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Culture et construction psychique : un processus de symbolisation

3. Le champ de la psychanalyse : le rapport culture et psychisme

3.2. Culture et psychisme chez Freud

La culture joue un rôle dans la structuration psychique des individus. Dans Totem et tabou (1913), Freud élabore des correspondances entre la psychanalyse, l’anthropologie et l’ethnologie. Il part de l’idée que les peuples sauvages sont les héritiers des premiers hommes et abouti à l’idée qu’il y aurait un stade primaire que l’on peut retrouver dans toutes les civilisations. Freud démontre ainsi le sens caché du totem et des interdits dont il justifie le lien avec la psychanalyse. Il tente également de prouver l’existence réelle du complexe d’œdipe et affirme que le mythe du meurtre du père est un événement historique fondamental dans la compréhension du développement de la société. Ainsi, Freud cherche à prouver que ses recherches psychanalytiques possèdent des origines historiques et anthropologiques. Dans Le malaise dans la culture, Freud (1930) utilise le terme de travail culturel pour faire état de la contrainte du sujet soumis à des sublimations pulsionnelles productrices d’un surmoi culturel. C’est-à-dire une loi qui trouve son origine dans une éthique qui a su instaurer un ordre et

justement, le surmoi apparaît comme l’instance qui porterait le patrimoine psychique de l’humanité, car il représente la tradition (héritier et gardien du souvenir de la menace de castration), mais aussi le présent de la culture. Par ses capacités d’auto-observassions, de morale et ses idéaux, le surmoi constitue l’instance majeure du travail culturel accomplit sur la psyché de toute personne ; ce qui va permettre à ladite personne de devenir un être moral et social. Par ce rôle, le surmoi empiète sur l’espace du ça. D’où la bataille continue que se livre ces deux instances.

Formelles ou latentes, les occurrences au rapport psyché-culture semblent avoir bénéficié d’une place importante dans l’œuvre de Freud. Pour notre auteur, le meurtre collectif du père dévoré ensuite par l’union des fils de la horde primitive serait à l’origine d’une psyché de masse. Le fort sentiment de culpabilité qui va envahir ces fils les oblige à instaurer des règles fondamentales : interdit de l’inceste, interdit du meurtre et interdit du cannibalisme. Ainsi, « la société repose à présent sur la part prise au crime collectif, la religion sur le sentiment de culpabilité et le repentir qui s’en est suivi, la morale en partie sur les nécessités de cette société et pour le reste, sur les pénitences exigées par le sentiment de culpabilité » (Freud, 1913, p. 296). Toute société qui est alors établie sur la double différenciation du sexuel et du générationnel assure une division des tâches et fonctions assurant ainsi l’harmonie de tous et de chacun par l’instauration d’un système d’interdits, de normes, de prescriptions et de valeurs. Cette organisation garantit l’autoconservation et la reproduction du sujet. Elle lui permet aussi de répondre aux besoins matériels et psychiques fondamentaux. Le tout par une double intervention : elle impose au sujet une renonciation libidinale, narcissique et agressive tout en lui assurant une porte de sortie par des idéaux culturels et les œuvres artistiques qui pour le sujet font office de solutions, de sublimation, tout en étant source de satisfactions substitutives. Par ailleurs, la mise en place des idéaux culturels et des représentations collectives en particulier religieuses et artistiques participent à l’élaboration d’un patrimoine commun constitutif d’une identité culturelle et génératrice d’un sentiment d’appartenance sociale.

Dans Lhomme Moïse (1939), le concept dhéritage archaïque permet à Freud de parler du savoir instinctif. Il démontre que les formations psychiques héritées de la culture forment le noyau de l’inconscient. La culture travaillerait donc à la constitution d’un patrimoine héréditaire archaïque composé de contenus innés tels que la symbolique du langage, les fantasmes originaires et les états d’affects renvoyant à des sédiments psychiques ou évènements vécus par les générations antérieures. La culture assure par ailleurs des dispositions déterminées,

pulsionnelles et de pensée. Van Gennep (1981) poursuit dans l’idée de Freud et affirme qu’il y a ainsi un devoir de transmission de ce patrimoine à ses participants, ce qui assure alors des liens intergénérationnels. Van Gennep précise, ce qui nous permet de mieux saisir le travail de culture chez Freud que cette transmission est généralement effectuée par des rites de passage comportant des opérations corporelles (extraction ou action de tailler les dents, scarifications, tatouages, circoncision, etc.) modifiant l’aspect naturel du corps. Chacune des étapes du cycle de la vie de tout individu (enfance, adolescence, âge adulte, mort…) en sera marquée. Freud (1913 ; 1939) s’est, en effet, intéressé de façon particulière à ces pratiques culturelles, car elles ont une incidence directe sur le fonctionnement psychique. L’analyse de la circoncision dans lhomme Moïse (1939) laisse paraître cette pratique comme un signe de sanctification du peuple juif par Moïse. Pour Freud, il s’agit là d’un signe visible qui isole ce peuple des autres et qui devient par là même, un marqueur identitaire source de satisfaction narcissique.

Revenons dire avec Van Gennep au sujet de la sanctification du peuple juifs par la circoncision que cette pratique est « le substitut symbolique de la castration que le Père primitif avait jadis infligé à ses fils, dans la plénitude de son pouvoir, et celui qui adoptait ce symbole montrait qu’il était prêt à se soumettre à la volonté du Père, même quand elle lui imposait le sacrifice le plus douloureux » (Van Gennep, 1981, p. 223). Le marquage ritualisé du passage est donc un travail de symbolisation caractéristique du travail de la culture.

Toutefois, le rapport entre anthropologie et psychanalyse ne se limite pas à une suite de correspondance entre ce qu’apportent l’analyse des institutions totémiques et celle des rituels et le matériel inconscient que dévoilent les cures. Il y a dans la façon qu’a le fondateur de la psychanalyse d’utiliser le savoir anthropologique. La culture reste un lieu de problèmes conceptuels utiles pour comprendre mieux la clinique, la cure, mais aussi cette part du collectif qui ne se révèle pas dans le simple examen des modèles idéaux de comportements et de valeurs. Ce que la psychanalyse dévoile est que le sujet humain n’est pas « maître » de son monde, que la réalité du lien social est débordée et divisée par le pulsionnel, et donc par le sexuel (Assoun, 2011). Les considérations anthropologiques sur le lien social sont ainsi interrogées dans leur profondeur par les théorisations psychanalytiques dans la mesure où le savoir psychanalytique insiste sur l’anomie de ce qui inscrit le sexuel dans le monde humain.

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