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Culture et construction psychique : un processus de symbolisation

4. Le concept d’identité en psychologie

4.3. Le concept d’identité chez Devereu

Dans un texte intitulé la renonciation à lidentité : défense contre lanéantissement (1967a), publié dans la revue française de psychanalyse, Devereux livre ses conceptions sur la notion d’identité. Ce texte qui est, en réalité une conférence faite à la société psychanalytique de Paris, le 17 novembre 1964 reste peu connu. Dès les premières lignes, il indique que l’objet de son étude est le fantasme que la possession d’une identité est une véritable outrecuidance qui, automatiquement, incite les autres à anéantir non seulement cette identité, mais l’existence même du présomptueux par un acte de cannibalisme, ce qui transforme le sujet en objet. Les patients les plus gravement atteints cherchent à se protéger contre ce risque, en renonçant à toute véritable identité ; ceux qui sont moins atteints se constituent une fausse identité. Pour Devereux (1967a), ces manœuvres représentent l’essence même du désordre psychique. Parlant de la situation psychanalytique, ces mêmes manœuvres seraient la base de toute résistance, puisque leur but est justement d’empêcher la découverte de la véritable identité du patient. Devereux préconise, durant la psychanalyse, l’analyse des symptômes et des comportements des patients en tant que résistances afin d’approcher de plus près le noyau de la névrose. Car, d’après lui, tout symptôme est une résistance soit contre l’acquisition et l’attribution d’une identité soit contre la découverte de l’identité réelle du sujet, identité que celui-ci ne veut ni connaître lui-même ni permettre aux autres de connaître. Il note à ce sujet qu’il en est ainsi simplement parce que toute névrose et toute psychose représentent soit une renonciation à toute identité réelle, soit un déguisement de la véritable identité du patient. On peut en effet noter chez l’adolescent camerounais vivant dans la capitale, un fantasme de persécution lié à la conviction de la possession d’une identité. Un fantasme qui nous semble avoir pour corollaire, le renoncement à leur véritable identité. Ce renoncement fait alors ressortir un faux self, une fausse identité qui n’est ni africaine, ni Occidentale.

Dans le texte cité, vont se construire d’une part l’identité de l’enfant et d’autre part le sens subjectif de son individualité, en tant que configuration totale. Chez l’homme, le sens d’un « soi-même » intégré, donc le sens d’une véritable individualité est une chose acquise, qui se constitue graduellement dans l’espace et dans le temps. La constitution d’une identité chez

l’enfant, qui ne la possède pas encore, pourra se produire après qu’il soit dégagé de l’unité duelle qui le rattache à sa mère. Devereux pense que ce dégagement marque la genèse même de son identité, en même temps qu’il est aussi le moment où il prononce, d’une façon ou d’une autre, le mot : « non ». Pour Devereux, le fait d’exiger de l’enfant une obéissance immédiate, aveugle, d’automate, empêche le développement d’un sens réel de la continuité de soi-même à travers le temps et par conséquent de son identité. Devereux conclura que les patients qui, dans leur enfance, ont été brimés par leurs parents, finissent par croire que le fait même de vouloir posséder sa propre individualité sera considéré « par des êtres tout-puissants » comme une effronterie et sera puni par la destruction de l’identité et jusqu’à l’existence même du « coupable ». À la fin du texte, Devereux fait la présentation de « cas clinique d’un de ses patients « borderline ». Nous ne devons pas être surpris de trouver à l’origine des troubles de son patient… bien sûr la mère de celui-ci. Cette mère, que Devereux décrit comme inconstante et écrasant l’identité de son fils, nous rappelle un motif récurrent dans son œuvre : l’incompréhension d’une mère (peut-être la sienne ?) » (Bloch, 2007, p. 53).

Dans Lidentité ethnique : ses bases logiques et ses dysfonctionnements, Devereux (1970) va marquer une distinction entre personnalité ethnique et identité ethnique. La personnalité ethnique est, pour lui, « un schéma conceptuel construit au moyen de généralisations inductives à partir de données concrètes, comme le comportement directement observé » (Bloch, 2007, p. 53). Il est aussi décelable à partir d’un comportement verbal d’un type particulier, en termes d’appartenance à une ethnie. L’identité ethnique n’est pas une généralisation inductive faite à partir de données comportementales. Les modèles d’identités ethniques sont dissociatifs : plusieurs traits culturels sont le résultat d’une acculturation antagoniste. Certains modèles d’identité ethniques sont contraignants : un Spartiate ne peut qu’être soldat. Par contre, l’identité ethnique des Athéniens permettait à un individu d’être athénien de plusieurs manières. Lorsqu’une identité ethnique particulièrement investie écrase toutes les autres identités de classe, elle cesse d’être un outil et devient, comme dans le cas de Sparte, une camisole de force. Le résultat sur le plan de l’individu est qu’on tend de plus en plus à minimiser et à nier sa propre identité individuelle. En conclusion, une tendance à accentuer de façon obsessionnelle sa propre identité ethnique (ou toute autre identité de classe) révèle une faille dans la conception qu’on a de soi-même en tant qu’entité multidimensionnelle. Cela constitue le premier pas vers une renonciation « défensive » à l’identité réelle, au seul sens valable de l’identité : au fait qu’on est différent. Si l’on n’est rien

qu’un Spartiate, qu’un capitaliste, qu’un prolétaire, qu’un musulman ou qu’un bouddhiste, on est bien près de n’être rien du tout et donc, de ne pas être du tout (Bloch, 2007).

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