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Les mutations profondes de l’Afrique : un processus de déconstruction des identités

7. L’affaiblissement du système juridique traditionnel

Le droit civil comme pénal d’ailleurs est souvent le reflet de la culture du pays dont il est supposé garantir l’ordre en impliquant son histoire et la référence au mythe fondateur. Le droit

symbolique propres à sa société. Or, nous savons comme le dit Govindama (2006) que « les relations matrimoniales définissent le tabou de l’inceste consanguin et symbolique de chaque société. Quant à la filiation, elle se préoccupe implicitement d’organiser la transmission de la généalogie intégrant l’ancêtre fondateur » (2006, p. 30). Ainsi, le cadre juridique ne peut que garantir les deux tabous fondamentaux de l’humanité que sont les tabous de l’inceste et du meurtre. Lorsque ces deux tabous sont menacés de transgression comme c’est le cas dans la société camerounaise par la modernité et l’interculturel qui sévissent sous la forme du dictat des modèles importés, s’imposant sans considération des réalités locales. Il y a un risque sérieux de dérapage, de perte de repères et de mal-être pour la société victime.

Qu’elles soient écrites ou orales, nées de la législation ou des pratiques populaires, les règles de droit qui organisent la vie d’un groupe sont le reflet des conceptions profondes dudit groupe. Dans son Histoire du Droit et des Institutions, Garrisson affirme que la coutume est « l’ensemble des habitudes et usages nés de comportements antérieurs répétés qui guident et façonnent les comportements ultérieurs. La tradition, le conformisme deviennent des modèles d’action, normes de conduite » (Garrisson, 1983, p. 40). Mieux que la loi législative qui devrait pourtant en être le reflet, la coutume exprime pour Garrisson, un droit spontanément et naturellement issu de la base, un droit pragmatique, populaire, fait de pratiques tenues pour règles. La coutume n’est que la résultante des mœurs d’une société. Ainsi, la mutation du système juridique camerounais et africain, passé de la coutume au droit législatif, plus soucieux des considérations de l’économie moderne a déstructuré les pratiques habituelles et traditionnelles. Cette observation est d’autant plus vraie que la constitution du Cameroun, représentative de sa loi fondamentale, est inspirée du droit français. C’est le cas du Cameroun comme de tous les pays francophones d’Afrique centrale ayant été colonisés ou sous la tutelle de la France. Voilà donc des peuples qui ont transposé chez eux, des textes conçus pour d’autres peuples et répondant à des besoins particuliers. Des besoins qui ne sont pas d’actualité en Afrique. Si certains pays africains ont simplement transposé les textes français, le Cameroun a l’avantage de les avoir au moins relus afin de les adapter. Reste que la culture juridique d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre n’était absolument pas la même. Le résultat n’est rien de moins qu’une inadéquation entre les règles de droit et le fonctionnement naturel et intrinsèque des populations qui ne s’y reconnaissent pas.

Dans le cadre des recherches faites au sujet des mutations du droit en Afrique, Émilie Barraud (2010) va entreprendre de faire un examen critique des modifications

législatives du droit de la famille dans les pays d’Afrique du Nord. Une modification qui répond aux nouvelles nécessités sociales tout en remettant en question les visions traditionnelles de la filiation. Pour Barraud, ces modifications du droit posent de fait la question d’une redéfinition sociale et juridique de la filiation dans ce continent. En Afrique, la filiation est patriarcale. Ce qui est différent de la transmission symbolique qui est pour sa part matrilinéaire et se fait par le biais de l’oncle maternel. Il a donc été difficile et c’est encore le cas, pour les Africains de concevoir la famille et la filiation selon le droit législatif.

L’antériorité et la préexistence de la coutume africaine sur la loi législative et étatique sont clairement établies, mais ce primat fonctionnel de la coutume sur la législation s’est renversé en ce sens que les États modernes du continent consacrent de nos jours une véritable rupture d’avec la tradition. Toutefois, la coutume ayant eu un poids considérable dans les sociétés avant la loi étatique, elle continue d’exister, bien que souvent rejetée ou simplement reléguée au second plan. Nos pays ont donc des lois que nul n’est censé ignorer alors même que celles-ci sont souvent écrites en des langues inaccessibles pour certains. Sans compter qu’elles sont parfois inopérantes face à certains cas. Par la mutation, la loi étatique ou législative vient occuper une hiérarchie sur la loi coutumière quand elle ne l’annule pas simplement. Ainsi, la symbolique fondamentale de l’humanité que représentent les tabous de l’inceste et du meurtre doit être réappropriée autrement. Une réappropriation qui parfois exige de se dessaisir des anciennes considérations. Et même lorsque cette exigence de dessaisissement n’est pas claire, il persiste des flous, des confusions entre les différents systèmes existants ; ce qui influence inéluctablement la structuration psychique du sujet.

