elles arracheront les enfants à l’ambiance délétère de ces foyers corrompus » (Yvorel Jean-Jacques, 2001).

Le concept développé ensuite est celui de suppléance familiale. Ce terme garde son ancienne racine, puisqu’il y est question de remplacer ou de se substituer à la

31 Le dernier en date, concernait un enfant abandonné dans une église du 16ème arrondissement de

Paris en janvier 2004.

32 Un travail portant sur les enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance de Paris dénombre ainsi

environ 2 enfants trouvés par an, dans la seule capitale, dans la décennie 1990.

33 - Le tour était destiné à recevoir les enfants abandonnées, il était souvent placé sur les murs des

églises ou des hôpitaux afin de permettre le dépôt anonyme de l’enfant.

famille biologique (Larousse). Malgré l’évolution, l’idée dans les pratiques françaises reste de remplacer les mauvais parents par la (bonne) institution. Au contraire, le terme employé en Belgique de guidance familiale, émergé dans les années 1950, laisse supposer une aide mais non un remplacement.

L’évolution de ces termes est intéressante, comme le montre Dominique Fablet : « Le terme suppléance a été préféré à substitution, largement utilisé dans la littérature professionnelle avant les années quatre-vingt, pour plusieurs raisons. En ayant recours au mot substitution, il y a l’idée du remplacement du même par le même, alors que lorsque l’on supplée, c’est bien qu’il y a manque, mais ce qui vient à la place de ce manque n’est pas exactement du même ordre que lui, et ce qui vient remplacer ce qui manque se présente comme supplément. Secondairement, alors que la substitution s’opère généralement pour pallier une absence, la suppléance peut s’exercer sans qu’il y ait forcément absence. Aussi le terme de substitution a-t-il été réservé pour qualifier les situations d’adoption. Mais ce changement de terminologie indique aussi que, pendant longtemps, le placement des enfants a fonctionné sur le registre de la substitution » (Fablet Dominique, 2002).

Le coût, économique, mais surtout humain (maltraitance institutionnelle, reproduction trans-générationnelle), de cette politique a également entraîné sa remise en question dans les années 1970, d’autant plus qu’au niveau international, l’émergence des droits de l’enfant allait dans le même sens. Les débats sur le placement en font une question politique. De nombreux rapports ont été publiés sur le placement et ses conditions à partir des années 1970 qui seront évoqués dans le corps du texte (Bianco-Lamy en 1979, IGAS 1995).

Pour la période récente, une mission d’évaluation a été confiée à l’Inspection générale des Affaires Sanitaires qui a rendu un rapport en juin 2000 : « Accueils

provisoires et placements d’enfants et adolescents : des décisions qui mettent à l’épreuve le système français de protection de l’enfance et de la famille » (Naves

Pierre et Cathala Bruno, 2000). Une ligne directrice de cette mission était de répondre aux accusations de l’Association ATD Quart Monde35 au nom des

familles d’enfants placés, selon lesquelles la pauvreté serait à l’origine du placement des enfants des familles les plus démunies.

Ce rapport commence sur le constat suivant « Parmi les 300 000 enfants et adolescents concernés par des mesures de protection de l’enfance, environ 150 000 sont séparés de leurs parents ». Autrement dit, aujourd’hui encore, malgré l’évolution des textes, la mesure la plus souvent prise en matière de protection des enfants est la séparation d’avec la famille biologique. Ce rapport relève également des difficultés d’évaluation du nombre des enfants.

La mission constate également que les droits des familles restent généralement ignorés par les services judiciaires et administratifs, ce qui va dans le sens de la condamnation de la France, comme d’autres pays comme l’Angleterre, par la Cour européenne sur le non respect des droits de la défense. Par la suite, le rapport Deschamps (2001), commandé par le ministère de la justice pour réfléchir à l’introduction du contradictoire dans la procédure d’assistance éducative, propose la modification de plusieurs dispositions du code de procédure civile (Deschamps

35 - Comme le note la mission, contrairement aux familles d’enfants handicapés, les familles

d’enfants placés n’ont pas été représentées par des associations de défense jusqu’aux années 2000.

Jean-Pierre, 2001). Une grande partie de ces propositions sera reprise dans le décret de 2002 sur lequel nous allons revenir.

Enfin un rapport du groupe de travail « Protection de l’enfance et de l’adolescence », présidé par Pierre Naves et intitulé « POUR et AVEC les enfants et les adolescents, leurs parents et les professionnel. Contribution à l’amélioration du système français de protection de l’enfance et de l’adolescence », en 2003 fera le point après les réformes de 2002 (Naves Pierre et al., 2003).

Pour ces mêmes années, le rapport du Défenseur des Enfants examinera les dysfonctionnements de l’Aide sociale à l’enfance, en réponse aux plaintes reçues, mais surtout dans un souci d’améliorer le système français de protection de l’enfance (Défenseur des Enfants, 2004).

Ces rapports sur la situation en France montraient tous la résistance de l’institution au changement, malgré l’évolution très marquée des textes internationaux, en particulier en ce qui concerne les droits de l’enfant. Leur influence a néanmoins été certaine puisque si, en 1975, on comptait 235 000 enfants placés, leur diminution a été constante et le chiffre s’est stabilisé dans les années récentes autour de 135 000 (Observatoire National de l'action sociale décentralisée (ODAS), 2003).

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme énonce le principe selon lequel « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ». La Cour européenne a ainsi reconnu que « Pour un parent et son enfant, être

ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale » et que si un

lien familial existe, «L’Etat doit agir de façon à permettre à ce lien de se

développer » (ATD QUART MONDE, 2002). La convention, dans le même article

alinéa 2, évoque les exceptions au principe précédent qui doivent rencontrer trois conditions : « Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice

de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique pour rencontrer un ensemble de buts ».

La France dispose d’une loi prévoyant une ingérence dans la vie familiale, que nous évoquerons un peu plus loin. La première condition est donc facilement remplie. Pour ce qui est de la seconde, beaucoup plus confuse, Françoise Tulkens interroge la question épineuse du bien-être de l’enfant « L’intérêt de l’enfant bien

sûr doit passer avant toute autre considération, mais l’intérêt de l’enfant présente un double aspect. Il est certain que garantir à un enfant une évolution, dans un environnement sain, relève de son intérêt. Et donc la Cour l’a souvent dit, l’article 8 ne peut autoriser un parent à prendre des mesures qui sont préjudiciables à la santé ou au développement de l’enfant. Mais d’un autre côté, il est tout aussi clair que l’intérêt de l’enfant est que le lien entre lui et sa famille soit maintenu, sauf dans des cas extrêmes. Briser un tel lien revient à couper l’enfant de ses racines et peut être considéré comme une forme de maltraitance sociale » (ATD QUART MONDE, 2002). Enfin, la troisième condition est que

cette mesure soit nécessaire et donc que les motifs invoqués soient sérieux, décisifs, pertinents et établissent un besoin social impérieux (ibid, p. 99).

D’autres aspects intéressants de la limitation par la Cour européenne des droits des Etats à séparer les parents des enfants retiendront notre attention dans les

développements concernant notre travail empirique, nous ne les évoquons donc pas maintenant.

Quant à la question spécifique du placement des enfants de mère toxicomane, elle n’est que très peu abordée en soi dans la littérature française médicale ou spécialisée, sinon dans des études épidémiologiques concernant les grossesses en particulier des femmes héroïnomanes, comme une conséquence sociale de la consommation.

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