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Culture et construction psychique : un processus de symbolisation

4. Le concept d’identité en psychologie

4.8. Les stratégies identitaires

De nombreux modèles en psychologies ont été construits avec pour objectif majeur la saisine et l’explication de la dynamique interculturelle ainsi que ses répercussions sur l’identité. C’est à cette mouvance que s’inscrivent les travaux de Camilleri (1990, 1992). Des travaux dans lesquels il expose sa théorie des stratégies identitaires, devenue une référence dans le domaine. Dans les publications anglo-saxonnes, les recherches sur l’interculturel et l’identité sont plutôt centrées sur les processus d’acculturation et leurs impacts sur les individus et les sociétés. Le modèle le plus représentatif est celui de Berry (1989 ; 2000).

Camilleri (1990 ; 1992) va emprunter l’idée selon laquelle tout individu est à la recherche d’une estime de soi positive, c’est-à-dire une identité positive et que son appartenance à des groupes sociaux en dépend. Une fois que cette identité est dévalorisée ou remise en question, l’individu recourt à des stratégies identitaires pour la reconquérir. C’est en reprenant et en développant ce postulat que Camilleri (1990) va mettre sur pied sa théorie des stratégies identitaires en situation interculturelle.

Parlant par exemple du migrant, Camilleri (1990) estime qu’il vit le contact entre sa culture d’origine et celle de la société d’accueil comme un conflit, un morcellement culturel, et subit ainsi une pression psychologique se répercutant sur son système identitaire. Une telle répercussion de la situation interculturelle sur l’identité se traduit sous forme de deux

bouleversements. Le premier de ces bouleversements est l’atteinte à unité de sens ou l’équilibre du sujet est mis à mal, du fait que les valeurs traditionnelles auxquelles il s’identifie. Autrement dit, les valeurs définissant l’identité de base de l’adolescent camerounais ne lui permettent plus de s’accorder avec son nouvel environnement « moderne ». Ainsi, la cohérence entre ce que Camilleri appelle la fonction ontologique de l’identité (relative à son enculturation), et la fonction pragmatique (relative à la nécessité de s’adapter à l’environnement) est ébranlée. L’individu, pour restaurer cette cohérence perdue, aura alors recours à trois types de stratégies : les stratégies d’évitement des conflits identitaires par la cohérence simple, les stratégies d’évitement des conflits par la cohérence complexe et les stratégies de modération des conflits (Camillerie, 1990).

La construction de l’identité interculturelle nous apparaît ainsi comme composée de deux dimensions indépendantes qui sont la distance perçue entre les deux cultures et le conflit perçu entre ces mêmes cultures. La distance perçue entre les deux cultures est une composante cognitive, liée à un sentiment d’isolement culturel ou au stress émanant d’une mauvaise maîtrise des éléments de base de la culture autre que celle d’origine comme la langue et présente chez des personnalités ayant un faible niveau d’ouverture. Cette dimension concerne l’organisation conceptuelle des cultures au sein de l’identité, notamment l’ampleur des ressemblances et des différences qui existent entre la culture non d’origine et la culture d’origine. Le conflit perçu entre les deux cultures réfère quant à lui à la perception d’un tiraillement entre les identités culturelles. Les individus chez qui la culture non d’origine se heurte à la culture d’origine éprouvent un sentiment de contradiction et se sentent forcés de choisir entre l’une ou l’autre des cultures. Au Cameroun, les adolescents, en plus d’éprouver un sentiment de contradiction, estiment que la culture non d’origine s’impose à eux dans la mesure où celle-ci leur est enseignée dans les écoles alors même que la culture d’origine, non enseignée et très peu transmise perd de plus en plus de terrain. C’est au contraire la langue d’origine qui est ici méconnue.

Non seulement il y a chez les jeunes africains une distance perçue entre les deux cultures africaines et non-africaines, il y a chez certain, la frustration de la non-maîtrise des langues d’origine étrangère, devenues cependant des langues nationales. Chez certains et notamment dans les grandes villes, c’est au contraire la non-maîtrise de la langue d’origine africaine et des éléments de base de la culture qui font problème, car cette situation les isole de la culture de leurs ancêtres. Une culture de laquelle il reste illusoire de penser qu’ils sont aujourd’hui

d’origine comme non d’origine et l’impression d’être dans un entre-deux qui implique une difficulté énorme à se définir, à construire son identité. Un état de fait d’autant plus grave qu’en Afrique, le multiculturalisme implique souvent la mise en scène non pas de deux cultures uniquement, mais de plusieurs cultures à la fois : occidentale, africaine, Asiatique, chrétienne, musulmane, animiste… Ne pas avoir la maîtrise de sa culture et l’incapacité de se fondre totalement dans celles venues d’ailleurs mettraient à l’épreuve la capacité de maintenir une image positive de soi. En bref, il convient de dire que ceux dont l’identité multiculturelle est fortement intégrée se voient comme membres d’un troisième groupe culturel combinant leurs deux ou multiples cultures et percevant leurs identités culturelles comme étant compatibles, plutôt que mutuellement exclusives, opposées ou conflictuelles, alors que ceux dont l’identité biculturelle (multiculturelle) est faiblement intégrée ont de la difficulté à concevoir leurs deux (multiples) cultures comme formant un tout cohérent.

Cette conception de la mise en place de l’identité cherche à combler les lacunes du modèle de l’acculturation de Berry (2000) qui ne tient pas suffisamment compte de l’influence des différences interindividuelles dans le déroulement du processus. Ainsi, nous accordons ici une place importante aux variations socioculturelles et socio cognitives ainsi qu’aux facteurs émotionnels des jeunes dans la mise en place de leur identité.

4.9. Les échecs du processus de construction identitaire

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