Malgré la multitude des ethnies, des langues et dont des règles régissant chaque groupe ethnique, on peut trouver en Afrique, des traits communs caractérisant le droit coutumier africain. En première place : le caractère communautaire ou collectiviste. Une société où l’individu et le groupe sont complémentaires. Dans ces sociétés, l’individu n’a de sens qu’exprimé à l’intérieur du groupe ; il est l’élément constitutif dont le groupe a besoin pour son existence, mais n’existe pas en dehors de lui. Le groupe n’est donc pas une entité abstraite pas plus que l’individu n’est une réalité autonome ; la meilleure illustration de ce caractère communautaire réside dans le fait que la terre était considérée comme un bien collectif. Le droit coutumier africain, de par ce caractère, se différencie du droit législatif axé sur une conception individualiste. Ce nouveau droit, aujourd’hui pratiqué dans ce même continent par les États qui sont entrés de plain-pied dans le tourbillon de la modernité est une opposition marquée des

anciennes considérations. L’individu est considéré, dans cette conception individualiste et très moderne, comme titulaire des droits naturels et inaliénables. Il possède une zone d’autonomie dans laquelle ni le groupe, ni le pouvoir public, ni aucune autre personne ne peuvent pénétrer. La force et le pouvoir sont donc passés de la communauté à l’individu. Un individu qui est désormais seul et cette solitude est un vecteur important de troubles psychiques chez l’adolescent, et même chez l’adulte dans l’Afrique d’aujourd’hui.

L’oralité constitue sans doute un autre caractère essentiel du droit africain qui a changé. La caractéristique orale est liée aussi bien à la tradition orale des sociétés africaines qu’à la coutume. Ainsi, ce caractère oral fait partie des aspects qui font la particularité des droits coutumiers par rapport aux droits modernes en Afrique. Le droit moderne présente un caractère statique, rigide et dogmatique. Le droit des pays d’Afrique lui, il se caractérise par son aspect mystique et religieux. Cette caractéristique sacrée ou religieuse est connue dans les sociétés où l’individu est à cheval sur le monde des vivants et celui des morts. En fait, depuis toujours, la crainte des puissances surnaturelles ou magiques, tout comme le respect des ancêtres, incitait les individus à se conformer aux règles coutumières et aux manières traditionnelles de vivre. Plusieurs bases d’application des sanctions du droit coutumier des pays africains ont été identifiées, y compris les croyances religieuses, des notions de responsabilité collective, et la peur du ridicule et de l’ostracisme (exclusion sociale). Cette imbrication étroite et profonde du droit et de la religion, dont les éléments se fondent dans un tout indivisible, fait profondément la différence entre les droits coutumiers africains et les législations actuelles où les États, la société et le juridique sont strictement distincts du religieux. La caractéristique de linégalité relative est quant à elle, courante dans les sociétés africaines où les droits de l’individu sont déterminés en fonction de sa place dans la société. Alors que la loi étatique vend, dans le monde capitaliste, le rêve d’un monde où tous les citoyens sont égaux devant la loi sans aucune forme de dérogation.

En ce qui concerne la formation même du droit dans les sociétés africaines, les membres du groupe social n’y jouaient qu’un rôle de second plan, le droit étant considéré comme émanant de la volonté ancestrale. La justice traditionnelle africaine, s’apparentait davantage à une sorte d’arbitrage qu’à de véritables juridictions cherchant à appliquer le droit. Ce qui fait sa particularité par rapport aux législations modernes de nos jeunes États qui assurent l’application du droit à travers l’instauration de juridictions et de la formation de juristes. Selon Sayon

Coulibaly4, les droits africains traditionnels étaient essentiellement des systèmes juridiques de

protection et de réhabilitation de l’homme, la répression étant exceptionnelle. D’où la place centrale accordée au dialogue et à la réconciliation par le biais de la palabre. En effet, le droit traditionnel africain traduit très fortement le mode de vie, la façon d’envisager les rapports sociaux entre Africains. C’est ce mode de vie que la loi législative soutenue par les mutations sociales va bouleverser. Le sujet se trouve alors totalement ébranlé dans les fondements mêmes de son agir, car il ne se reconnaît pas toujours dans ce système juridique qu’il doit pourtant respecter sous peine de sanctions.

8. L’influence des religions monothéistes sur l’organisation spirituelle

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